« Israël-Palestine : à Crémisan, le mur pour seul horizon ! » par Gabrielle Desarzens

vendredi 23 septembre 2016 icon-comments 3

Dans la vallée de Crémisan, au nord-ouest de Bethléem en Cisjordanie, la construction du mur de séparation, voulu par le gouvernement israélien, se poursuit. Fragilisés, parfois privés de ressources, certains habitants choisissent d’émigrer. Parmi eux, toujours davantage de chrétiens.

« En ce moment, on ne veut plus regarder la vue ; on regarde juste le ciel. » Sur les hauteurs du village de Beit Jala, Tony Sfeir domine la vallée de Crémisan. L’arrière de la maison de ce prothésiste dentaire est bordé par le mur de la colonie israélienne Har Gilo. A 30 mètres, des barbelés augurent de la construction d’un autre pan de cette construction qui vise officiellement à protéger la population israélienne de toute « intrusion terroriste palestinienne ». « Je vis dans un cul-de-sac entre deux murs, commente Tony. Regardez le jardin : je n’ai pas d’eau pour l’arroser. J’en reçois une fois tous les 3 mois durant l’été. La colonie derrière en a par contre 24 heures sur 24. C’est très injuste ! A un moment donné, on arrête de penser. Il y a comme un blocage. On s’explose de l’intérieur, vous savez. En moi, j’ai une bombe qui explose à chaque fois que je tourne le robinet et que je n’ai pas d’eau. » Comme plusieurs Palestiniens chrétiens, Tony a envoyé ses deux enfants à l’étranger : « Il n’y a pas d’avenir ici », commente-t-il, désabusé.

Mur Israël - Palestine

« L’atmosphère est triste », lui fait écho à quelques kilomètres de là le supérieur salésien Gian-Maria Gianazza, qui balaie du regard la vue que lui offre le monastère de sa communauté. « Dans cette vallée de Crémisan, 75 familles auront des problèmes à l’avenir pour avoir accès à leur terre. Pourquoi ? A cause de problèmes politiques, de sûreté, de murs en cours de construction ! »

Reprise des travaux

Après avoir averti qu’il ne voulait pas parler de politique, ce frère salésien accepte de monter dans la voiture et de montrer les travaux qui ont repris en avril dernier. Italien d’origine, cet homme craint de devoir quitter le pays s’il parle trop librement. « Regardez : ils ont creusé sur notre terrain, ils ont laissé les pierres et les bâtons ; on ne peut plus planter de vignoble, rien, dit-il néanmoins. Vous voyez le mur tout près ? De l’autre côté, il y a des terres de familles palestiniennes. Elles n’y ont plus accès ! »

Les 300 hectares de la vallée de Crémisan sont connus pour leurs cultures en terrasses, leurs vignobles et leurs champs d’oliviers. « Nous avons maintenant confié l’affaire à notre avocat et c’est lui qui suit les choses. On ne voudrait pas qu’on nous coupe la propriété : c’est une entité unique. » Mais en attendant que l’homme de loi se fasse entendre, le mur continue à se construire. « Oui, c’est une réalité qu’on ne comprend pas », commente Gian-Maria Gianazza en haussant les épaules, fatigué. Le monastère accueille en fin de semaine chrétiens et musulmans dans ses jardins : « Nous leur disons de prier pour la paix », indique-t-il encore.

IMG 0399 3

Issa Shatleh travaille à la municipalité de Beit Jala. Il est l’une des personnes dont les terres se trouvent désormais de l’autre côté du mur, là où se trouvent notamment les deux colonies de Gilo et Har Gilo que les Israéliens veulent protéger. « Le mur a simplement mis fin à nos rêves, à notre futur », résume-t-il. Se perçoit-il d’abord comme chrétien ou Palestinien ? Il choisit la deuxième option, sans hésiter. Par ce positionnement, il montre que musulmans et chrétiens sont pareillement concernés en Palestine par le mur et la ségrégation qui en découle. Mais quel combat mener ? Et avec quelles armes ? Difficile de manifester face à des soldats de l’armée israélienne bardés de fusils mitrailleurs.

