C’est en écho au témoignage de Céline que nous avons fait paraître il y a un mois qu’Eliane a pris contact avec nous. « Parce qu’il y a encore des paroles à libérer », dit-elle simplement. Sur la nappe aux gros carrés orange, une tarte aux myrtilles attend. Le café fume. Un cartable à dessins est posé de côté. Elle en sortira tout à l’heure quelques peintures qu’elle a faites. On y voit notamment une femme, comme livrée à des forces du mal. Incapable de se défendre. « Ça s’appelle « angoisse », même les pieds sont tenus, emprisonnés. Vous voyez ? »
Envie de vomir
Enfant, Eliane a été abusée sexuellement par son père, qui était un ancien d’une Assemblée évangélique de Suisse romande (AESR). « J’ai dormi jusqu’à l’âge de 4 ans dans la chambre à coucher de mes parents. Mon père rentrait à midi. Il venait « faire la sieste ». Je me souviens très bien de son sexe sur ma joue, dans ma bouche. De mon envie de vomir. » Et puis elle parle de séjours effectués seule avec lui quand elle avait huit ans, puis douze ans. Et des attouchements et attitudes déviantes répétées pendant ceux-ci. « A l’époque, je n’en ai jamais parlé. Mon père était une figure d’autorité. Et je ne pensais pas, ou ne savais pas que c’était faux. J’ai ensuite comme mis cela dans les oubliettes de ma mémoire. Et c’est revenu en force quand j’avais trente ans ! »
Des années difficiles
Cadette d’une fratrie de cinq frères et soeurs, Eliane a pris la parole dans une émission TV il y a deux ans dans laquelle elle évoquait « une blessure d’enfance ». Suite à ce premier témoignage où l’abus sexuel n’était pourtant pas nommé en tant que tel, elle a eu beaucoup de retours bienfaisants, comme de la part de ses deux sœurs avec lesquelles elle a pu parler de ce qui s’était passé. « C’est important, vous savez, que les frères et sœurs réalisent que vous avez eu des années difficiles… » Et cette femme souriante de citer un séjour en psychiatrie, mais aussi des années avec des pensées suicidaires, de « NON à la vie », comme elle les appelle. « Je ne savais pas nager. Je me suis rendue notamment par deux fois sur les pontons du lac avec l’intention de sauter et de me noyer. Mais à chaque fois, des personnes étaient là et je n’ai pas osé. Plus jeune aussi, vers huit ans, je me souviens de mes envies de me jeter sous le train. »
Cicatrisation possible
Ses paroles dans l’émission télévisée ont par ailleurs provoqué la réaction de dizaines de femmes qui ont été, comme elle, victimes d’abus. « Elles sont venues me raconter leur vécu. Et j’ai été estomaquée d’entendre par exemple l’histoire de cette femme violée par son grand-père, un fidèle des milieux réformés, avec lequel elle a eu un bébé. Oui, je peux affirmer aujourd’hui sans sourciller qu’il y a des dizaines et des dizaines de fillettes et de femmes qui ont été abusées en Suisse romande dans les milieux d’églises. Et j’aimerais dire aux victimes de ne pas rester seules avec ce vécu. Qu’elles peuvent être aidées. Que des professionnels adéquats peuvent faire en sorte que ces blessures à vif cicatrisent. »
Et Dieu dans tout ça ?
Eliane montre encore de petits modelages en terre qu’elle a façonnés, avec deux personnages, dont l’un symbolise Dieu, qui prend soin d’elle, malgré tout. « C’est pour moi une façon de dire que même quand on n’a plus de mots, Lui nous comprend. C’est ce que je crois. Vous le direz, n’est-ce pas ? » Par courriel, elle enverra enfin ce poème pour compléter sa prise de parole :
Des limites ont été bafouées,
Des frontières dépassées,
Des blessures infectées,
Des culpabilités inoculées...
Mais la fidélité de Dieu n’a pas changé
Même mon nom Il le connaît
Il ne m’a pas abandonnée...
Il était là quand ça s’est passé...
Pourquoi n’a-t-Il alors pas protégé
L’être sans défense que j’étais ?
C’est un mystère par lequel je suis dépassée.
Mais la confiance en Dieu je veux la garder
L’histoire de ma vie
Avec moi, Il la relit,
Il l’habite, la guérit,
A mon rythme, petit à petit.
(extrait)
Gabrielle Desarzens
Une vidéo: