Dietrich Bonhoeffer est un théologien allemand de la première moitié du XXe siècle qui fascine encore et toujours aujourd’hui. Pour preuve, l’imposante biographie que lui a consacrée Eric Metaxas, un écrivain évangélique étasunien. Cette biographie vient de paraître en français : sur 672 pages, vous découvrez un chrétien à la spiritualité très proche des milieux évangéliques – l’importance de la Bible dans la piété personnelle, la prière, le goût pour la vie communautaire… – qui va développer une résistance forte à l’idéologie national-socialiste, au point d’entrer dans une conspiration contre Hitler et de mourir pendu par les nazis le 9 avril 1945.
Après Wilberforce, Bonhoeffer
Dans le domaine des biographies de personnalités chrétiennes marquantes, Eric Metaxas n’en est pas à son coup d’essai. Il a publié en 2007 une biographie de William Wilberforce, l’une des principales chevilles-ouvrières de l’abolition de l’esclavage à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle en Angleterre. Avec Bonhoeffer, pasteur, martyr, prophète, espion (1906-1945), on découvre le parcours d’un fils de l’aristocratie berlinoise, brillant, qui, même si son père, neuropsychiatre, n’est pas engagé dans la foi chrétienne, se résout à 13 ans à vouloir entreprendre des études de théologie. A 17 ans, en 1923, Dietrich Bonhoeffer entre à la Faculté de théologie de Tubingen. Puis en 1924, de retour à Berlin, il suit à la Faculté de théologie de cette ville les cours d’Adolf von Harnack, une figure marquante du libéralisme théologique. De manière surprenante, Dietrich Bonhoeffer ne succombe pas aux sirènes de ce courant théologique qui fait peu de cas de la divinité de Jésus, de sa mort sur la croix pour nous et de sa résurrection. Il découvre plutôt les écrits de Karl Barth qui enseigne à Bonn et devient un proche de ce jeune théologien suisse que certains qualifient de « néo-orthodoxe ». Tout comme Barth, Bonhoeffer considère « les textes bibliques ‘non uniquement comme des sources historiques, mais comme des agents de révélation’ », explique Eric Metaxas (p. 87). Dietrich Bonhoeffer obtient sa thèse de doctorat en 1927, puis hésite entre le pastorat et une carrière universitaire.
« Etait-il né de nouveau ? »
En 1930, cet enfant prodige de la théologie part pour New York afin d’y parfaire sa formation à l’Union Theological Seminary. Il y trouve l’enseignement de moindre qualité qu’en Allemagne et trop orienté sur la pratique. Eric Metaxas – et c’est une particularité de sa biographie – considère que, durant cette année outre-Atlantique, Bonhoeffer découvre une foi vivante dans le cadre d’une Eglise noire de Harlem : l’Eglise baptiste d’Abyssinie. « Pour la première fois, explique Eric Metaxas, Bonhoeffer vit la Bonne Nouvelle prêchée et vécue en obéissance aux commandements de Dieu. Il était subjugué… » (p. 144). Cette expérience dans une Eglise noire a des conséquences importantes dans la vie de Bonhoeffer. « Dans ces Eglises, il avait entendu l’annonce de l’Evangile, il avait observé une véritable piété au cœur de ce peuple souffrant. Les sermons enflammés et les joyeuses louanges accompagnées de chants avaient ouvert ses yeux à autre chose et l’avaient changé. Etait-il ‘né de nouveau’ ? » (p. 163), s’interroge Eric Metaxas, sans franchement répondre.
De retour à Berlin en été 1931, Dietrich Bonhoeffer devient maître de conférence en théologie à l’Université de Berlin. « Il désirait faire de ses étudiants des ‘disciples’ en les initiant à une vraie vie chrétienne. Le projet était vaste, allant de la compréhension des événements actuels dans une optique biblique, à la lecture de la Bible, non pas uniquement comme des étudiants en théologie, mais comme des disciples de Jésus-Christ » (p. 168).
L’arrivée au pouvoir d’Adolphe Hitler le 31 janvier 1933 marque l’entrée en résistance de Dietrich Bonhoeffer. Il le signifie dans le cadre de ses prédications en critiquant l’idolâtrie que véhicule le national-socialisme et en invitant l’Eglise protestante allemande à refuser le « paragraphe aryen », qui visait notamment à exclure du ministère tout pasteur qui avait du « sang juif » dans les veines.
Un des leaders de l’Eglise confessante
Dans ce contexte extraordinairement tendu entre chrétiens disposés à collaborer avec le régime et chrétiens souhaitant marquer un refus de cette idéologie de mort, Dietrich Bonhoeffer devient l’une des figures de proue de l’« Eglise confessante ». Ce mouvement au sein du protestantisme allemand prend ses distances avec les « Chrétiens allemands », les membres de l’Eglise du Reich qui sont prêts à appuyer l’Etat nazi. Dans un tel contexte, pour Bonhoeffer, l’Eglise peut aider l’Etat de trois manières : en le questionnant sur ses actions et leur légitimité, en aidant les victimes de l’action de l’Etat et en mettant les bâtons dans les roues des actions entreprises par ce dernier. « Le temps venu, il les mettrait les trois en œuvre », relève Eric Metaxas (p. 203).
En 1935, Dietrich Bonhoeffer prend la direction d’un lieu de formation qui va permettre aux pasteurs de l’Eglise confessante d’acquérir des compétences pour entrer en service dans l’Eglise. Ce lieu de formation s’installe finalement à Finkenwalde au nord-ouest de la Pologne actuelle. « Bonhoeffer voulait vivre comme dans une sorte de communauté monastique, basée sur les enseignements de Jésus à ses disciples lors du Sermon sur la montagne, où l’on ne vivait pas simplement comme un étudiant en théologie, mais comme un disciple du Christ », souligne Eric Metaxas. Finkenwalde est fermé par la Gestapo en été 1937. Même si le totalitarisme nazi imprègne de plus en plus la société allemande, Dietrich Bonhoeffer continue à former de jeunes pasteurs. Il le fait au travers de « pastorats collectifs » : sous la direction d’un pasteur en place, de jeunes pasteurs vivent en communauté et desservent une paroisse donnée.
Des pasteurs, disciples de Jésus seul
Début 1938, alors que les bruits de bottes commencent à se faire entendre en Europe, Dietrich Bonhoeffer est arrêté par la Gestapo et bannit de Berlin. Il continue d’animer la formation des jeunes pasteurs dans le cadre de l’Eglise confessante, mais commence, de par ses relations familiales, à tremper dans un complot contre Hitler. Début 1939, Dietrich Bonhoeffer est de plus en plus sous pression pour entrer dans l’armée allemande. Grâce à différents subterfuges, il était parvenu jusqu’ici à y échapper. Objecter était difficile. « Ce refus pouvait avoir de grandes répercussions : si le responsable de l’Eglise confessante s’opposait à prendre les armes pour l’Allemagne, toute l’Eglise confessante serait mal considérée », relève Eric Metaxas (p. 403). Le 22 mai, il reçut l’ordre de s’engager dans l’armée, mais le 4 juin il se mit en route pour les Etats-Unis. Il passa 26 jours à New York, mais très mal à l’aise face au choix qu’il avait fait, il rentre en Allemagne pour reprendre sa place dans le combat de l’Eglise confessante.
Assassiner Hitler
Toujours à la tête de la formation des pasteurs dans ces « pastorats collectifs », Bonhoeffer connaît une situation de plus en plus précaire. Finalement son beau-frère qui complotait contre Hitler propose à Bonhoeffer d’entrer dans l’Abwehr, un des services de renseignement de l’Allemagne nazie. La Gestapo le laisserait tranquille. « Un autre point positif était qu’en tant que membre éminent des services de renseignement allemands, Bonhoeffer serait à l’abri de faire son service militaire » (p. 461). Bonhoeffer était donc à la fois pasteur de l’Eglise confessante, ce qui constituait un camouflage idéal pour ses activités de renseignement ; il avait un mandat d’espion pour l’Allemagne nazie et, dans le même temps, il était actif pour assassiner Hitler et mettre fin au régime nazi. « Selon la célèbre formule de Luther, il était en train de ‘pécher avec audace’. Il était maintenant engagé dans un jeu à haut risque, allant de supercherie en supercherie. Et malgré tout cela, Bonhoeffer savait lui-même qu’il était dans une entière obéissance à Dieu. Pour lui, c’était le cantus firmus (la mélodie de base) qui rendait parfaitement cohérentes les complexités étourdissantes de cette affaire » (p. 462).
Le 5 avril 1943, Dietrich Bonhoeffer est arrêté par la Gestapo, le même jour que son beau-frère Hans von Dohnanyi. Il passera les deux années suivantes en prison et sera pendu, très certainement sur ordre d’Hitler lui-même, à Flossenbürg en Bavière, le 9 avril 1945. Un mois avant le suicide d’Hitler et la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Se confier en Dieu
En tournant la dernière page de ce qui a tout d’un roman historique, vous ne pourrez que sentir l’émotion vous étreindre. Et l’une des dernières phrases de cette biographie signée Eric Metaxas, en fait une citation de Dietrich Bonhoeffer, résonnera dans votre esprit : « Tant que je me confie en Dieu, je ne peux que me réjouir » (p. 670).
Serge Carrel