Une autre dimension à la prière

Jacques Blandenier vendredi 20 juin 2025

Au moyen d’une parabole, Jésus montre que la prière peut nous conduire à nous engager personnellement, même lorsque nous manquons de ressources et que nos mains son vides. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Églises évangéliques.


Un jour, Jésus priait en un certain lieu. Quand il eut fini, un de ses disciples lui demanda :« Seigneur, enseigne-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples. » [Suit le « Notre Père », dans sa version abrégée.]

Puis, Jésus continue : « Supposons ceci : l’un d’entre vous a un ami qu’il va trouver chez lui, en pleine nuit, pour lui dire : ‘Mon ami, prête-moi trois pains. Un de mes amis qui est en voyage vient d’arriver chez moi, et je n’ai rien à lui offrir’. Et supposons que l’autre lui réponde de l’intérieur de la maison : ‘Laisse-moi tranquille ! La porte est déjà fermée à clé, mes enfants et moi nous sommes au lit. Je ne peux pas me lever pour te donner des pains’. Eh bien je vous l’affirme, même s’il ne se lève pas par amitié pour les lui donner, il se lèvera pourtant et lui donnera tout ce dont il a besoin, parce que son ami insiste sans se gêner. Et moi je vous dis : demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira la porte. Car celui qui demande reçoit, qui cherche trouve et l’on ouvrira la porte à qui frappe. » (Luc 11.1-10, Bible NFC)


Enseigne-nous à prier... Quel autre maître pourrait mieux que Jésus nous apprendre comment nous adresser à Dieu son Père, et le faire au nom du Fils ? Voyant leur rabbi prier, ses amis ont remarqué une intimité, une liberté jamais rencontrées dans leurs synagogues.

Jésus encourage ceux qui l’écoutent à prier avec la confiance d’enfants devant un père aimant et disponible : le Notre Père est donné dans sa version écourtée (v.2-4 ; cf. Mt 6.9-13). Ensuite, Jésus nous adresse des verbes brefs, sans fioritures, à l’impératif : frappez… demandez… cherchez… (v. 9) Car vous risquez d’attendre longtemps devant une porte, si vous ne sonnez pas, et vous n’avez guère de chance de trouver un objet égaré, si vous ne le cherchez même pas.

Cela semble être une vérité générale – Jésus dit « on » et non « moi » ou « le Père ». Cette vérité s’applique à bien plus forte raison à notre démarche auprès du Père céleste. Tendre une main ouverte, vidée du superflu auquel nous tenons, afin qu’il puisse la remplir.

Au cœur de cet enseignement sur la prière survient une parabole qui illustre la nécessité de la persévérance. Or la persévérance est un critère de la prière confiante et authentique. Prier, ce n’est pas seulement demander puis renoncer par manque de conviction, ou s’adresser à Dieu puis oublier en pensant que ça ne vaut pas la peine.

Bien sûr, il s’agit d’une parabole : le caractère de l’ami qui n’aime pas être dérangé ne dépeint pas le caractère de Dieu (cf. aussi Le juge injuste, Luc 18.2). D’où la conclusion : « Vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants. À combien plus forte raison le Père qui est au ciel… » (v. 13)

Une situation embarrassante

Cette parabole met chaque disciple, chaque lecteur, dans le coup : « Supposez que l’un d’entre vous… ». Je vais donc parler en « je », faites de même ! Je m’imagine dans une situation embarrassante : la visite inopinée, en pleine nuit, d’un ami à bout de forces et affamé, après une journée de marche en plein cagnard, puis dans une nuit sans éclairage, sans repères, et parsemée de dangers. Si cet ami arrive en pleine nuit – on ne voyage pas seul de nuit en Orient à cette époque ! –, c’est que son voyage s’est mal passé en raison de diverses mésaventures qu’on peut imaginer.

Avec un authentique sens de l’hospitalité, je lui ai ouvert notre porte, à minuit passé ! Mais c’est bien joli ! Je n’ai pas de réserve. Le frigo est vide : pas le moindre reste du dernier repas. Dans un tel cas de nécessité, il n’y a pas d’autre solution que de m’adresser à un voisin mieux loti, habituellement aimable.

Ravalant ma fierté, gêné, je frappe à sa porte, discrètement tout d’abord, puis avec plus insistance pour finir par un tintamarre. Car rien ne se passe.

L’autre finit enfin par réagir – l’accueil n’est pas froid, il est glacial. Notez qu’on peut le comprendre : on est en pleine nuit, il faut trouver du feu pour allumer une lampe, enfiler un habit, ôter la barre de protection qui bloque la porte d’entrée, etc. Toute la maisonnée va être réveillée par ce branle-bas. Et si c’était des pillards ? Les enfants sont sans doute paniqués : le reste de la nuit risque d’être fichu pour toute la maisonnée. Il n’est pas nécessaire d’avoir mauvais caractère pour être énervé, et rabrouer sans ménagement ce voisin insistant, imprévoyant et culotté. La seule solution : accéder à sa demande pour se débarrasser de lui, et se rendormir jusqu’à l’aube, si possible... Est-ce une image de la prière ?