Situations aberrantes

Il y a 16 ans, durant la deuxième Intifada, une série d’attentats-suicide a provoqué la création de ce mur, explique l’historien et politologue israélien Simon Epstein. L’ouvrage est projeté sur 712 kilomètres, dont le 85% est situé sur terres palestiniennes. « La gauche israélienne voulait l’ériger sur la frontière de 1967. C’était inacceptable pour la droite. Les implantations voulaient être dedans... Mais cela signifiait inclure des villages palestiniens... Quoi faire ? Au terme d’un processus grotesque, on en est arrivé à un tracé selon lequel des villages sont complètement enfermés. Et il y a des situations aberrantes où des personnes doivent faire un détour de 30 km pour voir des membres de leur famille, qui se trouvent juste de l’autre côté du mur ! »

A Crémisan, 60% des habitants sont de religion chrétienne. Ils ne sont plus que 15% à Bethléem, selon des estimations concordantes qui émanent des premiers intéressés. Pas une famille chrétienne de Beit Sahour, de Bethléem ou de Beit Jala, trois municipalités contiguës qui ont longtemps été à forte majorité chrétienne, qui n'ait aujourd’hui une partie de ses membres à l'étranger. « Les Palestiniens chrétiens portent ici une croix, estime Peter Sabella, l’un d’eux qui est guide touristique. Parmi les musulmans et les juifs, ils sont au milieu. Pour les uns, ils sont des infidèles. Pour les autres, juste des Palestiniens. » Tony Sfeir regrette : « Il nous manque un Herzl, une Golda Meir ou un Nelson Mandela à même de nous fédérer, nous, Palestiniens, et de nous rendre notre dignité. »

De retour d’Israël-Palestine, Gabrielle Desarzens

Cet article a été publié dans les colonnes du Courrier le 16.09.16.

Enregistrer

Enregistrer

Enregistrer

  • Encadré 1:

    Un reportage à écouter sur Hautes Fréquences

    Dimanche 18 septembre, à 19h sur RTS La Première, l’émission Hautes Fréquences a consacré son dossier à cette vallée de Crémisan. Un reportage à écouter ici.

  • Encadré 2:

    Un mur aux désavantages difficilement contestables

    Joël Hanhart est juif orthodoxe. Il se situe, selon ses propres dires, « plutôt à droite » de l’échiquier politique israélien. « Le mur répond à des objectifs de sécurité. La plupart des Israéliens lui sont favorables », estime-t-il. Le pays connaît une diminution drastique du nombre d’attentats. « Mais la question qui se pose est celle de savoir si c’est le mur qui en est la cause ou plutôt l’opération Rempart qui a été menée en 2002 pour éradiquer les foyers de terreur en Cisjordanie. Ceux qui ne sont pas favorables au mur vous diront que c’est davantage cette opération, accompagnée du travail de renseignement et militaire continuel mené dans les villages arabes, qui apporte une solution sécuritaire ; et non ce mur aux désavantages difficilement contestables. »

    Médecin dans un hôpital du centre de Jérusalem, il a plusieurs collègues qui habitent Bethléem. « A les écouter, je me rends compte à quel point cette séparation entre des populations a des répercussions humaines très lourdes. »

    G.D.

  • Encadré 3:

    Le témoignage d’une chrétienne palestinienne (vidéo)

    Claire Anastas est une chrétienne palestinienne de Bethléem. Elle habite une maison entourée sur trois côtés par le mur construit par les autorités israéliennes. Elle témoigne de son espérance de voir ce mur disparaître un jour...

    Images et réalisation: Gabrielle Desarzens.

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

    Enregistrer

3 réactions

  • Rafael Perrodin mercredi, 28 septembre 2016 20:57

    Commentaire d'un israélien francophone vivant en Israël depuis 1984

    Depuis de nombreuses années, j’ai été l'ami d'un couple palestinien chrétien de Beit Jala (petite ville qui touche Bethlehem). L'épouse est décédée il y a quelques années à la suite d'une longue maladie.

    Se retrouvant veuf, mon ami, avec qui je suis toujours en contact, est parti vivre aux USA pour rejoindre son fils, marié à une Américaine. La raison de son départ est la suivante : il ne supportait plus d’être autant envahi par des musulmans alors que sa ville, ainsi que Bethlehem, était jusqu’ici essentiellement chrétienne.

