L’offensive de l’Etat islamique (EI) à la frontière turque pousse de nombreux civils sur les routes. Au moins 160 000 Syriens seraient notamment partis se réfugier en Turquie les deux dernières semaines de septembre. Parmi elles, de nombreux chrétiens. Mais cet exode, qui concerne avant tout les minorités religieuses de ce qu’on appelle le berceau du christianisme, est antérieur aux exactions des djihadistes. C’est ce que rappelle à Nantes Vincent Gelot, de retour de deux ans de voyage dans ces régions du monde.
Les yeux brillants, le jeune Français évoque ce moine chaldéen rencontré à Alqosh –ville d’Irak encore épargnée par les combattants. Pour ce religieux, la question qui se pose aux chrétiens était ni plus ni moins celle de leur avenir : « Qui protégera et défendra notre existence dans ce pays ? » C’était il y a deux ans. « Dans ce pays, l’exode des chrétiens est affolant: leur nombre est passé en 15 ans de 1,5 million à 400 000 à peine», indique Vincent Gelot, qui avait rencontré en 2012 plusieurs personnes en train d’émigrer, comme cette famille de Batnaya, près de Qarakosh, dans la plaine de Ninive. « C’était un couple avec trois enfants qui partait pour le Liban, avec la grand-maman de 72 ans qui n’avait jamais quitté son village », raconte le voyageur. En janvier 2013, dans le Caucase arménien, il rencontre un réfugié syrien, qui lui avoue se sentir « coincé »: « Mon avenir est incertain. Je ne sais ce qu’il va advenir de moi, spécialement après avoir tout perdu en Syrie. » Mais sa foi reste inébranlable : « Je suis certain que Dieu ne nous oubliera pas et qu’il est avec nous pour toujours », lui a-t-il dit.
Emigration chrétienne
Parti de Beyrouth, Vincent Gelot a débuté son périple à Antioche, dans le sud-est de la Turquie. « C’est là que les premiers fidèles ont pris le nom de chrétiens, raconte le livre des Actes des Apôtres. Il y reste une communauté de 1000 grecs-orthodoxes et une toute petite communauté catholique de peut-être 40 personnes. » Tous les autres habitants sont musulmans. « Les chrétiens sont si peu nombreux qu’ils vont d’une Eglise à l’autre: ça ne les dérange pas d’aller à une messe grecque puis à une messe catholique. C’était beau à voir... » Mais dans ce pays, comme au Liban et en Iran qui jouxtent l’Irak et la Syrie, le nombre de chrétiens baisse aussi. « Ils sont victimes de discriminations, d’injustices quotidiennes comme la difficulté de trouver un emploi ou de grimper dans l’échelle sociale. Ils ne voient plus leur avenir en Orient. » A une certaine époque, ces chrétiens assuraient le lien avec l’Occident. Ils ont été concurrencés voire déclassés dans ce rôle d’intermédiaires par de nouvelles élites musulmanes. Le climat a changé aussi : la diffusion de l’islam est omniprésente dans la vie civile et économique.
Des communautés moribondes
Du côté des Républiques d’Asie centrale, les chrétiens émigrent aussi mais pour d’autres raisons : « Ils sont les enfants des chrétiens déportés dans les goulags par Staline, explique Vincent Gelot. Avec la chute du Mur, ces descendants des anciennes républiques soviétiques ou d’Allemagne, voire de Corée, ont eu envie de rentrer dans leur pays d’origine. Des villages entiers se sont vidés. » Les difficultés économiques poussent aussi à l’émigration, notamment vers la Russie. « J’ai découvert des Eglises chrétiennes isolées, de parfois moins de 10 personnes. » En Azerbaïdjan, il rencontre une communauté méconnue, celle des Molokans, une Eglise évangélique dissidente de l’Eglise russe déportée par Catherine II de Russie dans le lointain Caucase. « Les membres de cette Eglise, forte de 4 à 5000 personnes, sont arrivés au début du XIXe siècle dans un pays à tradition musulmane. Quand je les ai rencontrés, l’histoire avait eu raison d’eux : ils n’étaient plus qu’une petite dizaine. Leurs chants liturgiques en russe semblaient sortis de nulle part. »
Des Eglises souterraines
Cet exemple d’Eglise moribonde comme le flux continu des départs de chrétiens sont toutefois parfois compensés en Orient par les conversions au christianisme. Il s’agit de citoyens locaux qui étaient musulmans ou athées. C’est le cas notamment en Ouzbékistan, où plusieurs Eglises existent légalement mais ne représentent qu’un petit pourcentage par rapport aux Eglises souterraines. « Pour ouvrir un lieu de culte, ce sont des années de bakchichs, de demandes administratives qui n’aboutissent pas. Donc les gens se réunissent quand même, mais de façon clandestine. » C’est notamment le cas de plusieurs Eglises évangéliques que le jeune Français a visitées, et dont il souligne la ferveur et le dynamisme. Mais si le pays n’est pas régi par la charia, il connaît une pression sociale qui n’encourage pas les conversions. « Changer de religion en Orient peut en effet être vécu comme le reniement de tout un bagage ethnique et culturel », explique-t-il.
Un relais
Dans ses bagages, ce licencié en histoire et détenteur d’un master en droit humanitaire avait pris un livre d’or grand format de trois cents pages. Celui-ci s’est révélé un véritable sésame pour approcher les différentes communautés. Les uns après les autres, les chrétiens ont pris la plume pour y partager un peu de leur vécu et de leur foi. « Le livre d’Orient a fait prendre une dimension autre à ce voyage, il m’a complètement dépassé », exprime le voyageur. Ses pages ont servi de relais entre les communautés qui se sont découvertes maillons d’une chaîne. « Ce livre est devenu un recueil qui regroupe les préoccupations, la mémoire, les craintes et les espérances des chrétiens d’Orient aujourd’hui. »
Gabrielle Desarzens
Vincent Gelot a été au micro de Gabrielle Desarzens dimanche 5 octobre à 19h dans l’émission Hautes Fréquences de RTS La Première et du 27 au 31 octobre dans l’émission A vue d’esprit de RTS Espace 2.