Pourquoi est-ce important de mettre sur pied un Atelier de travail sur la liberté de religion et de pensée en Irak ?
Parce que la religion des gens est ciblée dans les conflits que nous avons en Irak : que les Irakiens soient chrétiens, yézidis, bahaïs… Dans un pays qui est un peu le berceau des religions, pourquoi ne pourrait-on pas être de la religion que l’on souhaite ? Dans un pays qui a décidé de se démocratiser, cette dimension est l’expression des droits fondamentaux de l’être humain. De plus, l’Irak a signé nombre de textes internationaux qui demandent le respect des droits humains élémentaires. Même si les politiciens d’aujourd’hui sont les premiers à ignorer ce que d’autres ont fait avant eux, il faut le leur rappeler. Ils ont des responsabilités internationales à respecter.
L’Irak a adopté une nouvelle constitution en 2005. Qu’offre-t-elle dans le domaine du respect de la liberté de religion ?
La constitution irakienne est un document complexe. Il s’agit à la fois d’un texte qui prône un régime civil, mais qui, dans le même temps, affirme dans son article 2 que toutes les lois dépendent de la charia, la loi islamique. Donc, aucune loi ne peut être promulguée en contradiction avec les principes islamiques.
Vu que dans l’article 1, il est précisé que l’Irak est un Etat démocratique, nous assistons constamment à une sorte de jeu de tirage de corde, où chacun tente de tirer la corde à soi. Et c’est le plus lourd qui gagne ! Par ailleurs, vu que, dans les comités juridiques où on discute des lois, les religieux musulmans sont majoritaires, c’est toujours leur avis qui l’emporte !
Concrètement, qu’est-ce que cette constitution garantit en matière de liberté religieuse pour vous qui êtes chrétienne ?
Après toutes les pressions que nous avons faites, elle mentionne la réalité du respect pour toutes les religions. Mais chaque fois que vous faites quelque chose, il faut savoir dans quelle mesure c’est « charia-compatible ». Les Assyriens, les Chaldéens, les Turkmènes, les Yézidis et d’autres voient leurs droits linguistiques et culturels garantis. Mais pour tout ce qui regarde le code civil et le code personnel, de nombreux points sont contraires aux principes chrétiens.
Au plan international, l’un des critères de la liberté de conscience dans un pays, c’est la possibilité de changer de religion. Qu’en est-il en Irak actuellement ?
Actuellement, dans le cadre des campagnes que nous mettons en place, c’est l’un de nos axes d’action : demander davantage de droits pour les musulmans, parce que les personnes de toutes les convictions ont le droit de changer de religion, sauf les musulmans ! 90 pour cent des Irakiens sont musulmans et 90 pour cent de nos concitoyens ne sont pas libres !
Dans les dictatures qui se sont succédé, on pouvait se permettre de faire cela. Mais maintenant, dans le système démocratique que nous essayons d’instaurer dans notre pays, cela n’a plus lieu d’être.
Quand vous regardez la situation des religions dans le Kurdistan irakien, avez-vous l’impression que cette région est à l’avant-garde en matière de respect de la liberté religieuse ?
Vous allez trop loin en disant cela ! C’est une région qui voudrait développer beaucoup de choses en matière de liberté, mais il faut savoir que les islamistes sont très actifs et peuvent opérer des retours en arrière majeurs, que ce soit contre les yézidis ou les chrétiens.
Chaque vendredi, vous entendez que, dans certaines mosquées, même dans le Kurdistan irakien, certains ont appelé à la violence contre les non-musulmans. Les autorités essaient de réprimer cela. Mais ce n’est pas facile à réaliser vraiment.
Une tradition stipule que les musulmans sont des gens supérieurs et que ceux qui pratiquent d'autres religions sont des « kouffars », des gens qui injurient Dieu. Cette culture est installée dans la tête de nos concitoyens. Pour nous, ce n’est pas nouveau. Malheureusement nous avons vécu cela tout au long de notre vie, et quand nous essayions de le dire en Europe, les gens nous taxaient d’intolérance à l’endroit des musulmans !
La solution est vraiment la mise en place d’un système démocratique. Les responsables politiques doivent le comprendre. Cela prend du temps, c’est vrai, mais nous voulons construire ce nouveau système. Quand vous regardez les pays limitrophes de l’Irak, ce sont les pires pays en matière de respect des droits démocratiques. Nous n’avons rien à apprendre d’eux. Il faut aller plus loin, en Europe ou en Amérique du Nord.
Comment voyez-vous l’avenir dans ce domaine en Irak ?
Olala ! Je reste pleine d’espoir, pleine d’espérance pour un pays qui est plein de vitalité. Mais quand vous voyez que les moyens utilisés pour défendre la liberté de conscience et de religion sont si minces, cela nous décourage !
Est-ce que vous vous sentez menacée à cause de votre engagement ?
Oui. C’est pour cela que j’ai en permanence un garde du corps. On m’a pris cinq fois pour cible et quatre de mes gardes du corps ont été tués. Les quatre étaient chrétiens. C'était en 2005 à Bagdad, après la fin de ma mission de ministre ! Je suis chrétienne et je me livre à la Providence qui, jusqu’ici, m’a voulue en vie !
Propos recueillis par Serge Carrel
Photos: Emmanuel Ziehli (StopPauvreté)