    Pour rappel, à la suite des déclarations de principes d’Oslo (signés le 13 septembre 1993, amendé le 4 mai 1994 par les accords de Jéricho-Gaza) aboutissant aux accords intérimaires sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza de Taba (signés le 28 septembre 1995 à Washington), Israël a donné l’autonomie à plusieurs villes palestiniennes ainsi qu’aux territoires entourant ces villes. Cette autonomie est dirigée par un gouvernement palestinien qui a une police armée mais qui n’a pas le droit d’avoir une puissance militaire. Beit Jala et Bethlehem font parties de ces villes autonomes palestiniennes.

    Les autorités israéliennes interdisent aux Israéliens d’aller dans ces territoires palestiniens de peur qu’ils soient kidnappés et ensuite monnayés contre la libération de centaines de palestiniens détenus dans les prisons israéliennes pour cause de terrorisme contre Israël. Encore aujourd’hui, il y a de nombreuses organisations terroristes comme celles qui agissaient lors des attentats kamikazes lors de la 2èmeIntifada.

    A ce moment-là déjà, il se trouvait que des terroristes palestiniens musulmans tiraient sur le quartier juif de Gilo (quartier israélien qui se trouve en face de Beit Jala) en se cachant dans les maisons chrétiennes de Beit Jala (ces maisons étaient prises de force); bien sûr les ripostes israéliennes faisaient des dégâts aux maisons.
    L'autorité palestinienne a promis des dédommagements, mon ami arabe chrétien était dans ce cas, mais il n’a rien reçu.

    Sortant de ces territoires autonomes palestiniens, de nombreux terroristes venaient en Israël pour commettre des actes terroristes. La population a demandé au gouvernement israélien de construire une enceinte de sécurité qui sépare Israël des zones palestiniennes.

    Pendant cette 2èmeIntifada. (2000 - 2004), environ 1100 Israéliens ont été tués et 8000 ont été blessés par des terroristes kamikazes musulmans extrémistes venant des territoires palestiniens.
    Depuis la construction du mur, en 2005, le nombre d'actes terroristes a pu être réduit de plus de 90%. Rappelons que, si aujourd’hui cette enceinte de sécurité est longue de 712 km, 90% de son tracé est un simple grillage de fer barbelé et 10% de fortifications en ciment.

    Comme la situation sécuritaire a commencé à s’améliorer ainsi que la qualité de vie, les touristes sont progressivement revenus en Israël.

    Le monde a été prompt à condamner Israël pour ses actions et à critiquer la barrière de sécurité. Mais il était essentiel que la vie redevienne normale en Israël. Oui, la barrière génère des problèmes et des inconvénients.
    Cependant, comme l’a dit un de mes amis : une barrière et un mur peuvent toujours être démolis, tandis que les personnes assassinées ne reviendront pas à la vie.

    Rafael

  • Pascal Vidoudez vendredi, 30 septembre 2016 12:23

    Bien le bonjour,

    je vous propose l'actualité de ce sujet sous un autre regard.

    Le dossier avec photos est ainsi intitulé :
    Israël - Palestine : un mur comme seul horizon sécuritaire contre les actes terroristes - TEMOIGNAGES


    Il se trouve sous Facebook mais aussi sous LinkedIn et Twitter aux liens suivants :

    https://www.linkedin.com/pulse/isra%C3%ABl-palestine-un-mur-comme-seul-horizon-contre-les-pascal?trk=pulse_spock-articles

    https://twitter.com/vidoudezp_CH/status/781495937390743552

    Je vous souhaite une excellente lecture

    Pascal

  • P. North lundi, 10 octobre 2016 16:19

    Il est assez piquant de voir toutes ces lamentations au sujet d'une muraille dont Néhémie déplorait, en son temps, qu'elle fût en ruine, et dont des Arabes, déjà, tentaient d'en saboter la reconstruction! Les chrétiens ont la mémoire courte...

