«La nature se venge-t-elle? Covid-19: liens entre maladies infectieuses, biodiversité, élevage et agriculture» par Roger Zurcher

Roger Zurcher vendredi 17 avril 2020 icon-comments 3

Ingénieur agronome, Roger Zurcher propose son analyse de l’explosion de la pandémie de coronavirus sur l’ensemble de la planète. Responsable des programmes à FH Suisse (Food for the Hungry), il est aussi intervenant à HEPIA, la Haute école du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève dans la filière agronomie, il est très actif dans la promotion de l’agroécologie en Suisse et dans les pays du Sud.

L’arrivée du covid-19 en décembre 2019 en Chine s’inscrit dans le cadre d’une augmentation généralisée des maladies infectieuses dans le monde. C’est l’avis du chercheur au CNRS Serge Morand, dans un entretien avec Marion Paulic en mars 2020 (1). L’augmentation est constante depuis les années 1920 et particulièrement après la Deuxième Guerre mondiale. Pourtant, depuis le XIXe siècle, grâce aux progrès de l’hygiène, le nombre de morts dus à des maladies infectieuses a fortement diminué, jusqu’à l’arrivée de la dévastatrice grippe « espagnole » pendant la Première Guerre mondiale. 

Pourquoi donc ces maladies augmentent-elles, alors que globalement la mortalité infantile recule et que la population mondiale a un meilleur accès aux services de santé ? La réponse est liée aux modifications des relations entre les animaux et les humains, selon Serge Morand. En effet, depuis 1950, la production mondiale de viande a été multipliée par 7 en 60 ans, alors que la population était multipliée par 3 pendant la même période. Ces changements de régime alimentaire ont coïncidé avec le développement de l’élevage industriel. On a vu ainsi apparaître des fermes d’engraissement de plusieurs milliers d’individus, qui consomment, dans de nombreux pays, des céréales cultivées sur des terres gagnées sur les forêts. Les superficies disponibles pour la faune sauvage ont été fortement réduites, particulièrement dans les zones à forte densité de population, comme l’Asie ou l’Europe.

L’homme modifie les équilibres globaux 

Dans son rapport publié tous les deux ans au sujet de la biodiversité « Planète vivante », le WWF indique que près de 20 % de la forêt amazonienne a disparu en 50 ans. Entre 2000 et 2014, le monde a perdu au total 920’000 km2 de forêts intactes, une surface quasi égale à la France et l'Allemagne réunies. Contrainte de se déplacer, la faune sauvage entre en contact avec les animaux domestiques. Cette proximité est connue pour favoriser l’émergence des maladies infectieuses. Un virus qui vit sur un animal sauvage, comme la chauve-souris, peut ne pas poser de problème, mais devenir extrêmement pathogène, quand il mute et s’adapte à une espèce domestique, comme le porc. Quand ces derniers sont élevés en masse et surtout avec une variabilité génétique très pauvre (2), cela laisse le champ libre au virus, qui peut se transmettre à l’homme et se répandre à grande vitesse.

Ce qui a changé au XXe, puis au XXIe siècle, c’est l’entrée dans « l’anthropocène », cette période marquée par l’influence qu’exerce l’être humain sur le système terre. Pour la première fois dans l’histoire de la Terre, l’homme a réussi à modifier le fonctionnement même de notre planète. Hélas, cela ne s’est pas fait à son bénéfice. Nous assistons plutôt à un effondrement des équilibres qui caractérisaient la seule planète de notre système solaire qui abrite la vie.

Après une autorité exercée abusivement, un retour de bâton ? 

Cette industrialisation a vu le jour en Europe par le développement de la pensée de Descartes et des Lumières. Celle-ci a amené une chosification de la nature et introduit une vision mécaniste du monde, dans un processus qui a malheureusement aussi été appliqué au vivant. Au lieu d’exercer son mandat de gestion de la nature de façon responsable (3), l’homme a produit sa nourriture en utilisant les règles de maximisation du profit, au détriment de la durabilité et du respect de la Création.

Aujourd’hui, face au covid-19, il est intéressant de constater que dans certaines parties du monde, il ne fait aucun doute que ce qui arrive est une punition de Dieu. « Dieu est fâché avec nous », comme on peut l’entendre dans de nombreux témoignages sur la Toile. Dieu laisse-t-il la nature se venger ? Et si nous récoltions « simplement » ce que nous avons semé ? Appartenant à la Création, les atteintes à cette dernière par les humains finissent par se retourner contre eux. Nous observons aujourd'hui de plus en plus les conséquences des mauvais choix d’une partie de l’humanité par rapport à la Création, ce qui ne doit pas nous empêcher de travailler à la réconciliation avec elle. 

