Jésus partit, suivi d’une foule nombreuse qui le serrait de tous côtés. Dans la foule se trouvait une femme atteinte d’hémorragies depuis douze ans. Elle avait été soignée par de nombreux médecins et en avait beaucoup souffert. Elle avait dépensé toute sa fortune sans trouver la moindre amélioration ; au contraire, son état avait empiré. Elle avait entendu parler de Jésus, et dans la foule, elle s’était approchée de lui par-derrière et avait touché son vêtement, en se disant : « Si j’arrive à toucher ses vêtements, je serai guérie ».
A l’instant même, son hémorragie s’arrêta et elle se sentit délivrée de son mal. Aussitôt, Jésus eut conscience qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule et demanda : « Qui a touché mes vêtements ? » Ses disciples lui dirent : « Tu vois, la foule qui te presse de tous côtés et tu demandes : ‘Qui m’a touché ?’ »
Mais lui continuait à parcourir la foule du regard pour voir celle qui avait fait cela. Alors, saisie de crainte et toute tremblante, la femme, sachant ce qui lui était arrivé, s’avança, se jeta aux pieds de Jésus et lui dit toute la vérité. Jésus lui dit : « Ma fille, parce que tu as eu foi en moi, tu es guérie ; va en paix et sois guérie de ton mal » (Marc 5.24-34).
Jésus est en chemin, accompagné d’un responsable religieux nommé Jaïrus. Celui- ci l’a supplié de venir sauver sa fille. Il s’agit donc d’une urgence : Jésus se rend auprès d’une personne dont la vie est en danger. Mais la foule presse Jésus – il est rare que la foule presse autant les chrétiens !
Normalement, pressé par l’urgence, Jésus pourrait agir sans se laisser distraire. Pourtant, il se laisse déranger par « un petit rien » qui semble tellement insignifiant. Il se laisse arrêter par le geste d’une femme malade. Elle est venue par derrière et n’a pas osé faire plus que toucher la frange de son vêtement. A première vue, le geste de cette femme est sans importance, en comparaison avec l’appel pathétique d’un papa pour sa fille.
L’attitude de Jésus nous interroge : sommes nous sensibles à ce qui semble petit et insignifiant ? Car cette femme représente, pour moi, ces petites gens condamnés à la solitude, à la misère, à la déception. Depuis douze ans, elle a beaucoup souffert (v. 26). Elle n’a peut-être plus la force d’accomplir les gestes simples que la société attend d’elle. Et la société n’a pas attendu pour la mettre au ban.
Le destin des petites gens
Cette femme représente ces petites gens avec leurs blessures.
- Blessures émotionnelles de ceux auxquels il a été dit : « Tu n’es rien ! Tu n’arriveras pas ! »
- Blessures affectives de personnes qui n’ont pas reçu leur compte d’amour.
- Blessures liées à l’impuissance, à l’incapacité de répondre aux attentes de son entourage : « Ces gens prient et louent avec les bras levés et les yeux tournés vers le ciel. Mais moi, dans ma détresse et mon impuissance, je les baisse ! »
- Blessures profondes et cachées dont sont victimes les enfants.
- Blessures liées à des fautes commises durant la jeunesse, et qui poursuivent la personne : un casier judiciaire, des poursuites… et des portes qui se ferment.
- Blessures prononcées, au nom de Dieu, par certains croyants qui se croient habilités à dispenser des malédictions.
L’énergie du désespoir
Cette femme a en elle l’énergie du désespoir : juste un tout petit geste, par derrière, du bout des doigts, sans se faire remarquer. Les gens dont la vie est brisée ne sont pas exigeants. Ils sont attachés à de petites choses auxquelles ils donnent un sens profond, un petit geste par derrière !
Seulement, avec nos « grands pieds » évangéliques, nous n’y prenons souvent pas garde. Nous avons tellement l’habitude de nous tourner vers Jésus et de lui faire explicitement nos demandes que nous peinons à comprendre l’attitude des gens brisés. Parfois, nous finissons par être plus exigeants à leur égard que Dieu ne l’a été pour nous. Nous avons la mémoire courte et nous en arrivons à ne plus savoir décoder les appels de femmes et d’hommes au bout du rouleau. Jésus savait décoder les gestes, les appels, les silences… et le geste de foi timide de cette femme qui souffre depuis douze ans.
« Jésus eut conscience qu’une force était sortie de lui » (v. 30), nous dit l’évangéliste. Jésus possède un « décodeur » dont nous avons aussi besoin. Au milieu d’une urgence, il est dérangé par le Saint-Esprit qui le rend en bénédiction. Il est donc charismatique ! Il possède du discernement, de la clairvoyance, de l’intuition, de la sensibilité, de l’amour au service des plus pauvres. Et ce décodeur dont nous avons besoin est constitué d’amour alimenté par le Saint-Esprit. Il nous rend capable de devenir serviteurs auprès des plus démunis.
Ceux qui ne font pas l’affaire
Quel genre de chrétiens devrions-nous être pour avoir la capacité de servir ces gens-là ? Voyons d’abord quels chrétiens ne feraient pas l’affaire.
- Les chrétiens légalistes. Ceux-ci pensent que l’action du Saint-Esprit est réservée aux personnes dont la vie correspond à la norme. Il n’est donc pas nécessaire d’aimer celles qui s’en écartent, puisque Dieu les rejette. La loi leur sert de prétexte et de paravent. La condamnation de certains maux de notre société leur sert d’excuses pour en pas s’engager auprès de personnes qui en sont victimes, débauchées, impures…
- Les chrétiens optimistes. Ces croyants pensent qu’il n’y a qu’à faire et qu’à croire. Ils ont une notion de la foi imprégnée de magique. Ils sont optimistes dans ce sens : ils pensent que la nature humaine peut être modifiée à souhait, qu’il est possible de faire table rase du passé, qu’une personne peut se reconstruire comme si son passé n’avait jamais existé. Je ne crois pas à cet « évangile instantané ». Je crois en la puissance de Dieu ! Mais lorsque Dieu accomplit un miracle surprenant, celui-ci a généralement été précédé de tout un cheminement discret, peut-être invisible pour les yeux. Pour cette femme, le cheminement a duré douze ans ! Cela doit nous apprendre à respecter le cheminement des autres, les étapes par lesquelles ils doivent passer.
- Les chrétiens conformistes. Ce sont des croyants qui s’alignent sur l’opinion dominante. Ils calculent, préfèrent ne rien risquer. Ils se fondent dans la masse.
Le défi que Dieu nous lance
Mais alors, quel genre de chrétiens devrions- nous être pour avoir la capacité de servir ces gens-là ? Voici quelques pistes.
- Pleurons pour ceux qui ne peuvent plus pleurer.
- Continuons d’espérer là où règne le découragement.
- Persévérons dans les domaines où personne n’encourage plus ces personnes.
- Cherchons encore, au côté de ces personnes qui n’ont pas trouvé.
- Restons fidèles dans notre foi. Soyons capables de voir la souffrance des autres sans sombrer, d’expérimenter avec eux la consolation de Dieu dans les moments les plus difficiles.
Sommes-nous suffisants pour cela ? Certainement pas ! Alors, comme il l’a promis, que Dieu nous donne ce qu’il nous ordonne.
Marc-Etienne Petter, pasteur dans l’Eglise évangélique (FREE) de Tavannes