Face à l’éco-anxiété

Interview de Jean-François Mouhot, directeur d’A Rocha France, par Serge Carrel vendredi 26 janvier 2024

L’éco-anxiété, c’est-à-dire l'angoisse ressentie face à la menace climatique, marque de plus en plus les esprits, notamment chez les jeunes. Jean-François Mouhot, directeur de l'ONG écologique chrétienne A Rocha France, était au micro de Serge Carrel, sur Radio R, pour évoquer cette vague de désespérance (1).

Serge Carrel – Jean-François Mouhot, comment réagissez-vous à cette montée de l’éco-anxiété, surtout parmi les jeunes ?

Jean-François Mouhot – Effectivement, plusieurs sondages ont montré que beaucoup de jeunes, mais pas que des jeunes, souffrent de cette forme d'angoisse en rapport avec l'avenir. La crise écologique remet en question les perspectives d'avenir, en particulier celles des jeunes.

Quand on a vingt ans aujourd'hui, on a du mal à se projeter dans l’avenir en se disant : « Dans quarante ans, je vais pouvoir profiter de la retraite ». Ce sont plutôt des perspectives d'effondrement qui dominent dans l'esprit des jeunes.

Le frère de l’un de mes amis s'est suicidé en invoquant le changement climatique comme raison principale de son geste. Un sondage, paru il y a environ un an, montrait que 75 % des jeunes sont effrayés par le futur. Et je crois qu’il s’agit d’une réalité vraiment en train de s'installer.

Cette éco-anxiété s'articule, semble-t-il, autour de deux réalités : le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité…

Tout à fait. Nous sommes face à deux grandes crises écologiques : celle du climat et celle de l'énergie. Mais ce sont deux facettes d’un même problème. Lorsque nous brûlons des énergies fossiles – gaz, pétrole, charbon – nous produisons du dioxyde de carbone (CO₂) qui provoque le réchauffement climatique.

L’autre partie du problème, c’est l’effondrement de la biodiversité, dont les conséquences sont probablement plus grave que celles du réchauffement climatique. En effet, nous voyons le nombre d’espèces animales diminuer à une échelle sans précédent dans l'histoire humaine. Mais, en plus, nous assistons à des baisses de populations préoccupantes à l’intérieur de chaque espèce.

Que pensez-vous des discours technologiques du genre : « Les progrès scientifiques vont nous permettre de surmonter la crise » ?

Personnellement, je n'y crois pas trop. La technologie peut nous aider, mais je ne place pas mon espoir et mon espérance en elle. Par le passé, la technologie a parfois apporté des solutions à nos problèmes… tout en générant de plus grands problèmes derrière.

Par exemple, la Révolution industrielle a apporté des solutions essentielles en matière de nutrition, de santé et de confort. Par exemple, elle a permis l’abolition de l’esclavage : les esclaves ont été remplacés par des machines. Il faut savoir que l’abolition de l’esclavage n’est pas due à une prise de conscience morale, mais à la Révolution industrielle. Cela dit, la Révolution industrielle a également engendré des problèmes inattendus, dont le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité.

Que dites-vous à des jeunes plombés par l’éco-anxiété ?

Beaucoup d'études montrent qu’il est possible de combattre l'éco-anxiété. Nous n’allons pas mentir aux jeunes en leur disant qu’ils n’ont pas de raisons d’être anxieux. Cela ne ferait qu’aggraver leur peur : ils auraient le sentiment de ne pas être entendus. Commençons par les écouter, soyons dans l'empathie. Si nous avons vraiment pris conscience des enjeux, nous n’aurons pas envie de rigoler ou de nous moquer d’eux.

Ensuite, expliquons aux jeunes que le meilleur moyen de sortir de l'anxiété, c'est d’agir. Lorsque nous sommes assis sur un canapé, à regarder seuls des reportages effrayants à propos des dangers qui guettent notre planète, nous développons de l’anxiété. Mais, la solution pour sortir de cette anxiété, c'est clairement de nous mettre en chemin, de faire quelque chose, même modestement ; ensuite, nous progresserons. Surtout, il est très important de ne pas rester seuls, mais d’agir avec d'autres.

Cela permet-il vraiment de développer une espérance auprès de ces jeunes éco-anxieux ?

Oui, ça fonctionne ! Par exemple, en France, nous avons développé un réseau d'ambassadeurs au sein d'A Rocha France. En l’espace d’un an, le nombre d’ambassadeurs est passé de 20 à 100, et les groupes locaux de zéro à sept. Parmi ces gens, plusieurs jeunes s’engagent comme bénévoles.