De l’audace... pour son prochain

Certes, cette parabole illustre l’efficacité de la persévérance dans la prière, et même l’audace de la démarche. Car, manifestement, ça a marché ! C’est déjà beaucoup ! Mais il y a plus : un éclairage qui donne une autre dimension à la prière.

En effet, la parabole ne mentionne pas deux personnes (moi et mon voisin), mais trois. Or, celui qu’on risque d’oublier est au cœur de l’enjeu du récit : le voyageur en détresse arrivant sans rendez-vous, passé minuit et sans avoir pu avertir par un « coup de fil » ! Il est « au bout du rouleau », situation pitoyable à laquelle il n’est pas possible d’être insensible. Mon cœur me contraint d’accueillir cet ami avec bienveillance, attentif à son ventre creux, à sa fatigue, à son inquiétude sans doute. Mais que faire ?

Coincé, je m’enhardis à me rendre chez le voisin : mon initiative n’est pas motivée par l’égoïsme et le souci de mon bien-être. Ce qui motive mon audace, c’est la compassion face au désarroi d’un prochain. Or, je suis en train de découvrir mon incapacité à répondre à la détresse d’autrui : « Je n’ai rien à lui offrir ! » (v.6). Une phrase qu’il m’est arrivé de dire ou de penser, face à une situation compliquée, et qui me retient souvent de m’engager : « De toute façon, je ne peux rien y faire ! » Et c’est sans doute vrai. Jésus me dit alors : « Ne te dégonfle pas. N’oublie pas que tu n’es pas seul. Tu as un voisin, un Ami secourable et plein de ressources, tout proche de toi ».

Prier pour mon prochain fragilisé

Ainsi, après l’exhortation à prier avec audace et persévérance, Jésus prend soin de situer les circonstances de cette prière audacieuse : elle n’est pas seulement pour moi, mon bien-être, ma bénédiction, mais pour mon prochain fragilisé. Il s’agit d’être sensible aux détresses d’autrui et d’agir. Et cela est souvent coûteux en temps, en argent, en stress psychologique et en perturbation dans ma vie bien rangée.

Autour de nous, de telles situations ne manquent pas : conflits professionnels ou familiaux, maladies, deuils, dettes, chômage, permis de séjour échu avec risque d’expulsion… la liste peut s’allonger. Cette parabole détruit l’égoïsme sous-jacent de mes prières centrées sur « moi et mes besoins ». En général, nous prions mains jointes et yeux fermés(1) : pas sûr que ce soit l’attitude idéale ! Nos chants, aussi, tournent autour de nous-mêmes. Ils nous font regarder le ciel, mais rarement le « terre-à-terre » des épreuves autour de nous.

Jésus nous appelle à prier et à chanter en regardant aussi au-delà de nos propres attentes, les mains ouvertes, le cœur rempli de l’amour de Dieu, accueillant en son nom ceux qu’il met sur notre route, des mendiants de nourriture et de logement peut-être, mais surtout d’affection, de respect, d’écoute, d’espérance. « Ora et labora » (« Prie et travaille »), enseigne l’Ordre des bénédictins.

Prier, c’est aussi s’engager

Un aspect important de la prière, c’est qu’elle n’est pas un alibi ou une échappatoire ! Jésus explique ici que celui qui prie est entouré de deux amis. C’est une dimension qu’il faut intégrer à notre vie spirituelle. Or, l’intercession nous engage, lorsque nous plaidons auprès de Dieu. Dans Matthieu 6.10, version plus complète du Notre Père, Jésus dit : « Que ta volonté soit faite sur la terre »… Ce n’est pas une prière de résignation, mais de recours au meilleur.

Par qui cette volonté doit-elle être faite sur cette terre ? Par le Père souverain, lui-même, bien sûr (cf. Lc 22.42, Jésus au jardin des Oliviers). Mais pas seulement ! Par nous aussi, faisant la volonté de Dieu ici et maintenant. La prière n’exprime pas une attitude passive, mais confiante et obéissante. Cette parabole est sans doute un enseignement à propos de la prière, mais aussi à propos de l’engagement qu’elle implique. Nous demandons à Dieu qu’il nous donne la force d’être les exécutants de sa volonté sur la terre. Il arrive que le Seigneur nous demande d’exaucer nous-mêmes cette prière, avec la force de son Esprit.

En définitive, cette parabole nous rappelle que nous sommes des personnes de contact pour ceux qui ne connaissent pas encore ce « Voisin » dont l’amour et les ressources sont inépuisables. Et nous encourageons notre ami à se rendre désormais directement vers ce Voisin plein de compassion.

Nous sommes « ambassadeurs, envoyés par le Christ, et c’est comme si Dieu lui-même adressait son appel par nous : nous vous en supplions au nom du Christ, soyez réconciliés avec Dieu » (2Co 5.20).

 

(1) Se recueillir, repliés sur nous-mêmes, pour éviter de se laisser distraire par ce qui se passe autour de nous, ce qui est certes souvent nécessaire…

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