Il est probable qu’après cette crise, on édicte des lois pour augmenter les stocks de matériel médical afin d’éviter les pénuries que nous connaissons actuellement, mais est-ce que des changements de politique alimentaire et agricole auront lieu ? Cette crise nous montre que nos systèmes alimentaires sont défaillants et mêmes mortifères...

Cette crise ouvre-t-elle un chemin vers l’avenir ? 

Loin de moi l’idée de minimiser les souffrances et les drames liés au covid-19. On peut toutefois les voir, non pas comme une vengeance aveugle de la Terre qui finira par tous nous exterminer (4), mais comme les douleurs de la naissance… Ce qui très différent ! De quelle naissance parle-t-on ? La Création souffre et attend son heure (5). Le Royaume de Dieu, la justice et la paix, n’est pas toujours évident à voir, mais il est déjà là (6)... Avez-vous remarqué ces nouvelles qui montraient le ciel à nouveau bleu dans les grandes villes de Chine ? Avez-vous perçu comme on entend mieux le chant des oiseaux quand le bruit des camions et des avions a disparu, comme de nouveaux liens et la créativité se développent entre humains qui souffrent ? Le Royaume s’étend... 

La solution n’est pas forcément d’arrêter toute l’économie, comme elle a pu l’être pendant un temps, mais au lieu de renforcer uniquement les services de santé pour mieux répondre aux futures crises, nous pouvons agir sur les causes de l’émergence de maladies infectieuses et restaurer nos systèmes alimentaires. Pour cela quatre mesures principales s’imposent : 

1) Diminuer les transports internationaux, relocaliser l’économie, favoriser l’économie circulaire. La réduction des échanges diminue les risques et diminue les gaz à effet de serre par la même occasion.

2) Passer partout à une agriculture locale et biologique : cette agriculture, basée principalement sur des semences ou espèces locales, nécessite peu d’intrants et vit de circuits courts et locaux pour la commercialisation. La diversité favorise la résilience et diminue les risques.

3) Supprimer l’élevage intensif et favoriser des races locales adaptées au contexte. La diversité de ces races ne permettra pas à des épidémies de se répandre comme actuellement.

4) Introduire des mesures politiques véritablement incitatives vers cette transformation du système alimentaire.

Chaque acte de justice fait reculer l’injustice. Chaque acte d’amour fait reculer l’égoïsme. Réjouissons-nous, la lumière vient, les injustices cesseront, la souffrance s'arrêtera. La réalité et la beauté du Royaume de Dieu est déjà visible aujourd'hui, mais elle remplira toute la terre, quand Jésus viendra. Je me réjouis de vivre sur une Terre (7) débarrassée du mal, sans maladie, sans enfants ou adultes qui meurent. Au-delà de la souffrance aujourd’hui, nous apercevons le Royaume de Dieu. 

Roger Zurcher

 

Notes
1 Voir Marion Paulic, « Nous créons de nouvelles conditions écologiques propices aux épidémies », Interview de Serge Morand, Le 1, 18 mars 2020, no 288. Cet article est payant. Serge Morand est aussi co-auteur de plusieurs livres sur le sujet, dont « Faune sauvage, biodiversité et santé, quels défis ? » en 2014 et « La Prochaine Peste. Une histoire globale des sociétés et de leurs épidémies » en 2016. France Inter parle aussi de cet article.
2 C’est le cas pour les porcs d’engraissement, mais encore plus pour les poulets d’engraissement qui sont presque tous issus des mêmes lignées, ce qui est très risqué, en termes de résilience face aux pathogènes.
3 Selon le texte de la Bible de Genèse 2.15.
4 Ce qui est d’ailleurs souhaité par certains extrémistes qui pensent que seule la disparition de l’espèce humaine sauvera la Terre.
5 Voir Romains 8.22.
6 Voir Luc 17.20-21.
7 Apocalypse 5.10.

3 réactions

  • Andre Geiser vendredi, 17 avril 2020 17:01

    Merci pour cette reflexion qui met l'humain face à ses responsabilités.

  • Sylvie Rossel samedi, 18 avril 2020 11:04

    Article très intéressant du point de vue historique, et qui amène un éclairage pertinent mais malheureusement inexistant dans nos médias. Merci aussi pour l’espérance qu’il contient!