Le discours à propos de l'espérance chrétienne – avec la présence de Dieu et le fait qu'on se retrouvera finalement tous en lui – peut-il être proposé aux éco-anxieux ?

Oui. La base de notre espérance ultime, c'est cette confiance en Dieu dont parlait Billy Graham lorsqu’il disait : « J’ai lu la dernière page de la Bible. Tout finira bien ».

Cela signifie-t-il que nous proposons une vision trop « défaitiste » de la situation présente ?

Oui, car il existe l’espérance chrétienne d'une terre renouvelée. Lorsque j'étais enfant, j'imaginais cette terre renouvelée comme une réalité déconnecté du physique, complètement céleste, avec des croyants qui jouent de la harpe dans les nuages. Mais, en étudiant les questions d'écologie et de sauvegarde de la création d’un point de vue théologique, j’ai été frappé de constater que le plan de Dieu n’est pas de nous envoyer dans les nuages, dans l'espace ou je ne sais pas où. Au contraire, Dieu rappelle à quel point il aime sa création. En fait, c’est plutôt Elon Musk qui veut nous envoyer sur Mars.

Et comment voyez-vous la présence du Christ dans notre situation ?

Notre espérance ultime en une terre renouvelée n'est en effet pas suffisante. Nous ne pouvons pas réduire notre discours à la destruction et au renouvellement de la terre. Nous ne pouvons pas nous désintéresser ainsi de notre monde actuel.

La crise écologique actuelle va nous permettre d’entendre des vérités qui nous échappaient lorsque tout allait plutôt bien et que nous ne pensions pas beaucoup à notre besoin de salut. Nous étions satisfaits de nous-mêmes. Nous nous considérions comme moralement supérieurs aux propriétaires d’esclaves des siècles passés. Nous n’avions pas réalisé à quel point nos comportements sont problématiques. La crise écologique a commencé de nous réveiller, en nous rappelant que Dieu a la possibilité de nous reprendre beaucoup de choses dans nos vies. Et ce message s’adresse également à notre société.

Comment la foi chrétienne dessine-t-elle un chemin d'action concret dans notre réalité ?

Christophe Paya, le doyen de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, rappelait récemment que les chrétiens n'ont pas besoin de répondre de manière particulièrement originale aux défis de la crise écologique. D’une part, nous partageons la même humanité que les gens qui nous entourent. D’autre part, nous devrions avoir l'humilité de reconnaître que les écologistes, souvent éloignés de notre foi, on eu raison avant nous. Leurs discours sont parfois agaçant, mais ils sont en avance sur nous.

Parmi les chrétiens, quelques figures font cependant exceptions. Par exemple, le théologien évangélique Francis Schaeffer, ainsi que Peter Harris, le fondateur d'A Rocha, avaient déjà développé un souci de la création il y a une quarantaine d’années.

Les chrétiens auraient-ils quelque chose de plus spécifique à apporter ?

Il me semble que le défi écologique met en évidence une véritable crise spirituelle chez les chrétiens, jusque dans les fondements de leur foi, ainsi qu’une importante crise des valeurs chez les non-chrétiens. Nous vivons dans une société qui promeut la consommation comme moyen d'accès au bonheur personnel et à la satisfaction. Mais nous voyons bien que ces valeurs entrent en conflit avec certaines valeurs de l'Evangile. Ces dernières nous mettent en garde contre l'accumulation des richesses, des biens et des maisons, contre la puissance spirituelle de l'argent. Dieu ou Mammon : il faut savoir choisir !

Lorsque vous parlez de l’engagement « spirituel » des chrétiens en matière d’écologie, vous rappelez le commandement du Christ : « Aimer Dieu et son prochain comme soi même ». Que signifie « aimer Dieu », par rapport à la création ?

Soyons clairs : nous ne pouvons pas aimer Dieu et accepter la destruction de ce qu'il a qualifié de « très bon » dans la Genèse. Beaucoup de textes biblique nous montrent l'amour de Dieu pour sa création, et aussi le fait que les humains sont des créatures merveilleuses (Ps 139). Ainsi, lorsque nous maltraitons la création, nous détruisons la propriété de Dieu, nous méprisons le commandement de gérer la création comme de bons intendants.

