« L'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. » Cette affirmation massive est de Jacques Monod, dans la conclusion de son célèbre ouvrage Le hasard et la nécessité (1970), qui marque l'époque de la découverte de l'ADN et du code génétique. Une phrase célèbre citée à trois reprises par les conférenciers de la sixième journée du Réseau des scientifiques évangéliques (RES), qui a rassemblé près de 80 participants à Paris, le 18 janvier.
Ce thème du hasard pose la question du sens de la vie, qui taraude chacun d'entre nous lorsque nous osons regarder en face notre fragilité. La question fait débat parmi les scientifiques. On se souvient de la célèbre phrase d'Einstein : « Dieu ne joue pas aux dés. » Les chrétiens de leur côté partent souvent de l'idée préconçue que Dieu et hasard s'excluent : « Pas un moineau ne tombe à terre sans votre Père. Même vos cheveux sont tous comptés » (Mt 10,29).
Dieu et hasard ne s'excluent pas !
Un apport interdisciplinaire était indispensable pour faire la lumière sur la question. La richesse, la diversité et la qualité des intervenants à Paris étaient au rendez-vous. Marc-André Dupertuis, chercheur et maître d'enseignement à l'EPFL, et Ard Louis, professeur associé de physique théorique à l'Université d'Oxford, ont montré la place qu'a prise le hasard en physique et en biologie au XXe siècle. En physique, la célèbre affirmation d'Einstein s'est trouvée invalidée par l'expérience (il y a du « vrai » hasard dans les phénomènes à l'échelle microscopique, celle de la mécanique quantique – expériences d'Alain Aspect entre 1980 et 1982). En biologie, l'étude des phénomènes d'auto-organisation des systèmes complexes fait apparaître l'étonnant pouvoir des processus aléatoires pour engendrer des structures telles que celles du vivant – et ce peut être la manière la plus efficace de les produire. Pourquoi alors ne pas admettre le hasard comme faisant partie de la création et des lois de la physique, sujet permanent d'émerveillement pour le scientifique croyant ?
La contribution de Peter Clarke, professeur associé (retraité) au Département de neurosciences fondamentales de l'Université de Lausanne, a abordé la question de la relation entre le quasi-déterminisme qui caractérise le fonctionnement du cerveau et la liberté humaine.
La souveraineté de Dieu à un autre niveau !
Du côté théologique, Emile Nicole, professeur retraité d'Ancien Testament et d'hébreu à la Faculté libre de théologie évangélique à Vaux-sur-Seine, a apporté un éclairage biblique remarquable arrimé sur le livre de l'Ecclésiaste. Quant à Lydia Jaegger, directrice des études à l'Institut biblique de Nogent-sur-Marne, elle nous a fait bénéficier des regards croisés de la physique, de la philosophie et de la théologie pour articuler hasard et liberté humaine d'une part, hasard et action de Dieu dans le monde d'autre part. De quoi tordre le cou aux fausses oppositions qui parasitent souvent le débat entre science et foi. Car l'action de Dieu ne se situe pas en concurrence avec les causes naturelles qu'étudie la science, ni avec l'absence de cause que nous qualifions de hasard. La souveraineté de Dieu s'exerce à un autre niveau. La foi au Dieu créateur n'ajoute pas un niveau de causalité transcendante aux causes naturelles, mais donne sens à un dessein dans lequel s'inscrit notre vie d'êtres humains. Cette foi nous permet de reconnaître dans l'action de Dieu comme dans celle de l'homme une source de nouveauté. Ainsi l'oratrice s'inscrit-elle en faux contre la confession de foi athée de Jacques Monod, sans rien renier de la théorie scientifique de l'évolution. Le hasard qui se loge dans la mécanique évolutive du vivant ne contredit en effet en rien le dessein du créateur.
Confiance, reconnaissance et obéissance
Mais comment cela s'inscrit-il dans la vie du croyant ? Que faire quand des événements contraires semblent contredire la foi en la providence de Dieu ? David Brown, pasteur et président des GBU, terminait la journée par une méditation sur notre quotidien, appelant à une attitude qui allie confiance, reconnaissance et obéissance. Entre la volonté secrète de Dieu et sa volonté morale se situe un espace de liberté, dans lequel nous ne sommes pas appelés à chercher une volonté prédéterminée comme par une sorte de chasse au trésor, mais à entrer librement dans son dessein, qui nous prédestine à être « conformes à l'image de son Fils ».
Silvain Dupertuis