Sommet de l’ONU à New York : les oeuvres d’entraide helvétiques expriment leur mécontentement

lundi 12 septembre 2005
De mercredi à vendredi, un sommet spécial de l’ONU à New York dressera un bilan de l’avancement des travaux en vue de réaliser d’ici 2015 les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Vendredi dernier à Berne lors d’un symposium, les deux oeuvres d’entraide chrétiennes, Action de Carême et Pain pour le prochain, ont fait part de leur déception devant le peu d’envergure de la politique helvétique en la matière. Antonio Hautle, directeur de l’Action de Carême, a exprimé sa « honte » devant la politique actuelle du Conseil fédéral. Peter Niggli, le directeur d’Alliance Sud, la communauté de travail des plus grandes oeuvres d’entraide de Suisse, a dressé un bilan très critique de la manière dont la Confédération déclinait les objectifs pour éradiquer de moitié d’ici 2015 la pauvreté sur la planète.

Peter Niggli, où en est la Suisse par rapport aux Objectifs du Millénaire pour le développement ?
Le Conseil fédéral soutient ces objectifs, mais il ne veut pas en tirer les conséquences financières. Il a décidé que la Suisse est actuellement trop pauvre pour augmenter son aide aux pays les plus démunis. D’après lui, notre pays ne peut pas suivre les décisions des gouvernements de l’Union européenne qui vont augmenter leur aide au développement à 0,56 % du revenu national brut (RNB) d’ici 2010, et jusqu’à 0,7 % en 2015.
En fait cette décision a été prise dans un contexte de politique politicienne, voilà trois mois. On a réalisé ensuite que l’on devait dire quelque chose à New-York cette semaine et on se trouve dans l’embarras. Dire que la Suisse est trop pauvre pour augmenter son aide au développement passe mal. Affirmer que la Suisse ne veut pas participer aux discussions internationales sur les nouveaux instruments financiers pour le développement nous fait perdre la face.

Pourtant la Suisse a réussi à augmenter son aide publique au développement, puisque celle-ci est passée à 0,41 % en 2004?
Au sein de l’administration fédérale, on a réfléchi à la manière de bien « vendre » la décision du Conseil fédéral. On a mis en avant que le gouvernement avait atteint le but qu’il s’était fixé pour l’aide au développement : franchir la barre des 0,4 % du RNB. Par cette augmentation, nous sommes aujourd’hui à la 8e place des 22 pays de l’OCDE qui ont un budget pour l’aide au développement.
En fait, nous avons franchi ces 0,4% grâce à un changement dans le calcul du taux. Aujourd’hui, on y inclut les dépenses pour les requérants d’asile durant leur première année de séjour en Suisse. L’an dernier, les 235 millions consacrés aux requérants nous ont donc permis d’atteindre ces fameux 0,4 %.

En tant que responsable d’Alliance Sud, comment appréhendez-vous cette nouvelle démarche comptable ?
En soi, nous n’avons rien contre cette manière de calculer. D’autres pays font de même. Il est toutefois évident que ces dépenses n’ont rien à voir avec l’aide au développement. Ce que nous souhaitons, c’est que le Conseil fédéral se fixe des buts pour atteindre les objectifs du Millénaire. Il devrait suivre les décisions de l’Union européenne et affirmer sa volonté de consacrer d’ici 2010 0,56 % de notre RNB à l’aide au développement et d’ici 2015 0,7%.

Ces dernières années, la société civile était associée à la délégation qui participait aux débats à l’ONU. Cette année, vous ne figurez pas au sein de la délégation officielle, pourquoi ?
Nous avons demandé officiellement au Département des affaires étrangères à être intégrés à cette délégation, mais mercredi dernier on nous a fait savoir que nous n’y avions pas de place.
Nous ne connaissons pas exactement les raisons qui ont poussé le Conseil fédéral à refuser notre présence, mais il est possible qu’une majorité de notre gouvernement pense que les critiques des oeuvres d’entraide sur le dossier des OMD les dispensent de toute participation à la délégation qui se rend à New York.

Ce refus vous fâche-t-il?
A mon sens, cette décision est une erreur. Sur la scène internationale, la Suisse s’est profilée comme un exemple par son intégration des représentants de la société civile dans les négociations internationales importantes. Elle encourage même d’autres pays à faire comme elle. A cause d’un changement de climat au Conseil fédéral, on modifie la pratique qui prévaut depuis plus d’une dizaine d’années.

Cette crispation autour de l’aide au développement n’est-elle pas le reflet de ce qui se passe aujourd’hui dans l’opinion publique : les temps ne sont plus à la solidarité avec le Sud ?
A mon sens, il n’y a pas eu de changement profond dans l’attitude des Suisses à l’endroit des pays en voie de développement. Parmi les parlementaires fédéraux, oui, mais pas parmi la population. Depuis une vingtaine d’années, nous réalisons des sondages d’opinion pour connaître l’attitude des Helvètes par rapport à l’aide au développement. On peut dire que plus de 80 % de la population y est favorable – et c’est là un chiffre quasiment stable ! Une grande majorité des Suisses le sont pour des raisons éthiques ou religieuses. La majorité des personnes sondées pensent que la Confédération distribue une aide au développement qui correspond au double des sommes engagées dans ce domaine aujourd’hui. Une minorité en augmentation considère même qu’il faut en faire davantage.

Ces prochaines années, que vont faire les oeuvres d’entraide pour alimenter ce désir de solidarité avec le Sud ?
Après les vacances d’automne, le Conseil fédéral va débattre de la contribution de la Suisse à la cohésion de l’Union européenne. Il nous faudra débourser un milliard de francs, une somme qui est le prix à payer pour les Bilatérales II. Notre gouvernement a décidé l’an dernier que ce montant serait prélevé sur les sommes consacrées à l’aide au développement. Nous nous opposons à cette décision. Un tel prélèvement semble éthiquement douteux. De nombreux parlementaires, y compris dans le camp bourgeois, ne sont pas à l’aise avec cette solution. Ce sera donc un objet de lutte ces prochains mois.

Propos recueillis par Serge Carrel

  • Encadré 1: Bio express
    Peter Niggli est le directeur d’Alliance Sud, la communauté de travail des plus grandes oeuvres d’entraide de Suisse : Action de carême, Pain pour le prochain, Swissaid, Helvetas, Caritas et l’EPER. En 2004, il a publié « La mondialisation, et après... Quel développement au 21e siècle ? ».
  • Encadré 2: Les Objectifs du Millénaire pour le développement en bref
    En 2000, les chefs d’Etat de la planète ont adopté dans le cadre de l’ONU la Déclaration du Millénaire pour le développement (OMD). Ils se sont engagés d’ici 2015 à réaliser 8 objectifs tangibles : réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim, donner les moyens à tous les enfants de la planète d’achever un cycle primaire, promouvoir l’égalité des sexes, réduire de deux tiers la mortalité des moins de 5 ans, réduire de trois quarts la mortalité des femmes qui accouchent, stopper la propagation du sida, assurer un développement durable et mettre en place un partenariat mondial pour le développement.
    5 ans après l’énoncé de ces 8 objectifs, un sommet de l’ONU dressera de mercredi à vendredi à New York un premier bilan de ce processus.
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