Publicité
  • Surmonter les abus au fil d’un conte

    Surmonter les abus au fil d’un conte

    Il était une fois… une enfant abusée, dont les larmes sont recueillies par une grenouille qui l’accompagne jusqu’au Roi d’un royaume fabuleux. Dans cette histoire, la psychologue Priscille Hunziker parle de la prise en compte de la souffrance. « Le voyage que fait la petite Emmy, c’est la métaphore d’un accompagnement psycho-spirituel », dit-elle mercredi 6 avril. Rencontre.

    jeudi 07 avril 2022
  • Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Au Liban, les habitants vivent l’intensité de la vie face à l’intensité de la mort, selon les mots du théologien et prêtre maronite Fadi Daou rencontré à Genève. Il invite notamment ses concitoyens à devenir des sauveurs… sur les pas de Jésus.

    mardi 21 décembre 2021
  • Noël, ou sortir de nos jugements

    Noël, ou sortir de nos jugements

    Thierry Lenoir est aumônier à 100% à la clinique de La Lignière à Gland. Cet ancien pasteur adventiste parle de l’esprit de Noël en termes de jugements moraux, sociaux et religieux à mettre de côté. Une réflexion qu’il partage dans l’émission Hautes Fréquences diffusée dimanche 19 décembre à 19 heures sur RTS La Première.

    mercredi 15 décembre 2021
  • « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    On investit dans nos carrières professionnelles, dans nos maisons… mais pas assez dans notre couple. C’est le constat que dressent Marc et Christine Gallay, le couple pastoral de l’église évangélique (FREE) de Lonay. Qui pratique avec bonheur une méthode dite « Imago », qui met la cellule de base créée par Dieu à l’honneur. Rencontre.

    lundi 01 novembre 2021
  • Pour les Terraz et les Félix, des choix porteurs de vie

    Pour les Terraz et les Félix, des choix porteurs de vie

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

    vendredi 22 septembre 2023
  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

    jeudi 15 juin 2023
  • « Auras-tu été toi ? »

    « Auras-tu été toi ? »

    Elle puise dans le judaïsme de quoi nourrir sa foi chrétienne. La théologienne et pasteure Francine Carrillo écoute, calligraphie et fait parler les lettres hébraïques qui, selon elle et avec toute la tradition juive, sont porteuses de sens et d’espérance. Rencontre.

    lundi 20 juin 2022
  • Anaël Bussy, ébéniste, fabrique du matériel pour le culte

    Anaël Bussy, ébéniste, fabrique du matériel pour le culte

    Anaël Bussy vient de démarrer comme ébéniste indépendant à Chevilly, près de La Sarraz. Parmi ses premières réalisations, des plateaux en bois, destinés à la distribution de la Sainte-Cène.

    vendredi 20 mai 2022

eglisesfree.ch

LAFREE.INFO

  • Traversons-nous une crise des vocations ou crise du modèle pastoral ?

    Ven 01 novembre 2024

    Christian Kuhn et Michel Siegrist viennent de publier une brochure à propos de l’avenir du ministère pastoral. Plus que d’une crise des vocations, ils parlent d’une évolution du modèle pastoral.

  • One’24: Sept cents inscriptions de plus que l’an passé-la billetterie est fermée

    Ven 01 novembre 2024

    Le grand rassemblement chrétien One' se rapproche. Et le succès est déjà au rendez-vous: 700 billets de plus qu'en 2023 ont été vendus pour cet événement qui aura lieu le 16 novembre à Bulle. Alors que la billeterie était ouverte depuis six mois, les organisateurs ont décidé de fermer les inscriptions.

  • Halloween, pourquoi fêter la mort?

    Ven 01 novembre 2024

    Si Halloween peut comporter des aspects sympathiques pour les liens entre voisins, la teneur de cette fête pose des questions. Quelles sont ses origines et pourquoi mettre à l'honneur la mort? Perspectives avec le pasteur, théologien et physicien Jean-René Moret. Ce texte d'opinion est d'abord paru dans  le quotidien 24Heures le 31 octobre.

  • Halloween: Cinq façons d'accueillir ceux qui sonnent à votre porte

    Mar 29 octobre 2024

    Le  31 octobre, jour d'Halloween, les chrétiens peuvent envisager plusieurs actions s'alignant avec leur foi. Voici cinq suggestions pour accueillir spécifiquement ceux qui viendraient sonner à votre porte.

Instagram

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !