« Chrétien vivant dans une société à majorité musulmane, je voulais en savoir plus sur l’islam (…) ; ce que je recherchais était de construire des ponts entre la communauté chrétienne et la communauté musulmane qui vivaient au sein de la même société » (p. 15). Chawkat G. Moucarry est un chrétien évangélique né en Syrie. Après avoir vécu en France, il travaille aujourd’hui en Grande-Bretagne comme directeur des relations interreligieuses dans l’organisation humanitaire chrétienne Worldvision.
Avec La foi à l’épreuve. L’islam et le christianisme vus par un Arabe chrétien, ce théologien évangélique propose une « approche aussi positive que possible » de la religion musulmane. Il développe un dialogue constant entre les textes fondateurs de l’islam et du christianisme, plus précisément entre une perspective musulmane sunnite et une perspective évangélique. « Les chrétiens doivent faire attention, relève Chawkat Moucarry, à ne pas dédaigner la part de vérité qui se trouve dans l’islam ou l’œuvre que Dieu accomplit dans la vie des musulmans. Ils doivent être disposés à apprendre des musulmans et peut-être à remettre en question certaines de leurs croyances et de leurs pratiques » (p. 286).
Ce dialogue entre islam et christianisme se déroule en cinq temps. Tout d’abord Chawkat Moucarry s’attache à la relation que le Coran entretient avec la Bible. Il se penche ensuite sur la notion de salut en islam et en christianisme. La manière d’envisager Jésus occupe la troisième partie du livre. Le statut du prophète Muhammad et de l’islam des points de vue musulman et chrétien vient ensuite. La foi à l’épreuve se termine par l’examen de questions d’actualité qui, souvent, constituent des obstacles importants dans les relations entre croyants des deux religions.
Le Coran et la Bible
Dans le dialogue entre musulmans et chrétiens, la question de l’authenticité des textes de référence arrive souvent rapidement sur la table. Le Coran et la tradition prophétique, le Hadith, affirment que les Ecritures juives et chrétiennes auraient été « falsifiées ». Chawkat Moucarry examine ce qu’il faut entendre par « falsification ». Le texte lui-même a-t-il été modifié par les juifs ou les chrétiens, ou s’agit-il du sens de l’Ancien ou du Nouveau Testament qui aurait été mal compris ? Sur ce point les commentateurs du Coran et de la tradition prophétique divergent. Le théologien évangélique se permet de rappeler que la thèse comme quoi la Bible a été falsifiée « est non fondée et incohérente » (p. 75). Pour justifier une telle affirmation, il relève notamment que l’étude des manuscrits vient infirmer cette perspective : « La Bible a été transmise avec une fidélité exceptionnelle. Les variantes textuelles ne sont pas de nature à mettre en question l’intégrité des manuscrits bibliques » (p. 77). Le directeur des relations interreligieuses de Worldvision relève aussi que toute approche rationalisante ou littéraliste n’est pas adéquate. Pour l’étude des Ecritures, il importe d’adopter « un esprit ouvert éclairé par l’Esprit saint qui les a révélées. Une telle attitude, dépourvue de préjugés, est à même de résoudre les apparentes contradictions du texte biblique » (p. 82).
La signification du salut
Islam et christianisme n’appréhendent pas la réalité du salut de la même manière. Dans le Coran, Dieu est radicalement différent de notre réalité, et unique. Il est aussi bon et aimant, mais il n’est pas amour, comme le relève avec force le Nouveau Testament. « L’amour de Dieu est quelque chose de bien plus profond que sa bonté », relève Chawkat Moucarry (p. 91). Toute la dynamique de l’Evangile est là pour nous rappeler que Dieu s’engage dans notre monde, qu’il vient, au travers de Jésus, révéler l’ampleur de son amour à l’humanité, en offrant sa propre vie sur la croix pour le salut de tous. « Notre Juge est devenu notre Sauveur », souligne le théologien évangélique (p. 96).
Par ailleurs, la conception du péché n’est pas identique. En islam, le péché est avant tout moral, alors qu’en christianisme évangélique, c’est l’indice d’une révolte fondamentale de l’être humain contre Dieu. « L’islam ne reconnaît pas notre déchéance morale ni, par conséquent, la nécessité de notre rédemption. En islam, l’homme, bien que pécheur, peut se présenter devant Dieu qui est bon, muni de ses bonnes actions dans l’espoir d’être sauvé. En outre, l’idée que Dieu ait voulu par Jésus-Christ s’identifier aux hommes en vue de prendre sur lui leur péché et réaliser ainsi leur salut, paraît aux musulmans totalement indigne du Créateur » (p. 114).
Prophète ou Fils de Dieu ?