  • Sonia mardi, 21 avril 2020 08:26

    Bravo pour cet article. Oui, nous avons usé, nous avons abusé de cette nature que Dieu nous a confiée.
    Soyons acteurs sur cette planète et osons individuellement de réels changements. A titre d’exemple, lorsque j’ai renoncé à manger viande et poisson, j’ai eu droit à bien des remarques et moqueries mêmes d’amis chrétiens!!!

Publicité

Twitter - Actu évangélique

Journal Vivre

Opinion

  • Laisser au sexe ses droits
    Laisser au sexe ses droits Cette prise de position du pasteur Jean-René Moret, pasteur dans l’Eglise évangélique de Cologny (FREE),…
Opinion

Agenda

Événements suivants

TheoTV (mercredi 20h)

20 janvier

  • «La terre, mon amie» avec Roger Zürcher (Ciel! Mon info)
  • «Repenser la politique» avec Nicolas Suter (One’Talk)

27 janvier

  • «La méditation contemplative» avec Jane Maire
  • «Vivre en solobataire» avec Sylvette Huguenin (One’Talk)

TheoTV en direct

myfreelife.ch

  • Une expérience tchadienne « qui ouvre les yeux »

    Ven 20 janvier 2023

    Elle a 19 ans, étudie la psychologie à l’Université de Lausanne, et vient de faire un mois de bénévolat auprès de jeunes de la rue à N’Djaména. Tamara Furter, de l’Eglise évangélique La Chapelle (FREE) au Brassus, a découvert que l’on peut être fort et joyeux dans la précarité.

  • « Oui, la relève de l’Eglise passe par les femmes »

    Ven 16 septembre 2022

    Nel Berner, 52 ans, est dans la dernière ligne droite de ses études en théologie à la HET-PRO. Pour elle, la Bible est favorable au ministère féminin. Et les communautés doivent reconnaître avoir besoin tant d’hommes que de femmes à leur tête.

  • Prostitution à Zurich : l’Eglise en première ligne

    Mar 23 août 2022

    Entre 3'000 et 5'000 personnes se prostituent dans des conditions indignes à Zurich, où une passe oscille entre 20 et 50 francs. En cause : la pauvreté aggravée par la pandémie, épinglent Sœur Ariane et le prêtre Karl Wolf, qui leur apportent quotidiennement nourriture et chaleur humaine. Un reportage diffusé dimanche 28 août dans Hautes Fréquences, sur RTS La Première.

  • « Auras-tu été toi ? »

    Lun 20 juin 2022

    Elle puise dans le judaïsme de quoi nourrir sa foi chrétienne. La théologienne et pasteure Francine Carrillo écoute, calligraphie et fait parler les lettres hébraïques qui, selon elle et avec toute la tradition juive, sont porteuses de sens et d’espérance. Rencontre.

eglisesfree.ch

  • Rencontre générale de la FREE : l’équipe de direction souffle sa première bougie

    Sam 08 avril 2023

    La Rencontre générale de la FREE, qui a eu lieu le 1er avril 2023 à Aigle, a permis à la nouvelle équipe de direction de dresser un bilan, après tout juste une année de fonctionnement. Et ce qui saute aux yeux, c’est le grand nombre des défis à relever.

  • FREE : une première « Journée stratégique »

    Ven 03 février 2023

    Les personnes qui exercent un rôle dans la FREE se sont réunies en janvier pour réfléchir à la mise en œuvre de la nouvelle « gouvernance à autorité distribuée » (1). Retour sur une « Journée stratégique » conviviale et studieuse.

  • Commission Afrique et Moyen-Orient

    Lun 16 novembre 2020

    En lien avec les Œuvres et Eglises concernées et avec les autres commissions géographiques (Asie et Europe), la commission Afrique-Moyen Orient (CAMO) a pour objectif d'accompagner (écouter, conseiller, soutenir, encourager, visiter...) les envoyés avant, pendant et après leur engagement en Afrique et au Moyen-Orient.

  • Gouvernance partagée à la FREE: 4 postes sont mis au concours

    Jeu 16 décembre 2021

    Après bientôt une année de discussion et de réflexion, la Rencontre Générale de la FREE a donné son feu vert pour la première étape concrète du changement de gouvernance de la FREE: la restructuration du poste de Secrétaire général, créé en 2007 lors de la fusion de la FEEL et des AESR, en plusieurs postes de Responsables de secteurs - de cercles comme on le dira dorénavant. Si certains d'entre eux restent bénévoles (comme l'Administration ou la Mission), 3 d'entre eux vont devenir salariés, entre 25 et 40%.

eglise-numerique.org

point-theo.com

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !