Michel Cretegny, 74 ans, parle clairement : « Tout a commencé à cause de soucis financiers, car j’étais au bord de la faillite. J’ai ouvert l’abattoir en 1989 sans trop savoir où j’allais, et j’ai mis ma confiance en Dieu... qui m’a envoyé des musulmans, ainsi que beaucoup de réfugiés qui logeaient à l’époque dans un centre d’hébergement tout proche. Je dois en fait la survie de mon entreprise à ces deux populations. Et au travers d’elles, nous avons été bénis ! » Le conte « halal » de ce chrétien évangélique débute en effet par sa rencontre avec Hafid Ouardiri, imam de la grande mosquée de Genève dans les années 90. Celui-ci cherchait un endroit où envoyer ses fidèles s’approvisionner régulièrement en viande halal et acheter aussi de l’agneau notamment à l’occasion de l’Aïd, cette grande fête musulmane qui célèbre le sacrifice d’Abraham, et lors d’autres rites religieux, comme à l’occasion de naissances. « Il est venu contrôler les appareils que j’utilise pour étourdir l’animal. Puis m’a fait une lettre certifiant que mon établissement était conforme. » La ferme de Michel Cretegny est aujourd’hui la seule dans le canton de Genève agréée par le Service des affaires vétérinaires pour réaliser le rituel religieux musulman. « Le mode d’abattage est le même que celui qui est pratiqué pour la consommation suisse. Sauf que dans le cas précis, le client prie avant qu’on sacrifie l’agneau, dont la tête doit être tournée à l’est, en direction de La Mecque. »
Journée éreintante
Dix-sept personnes ont été, vendredi 1er septembre, à pied d’œuvre dans « la ferme aux moutons » de Michel Cretegny. Un personnel qui a travaillé de 7h à 19h. « Le client choisit l’animal que l’on abat tout-de-suite, il paie comptant (entre 400.- et 600.- le mouton, ndlr). Un contrôleur officiel du service vétérinaire contrôle le processus d’abatage ainsi que la qualité de la viande. Et le client peut repartir avec sa marchandise tout de suite », résume notre homme. Non sans ajouter que des représentants de la grande mosquée étaient présents : « Parce que l’Aïd se veut aussi une fête du partage : ces responsables religieux ont ainsi récolté les parts de viande que chacun a voulu donner aux nécessiteux. »
Depuis 3 ans, l’exploitation a été remise à une tierce personne qui exploite en gérance ses locaux. « Je participe actuellement comme aide bénévole », indique Michel Cretegny, qui a posé ses grands couteaux après un début de mois éreintant, mais qui assure à chaque fois une bonne part du chiffre d’affaire. Les musulmans de Genève savent-ils qu’il est chrétien ? « Oui, ils le savent. Ils sont très contents que je croie en Dieu et me font confiance. Plusieurs estiment d’ailleurs que je pourrais moi-même trancher la gorge de l’animal. Mais j’ai toujours une personne de confession musulmane qui pratique cette tâche. »
Accueillir le musulman
Les clients sont aujourd’hui des habitués. « Depuis qu’on a ouvert, un Africain vient chaque année me réserver de la viande pour toute sa communauté. Nous avons une relation privilégiée : il a même une fois rendu visite à ma femme qui était à l’hôpital ! Je ne sais pas de quel pays il vient exactement, mais les liens sont forts. » A la question de savoir s’il est cohérent pour un pilier d’Eglise comme lui de s’adonner au rituel halal, Michel Cretegny rétorque que c’est par l’ouverture à l’autre qu’on témoigne le mieux. « Il faut accueillir le musulman », souligne-t-il. Et de rajouter cette anecdote : « Il y a quelques années, un musulman est venu et m’a dit que c’était son patron, un chrétien des Assemblées des frères, qui lui avait donné l’argent nécessaire pour qu’il passe une belle fête. Cela m’a réjoui ! »
Gabrielle Desarzens