La personne de Jésus est au cœur du débat entre chrétiens et musulmans. Ce débat s’articule autour de deux axes principaux. Le premier : l’authenticité du récit de la mort et de la résurrection de Jésus ; le second : la divinité de Jésus. Grâce à sa maîtrise de l’arabe, Chawkat Moucarry nous emmène dans une compréhension fine de quelques versets du Coran parmi la centaine qui parlent de : « Isa, fils de Marie » (Jésus).
La compréhension musulmane traditionnelle de la mort et de la résurrection du Christ « consiste à dire que Jésus n’est pas mort, Dieu l’ayant élevé à lui avant qu’il soit arrêté. Jésus reviendra sur terre, et lorsqu’il aura achevé sa mission, il mourra d’une mort naturelle » (p. 137). Cette interprétation ne va pas sans difficultés et certains commentateurs du Coran le reconnaissent. Mais la conviction quant à la vérité des propos de Muhammad, est si forte qu’elle fait taire toute lecture différente de ce qui est au cœur de la foi chrétienne.
En arrière-plan, explique le directeur des relations interreligieuses à Worldvision, la vision musulmane de Dieu est un obstacle majeur à une autre compréhension. Notamment le fait que Dieu est fidèle à ses messagers : il n’a donc pas pu abandonner Jésus à la mort. Et le fait que Dieu est invincible : donc « les juifs n’ont pas réussi à mettre Jésus à mort » !
Après avoir raconté l’histoire de l’apôtre Pierre et sa découverte de Jésus comme le Messie, Chawkat Moucarry avance des « preuves de la mort et de la résurrection de Jésus », construites sur la fiabilité d’un témoignage qui précède de quasi six siècles les interprétations coraniques.
Le second axe du débat autour de la personne de Jésus a trait à sa divinité. L’auteur de La foi à l’épreuve effectue un parcours des titres donnés à Jésus par le Coran. Reconnu comme prophète et apôtre par les musulmans, Jésus est confessé comme Parole de Dieu, Messie… et Fils de Dieu par le Nouveau Testament. Une telle confession, même si elle froisse le musulman, est dans la logique de ce que les évangiles relatent de Jésus : sa parole est parole de Dieu, il pardonne les péchés, son autorité est supérieure à la loi de Dieu, il est le juge du Jugement dernier, il est « le chemin, la vérité et la vie », il est un avec le Père… Pour intégrer de telles revendications, il importe, pour Chawkat Moucarry, de faire de la place à un monothéisme trinitaire que véhicule le christianisme « orthodoxe », par-delà les diverses confessions, et de ne pas se laisser impressionner par le monothéisme unitaire de l’islam, qui rejette l’existence de relations interpersonnelles en Dieu : entre le Père, le Fils et l’Esprit.
Muhammad en islam et en christianisme
Dans la quatrième partie de son livre, Chawkat Moucarry s’intéresse aux « preuves » qui sont avancées par le Coran et d’autres écrits des débuts de l’islam pour affirmer que Muhammad est un Prophète envoyé par Dieu. Le théologien évangélique passe en revue les « miracles éclatants » attribués au fondateur de l’islam, la preuve du « glorieux Coran », du « message parfait » et de l’« hégémonie de l’islam ». A partir des critères mis en place par le Nouveau Testament pour évaluer la pertinence d’une prophétie, il constate que les miracles ne constituent pas une preuve, que le Coran est certes un message cohérent en lui-même, mais qu’il n’est pas cohérent avec le donné biblique. Le message du Dieu Sauveur, présent à la fois dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, manque dans le livre fondateur de l’islam. En fait, constate Chawkat Moucarry, « il manque au Coran ce qui est au cœur de l’Evangile, à savoir la bonne nouvelle de l’amour rédempteur de Dieu manifesté en Jésus-Christ » (p. 272).
En conclusion de cette partie, Chawkat Moucarry constate que « le chrétien souscrit sans réserve à la première partie du credo musulman : ‘J’atteste qu’il n’y a de dieu que Dieu.’ Mais il ne peut, sans faire fi de sa foi, adhérer à la seconde partie : ‘Et que Muhammad est l’Envoyé de Dieu’ » (p. 279). Les contradictions qui opposent le Coran et la Bible concernant Jésus attestent que le Coran n’est pas la Parole de Dieu et que Muhammad ne répond pas aux critères de la prophétie biblique.
***
Après avoir examiné quelques questions d’actualité qui influencent fortement les relations entre musulmans et chrétiens, Chawkat Moucarry termine La foi à l’épreuve par une invitation à ce que chaque communauté, chrétienne ou musulmane, soit témoin de Dieu, en renonçant à l’ignorance mutuelle et à la confrontation. « Qu’elles fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour s’écouter, se comprendre… et travailler ensemble, autant que faire se peut, au bien de la société dans son ensemble », lance-t-il (p. 321).
Serge Carrel
Chawkat G. Moucarry, La foi à l’épreuve. L’islam et le christianisme vus par un Arabe chrétien, Charols, Excelsis, 2014 2, 368 p.