De plus, Dieu nous a commandé d’aimer Dieu et notre prochain. Ce sont les deux plus grands commandements de la Bible. Mais il n’est pas possible d’aimer son prochain tout en laissant la création se faire détruire. En effet, ce sont les personnes les plus vulnérables qui souffrent en premier du dérèglement climatique et de la pollution. Les pauvres sont particulièrement exposés à ces dangers, parce qu’ils n'ont pas les moyens de se prémunir et de s'adapter. Par exemple, ils n’ont pas les moyens de s’assurer contre de mauvaises récoltes.

Cela nous fait pensez aux personnes qui, surtout dans le Sud, mais aussi dans le Nord, deviendront des réfugiés climatiques...

Tout à fait ! Nous allons devoir accueillir de nombreux réfugiés climatiques, ainsi que des réfugiés fuyant d’autres catastrophes environnementales. Et le climat n’est pas seul à obliger des population à quitter leur pays pour rejoindre, par exemple, les rivages de l'Europe.

Cette question n’est pas nouvelle : il y a quinze ans, des rapports prévoyaient déjà que nous aurions à gérer plus de 250 millions de réfugiés climatiques à l'horizon 2050. Mais, à cette époque, beaucoup trouvaient que ces projections était exagérées. Aujourd’hui, en Europe, nous découvrons ce problème, et il crée de nombreuses tensions.

Vous conseillez aux personnes souffrant d'éco-anxiété de renouveler leur spiritualité par rapport à la création, d'aimer leur prochain, d’envisager davantage de solidarité. Mais, dans ce contexte, quel est le rôle de la prière ?

La prière est un combat spirituel. La Bible nous montre que, lors des combats spirituels, nous n’avons pas à lutter contre « la chair et le sang », mais c'est contre des puissances. Et nous sommes impuissants à vaincre ces puissances... sinon en demandant à Dieu qu'il intervienne. Par exemple, A Rocha France envoie une lettre de prière quotidienne à 500 personnes. Et le nombre d’abonnés augmente constamment(2).

Les chrétiens insistent sur l'importance de la prière d'intercession. Ils se souviennent que Moïse et Abraham ont intercédé pour le peuple d'Israël. Abraham a même intercédé pour Sodome et Gomorrhe, ce qui est quand même assez incroyable. Il a marchandé avec Dieu, négocié sa miséricorde, et il est arrivé à le faire changer d'avis.

Il existe aussi la prière de repentance, inspirée du texte des Chroniques : « Si mon peuple qui est appelé de mon nom s’humilie, prie et recherche ma grâce, s’il se détourne de sa mauvaise conduite, moi, je l’écouterai du ciel, je lui pardonnerai ses péchés et je guérirai son pays » (2Ch 7.14). Ce lien entre le péché humain et les dommages causés à la planète est clairement établi dans ce passage – et aussi dans Osée 4 et dans d'autres textes bibliques. Notre conviction, c'est que Dieu est plus à notre écoute lorsque nous pratiquons la justice (Esaïe 58) et que nous nous repentons.

Vous-même, comment vous inscrivez-vous dans une certaine forme de lutte contre le réchauffement climatique et la baisse de la biodiversité ?

A titre professionnel, je suis engagé à plein temps dans l’organisation A Rocha, parce que j'ai eu cette conviction que Dieu m'a appelé à parler de ce sujet. Mais que puis-je faire, que pouvons-nous faire à titre personnel ?

D’abord, il est important d’en parler. La climatologue américaine évangélique Catherine Hayhoe explique que la chose la plus importante est de parler autour de soi, afin que les gens soient interpellés et prennent conscience du problème.

J'essaie de progresser sur ce chemin. Par exemple, j'utilise le moins possible ma voiture, au profit de la marche et du vélo. Et cela, c'est du gagnant-gagnant : j'économise de l'argent, je pollue moins et je suis en meilleure santé physique que si je prenais tout le temps ma voiture. De plus, des études montrent que la marche est excellente contre l'anxiété et le stress.

 

(1) Résumé de l’interview de Jean-François Mouhot, directeur d’A Rocha France, diffusée le 15 février 2023 dans l’émission « Un R d'actu », sur Radio R (radio-r.ch). Les propos étaient recueillis par Serge Carrel. L’adaptation écrite est de Claude-Alain Baehler.

(2) Vous pouvez demander à recevoir cette lettre sur le site internet d’A Rocha France : https://france.arocha.org/fr.

 

Ecoutez l’interview complète sur Radio R : https://radio-r.ch/actualite/face-a-lecoanxiete-jean-francois-mouhot-directeur-da-rocha-france

A Rocha Suisse : https://switzerland.arocha.org/fr

A Rocha France : https://france.arocha.org/fr

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