Ce qui aurait dû être une enquête pour comprendre le développement des Eglises évangéliques en France s’est avéré un documentaire décevant construit sur des clichés et des raccourcis trompeurs, révélant l’inculture des journalistes d'Envoyé spécial sur le fait religieux. Pasteur à l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, actif sur les réseaux sociaux et fin observateur médiatique, Philippe Henchoz a suivi le reportage «Évangéliques, un succès pas si angélique ?» le 25 septembre sur France2.
« Disons-le clairement : ce reportage est à charge, peu nuancé. On est loin de l’approche journalistique habituelle qui aurait dû élargir l’enquête et surtout évoquer au moins les deux instances représentatives des évangéliques en France ». En outre, le pasteur a ressenti un parti pris dans les prises d’image et de son et un mélange de clichés, sans véritable questionnement de fond. En résumé, Philippe Henchoz a eu la désagréable impression que l’équipe journalistique voulait incriminer les évangéliques à bon compte, sans droit de réponse. « Mais c’était sans compter les réactions institutionnelles, personnelles et médiatiques qui ont suivi, démontrant que trop, c’est trop», poursuit-il.
Débat contradictoire refusé par France 2
Avant même la diffusion d’Envoyé spécial, la Fédération protestante de France (FPF) - dont est membre l’Église Martin Luther King (MLK) particulièrement ciblée dans le reportage - a sollicité une rencontre avec le secrétaire général de France 2. En effet, la Méga-Eglise de Créteil avait pu prendre connaissance du synopsis et avait découvert son approche manifestement orientée, évoquant notamment «des méthodes d’emprise» ou encore «des croyances qui poussent certains fidèles à perdre pied avec la réalité».
La FPF et l’Eglise MLK ont alors demandé l’organisation d’un débat contradictoire et démocratique dans la foulée de la diffusion télévisée, ce que la chaîne de service public a refusé. Dans son communiqué de presse du 25 septembre, l’Eglise MLK rappelait avoir toujours été ouverte au dialogue et disposée à répondre avec honnêteté et respect aux questions qui pourraient être soulevées. Mais au vu du résultat, elle se réservait le droit de publier une mise au point, d’exiger l’exercice d’un droit de réponse et de saisir les instances compétentes.
Des méthodes journalistiques contestables
De son côté, la FPF a aussi exprimé sa vive préoccupation face à des méthodes journalistiques contestables et au risque d’amalgames préjudiciables : « Les Eglises évangéliques représentent une composante vivante et dynamique du protestantisme français (…) La Fédération protestante de France déplore que ce reportage ait choisi de présenter les Églises évangéliques à travers le prisme réducteur des excès de quelques-uns, sans nuance ni véritable expertise. Cette approche tronquée occulte la richesse et la vitalité d’une Eglise évangélique comme MLK, qui apporte beaucoup à ses membres, à la société et au protestantisme dans son ensemble » affirmait le président de la FPF dans son communiqué du 26 septembre.
Le même jour, le Conseil national des évangéliques de France (CNEF) exprimait également par voie de communiqué le « choc » ressenti par les protestants évangéliques suite au reportage : « Assimiler l’évangélisme à un mouvement « ultraconservateur », homophobe et le présenter essentiellement à travers une mise en scène orientée revient à stigmatiser les 1,2 millions de protestants évangéliques de France et plus largement les chrétiens français ». Tout en déplorant à son tour les questions orientées, le montage à charge sans aucun expert consulté, ainsi que les raccourcis et amalgames.
Signalement déposé auprès de l’ARCOM
« Ces procédés créent de la suspicion et alimentent des préjugés infondés ; ils constituent un terreau fertile à des logiques de discrimination et de stigmatisation », a encore dénoncé le CNEF. Le lendemain, il a déposé un signalement auprès de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), au motif « du manque d’honnêteté et de rigueur de l’information ».
Rappelant que la loi française protège la liberté de conscience, de pensée et de religion, l’organisation faîtière des évangéliques s’est aussi dite disponible pour accompagner les journalistes, en leur proposant par exemple d’assister à un culte inter-Eglises le 5 octobre, à l’occasion de Célébrations 2025 qui auront lieu dans plus de 90 villes françaises.
Réactions des intervenants du documentaire
Des extraits de publications Tik Tok de Johanna Exbrayat (Pasteure Jo) apparaissent dans le reportage d’Envoyé spécial. Dans sa réaction publiée sur les réseaux sociaux, la pasteure de l’Assemblée chrétienne de Belfort-Montbéliard explique avoir aussi été sollicitée par l’équipe d’Envoyé spécial. Elle partage : «Je leur ai dit: je suis d’accord, mais comme je n’aime pas votre façon de découper les interviews et de prendre ce qui vous arrange, je mettrai mes propres caméras pendant l’interview. En cas de «coup foireux», je rediffuserai l’intégralité de l’interview. Les journalistes n’ont pas donné suite à ma proposition».
Malgré la prudence dont il a fait preuve, l’influenceur chrétien David Antoine, actif sur Instagram et rattaché à l’Église La Porte Ouverte à Mulhouse, estime avoir été manipulé et ses propos sortis de leur contexte. Il a réagit en publiant une vidéo explicative et en relayant les nombreux messages de soutien qu'il reçoit, même de catholiques.
Dans ses prédications apportées à l’Eglise MLK avant et après la diffusion du reportage (les 21 et 28 septembre) et publiées sur Youtube, le pasteur Ivan Carluer explique également s'être senti piégé (cf. la fin du reportage), alors qu'il faisait confiance aux journalistes. Ceux-ci ont notamment filmé en caméra cachée un entretien pastoral, pour lequel la journaliste s'est faite passée pour une lesbienne.
Les manques injustifiables du reportage
De nombreux internautes ont déploré le manque d’informations factuelles (statistiques etc.) et d’avis d’experts dans ce reportage d’Envoyé spécial. Sébastien Fath, spécialisé dans l’étude du protestantisme évangélique, aurait notamment pu apporter son expertise de sociologue et chercheur. Pas un mot non plus sur les œuvres sociales ou solidaires, pourtant nombreuses, des Eglises et des chrétiens évangéliques.
Par ailleurs, présenter l’évangélisme par le prisme d’une Méga-Eglise ne reflète pas le mouvement évangélique dans son ensemble, comme le relève Philippe Henchoz : « L’Église MLK et ses pasteurs ne sont pas représentatifs de tous les évangéliques dans le fond et les formes. C’est une Église de grande ville en région parisienne avec un développement assez exceptionnel, mais tant d’Églises sont dans de petites villes, en campagne, avec peu de moyens et des audiences limitées».
Le pasteur de Meyrin conclut: « Reste que l’évangélisme français est à la fois très dynamique, transversal et œcuménique aussi, et surtout très diversifié avec un panel de dénominations différentes. Et tout cela n’est malheureusement pas apparu dans le reportage ».