Rendez-vous est pris dans un café genevois. Le regard souriant derrière ses lunettes, Monsieur Ming (prénom d’emprunt) tourne la cuillère dans son thé et explique être venu en Suisse en 2015 alors qu’il travaillait pour des ONG. « Pendant mon séjour en Suisse, mon église de Guiyang, capitale de la province du Guizhou, a été détruite. Plusieurs de ses membres ont été arrêtés. Mes proches et des pasteurs m’ont alors conseillé de ne pas rentrer, car comme diacre de ma communauté, j’aurais certainement été incarcéré. » Monsieur Ming appartient à une communauté évangélique « basée sur la Parole de Dieu », dit-il. Une de ces églises dites clandestines, non enregistrées par le gouvernement. Au moment de sa destruction, elle ne comptait pas moins de 700 membres. Créée en 2009, elle a pourtant démarré avec 22 personnes. Une augmentation typique de ces communautés. « Car pour les Chinois, aujourd’hui, être chrétien, c’est être moderne », souligne en observateur avisé William Frei, ancien consul de Suisse à Shangaï. « Et les chrétiens font preuve d’une force, d’une fraîcheur, d’une spontanéité impressionnantes ! »
Les évangéliques en première ligne
Cela dit, les évangéliques sont les plus menacés en Chine actuellement par la répression gouvernementale. « Parce que ce sont ceux qui ont le plus grand nombre de conversions et une visibilité très importante, indique William Frei. Par exemple à Wenzhou, qu’on appelle la Jérusalem chinoise, ville portuaire de 4 millions d’habitants, vous aviez des croix partout, beaucoup plus que de drapeaux chinois. Et ça a donné la guerre des croix : sur une année, plus de 1500 d’entre elles ont été démolies, comme aussi des églises, et des personnes ont fini en prison. » Mais les évangéliques sont aussi en première ligne parce que parfois, derrière eux, il y a la présence d’agences américaines, souligne le diplomate. Et cette ingérence étrangère n’est pas du tout tolérée par les Chinois.
Concurrence à l’idéologie communiste
Pékin a d’ailleurs mis en place ce début d’année tout un arsenal pour encourager la dénonciation de « lieux de rassemblement secrets et d’activités missionnaires », selon le magazine Bitter Winter. « Les autorités te persécutent, parce qu’elles considèrent le christianisme comme une concurrence au communisme », explique Monsieur Ming. Plusieurs ont fermé à Beijing. Comme aussi la plus vieille église de maison de Guangzhou, dans le sud du pays, ou encore, juste avant Noël, la plus grande et la plus influente communauté de Chengdu. « A chaque fois, beaucoup de personnes sont arrêtées. Et quand on est mis en prison, on peut y rester longtemps. Le pasteur de mon église, par exemple, arrêté en 2015, y est resté trois ans. Quand il a été relâché, il était en très mauvaise santé. »
Les chrétiens mais aussi les musulmans ouïghours du Xinjiang sont sévèrement réprimés. « Ce dont le parti a le plus peur, c’est de l’insécurité, commente William Frei. Les empereurs ont toujours été destitués par des révoltes populaires. Donc le contrôle de la population est essentiel. » Pour Tobias Brandner, pasteur zurichois, professeur de théologie à l’Université de Hong Kong où il réside depuis plus de 20 ans, les églises se présentent néanmoins aujourd’hui comme une force communautaire et spirituelle qui parvient mieux à répondre aux attentes et besoins des Chinois que l’idéologie du parti.
Gabrielle Desarzens
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