« L’église d’Aïn el Turk, d’Oran... » Le pasteur Youssef Yacob énumère les églises fermées dans l’ouest du pays, dont certaines ont été mises sous scellés. Puis il ajoute que le sud du pays est aussi concerné ainsi que quatre églises en Kabylie. C’est un comité composé de fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses, de la gendarmerie nationale, du département du renseignement et des pompiers qui a visité 25 églises sur les 45 qui sont affiliées à la principale Eglise d’Algérie, l’Eglise protestante d’Algérie (EPA). Ce comité a ordonné la fermeture de certaines d’entre elles avec le motif qu’elles ne sont pas en règle. L’EPA est pourtant reconnue officiellement par le gouvernement depuis 1974. « Le but est de fermer toutes les églises en Algérie, déclare par téléphone portable le pasteur, probablement sur écoute et qui a pris un nom d'emprunt. Enfin: d'en limiter le nombre en tous les cas. »
L’Alliance évangélique mondiale a réagi auprès des autorités, de même que la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme : toutes deux invoquent la liberté religieuse et la liberté de culte.
Persécution individuelle
Au niveau individuel, deux responsables chrétiens ont été condamnés à deux ans de prison pour prosélytisme, indique le pasteur. Une autre source témoigne qu’un jeune de l’église de Tizi Ouzou en Kabylie vient d’être condamné à 6 mois de prison ferme et à 20'000 dinars d’amende pour le même motif. Un libraire de littérature chrétienne a aussi dû fermer boutique, de même que deux écoles bibliques. C’est l’ordonnance de 2006 qui est alors invoquée puisqu’elle prévoit des peines de prison contre toute personne qui « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tentant de convertir un musulman à une autre religion ». Il faut dire que la multiplication des conversions au christianisme agace le gouvernement, qui veut freiner ce qu’il appelle « un phénomène néfaste ».
Dans les faits, « on n’a pas vraiment besoin de parler de notre foi chrétienne, déclare Youssef Yacob. Des personnes musulmanes se convertissent par le biais de télévisions ou de radios chrétiennes, par exemple. Après, elles recherchent la proximité de chrétiens qui pourraient répondre à leurs questions. Et puis le Saint-Esprit touche beaucoup de cœurs », estime-t-il.
Explications demandées
Mais pourquoi est-ce que le gouvernement algérien exerce de nouvelles pressions maintenant ? « La liberté religieuse est une liberté fondamentale que l’Etat doit garantir, rappelle à Genève Wissam al-Saliby. A aucun moment le gouvernement algérien n’a avancé l’hypothèse que l’église jouait un rôle politique ou sécuritaire. Il faut donc qu’il clarifie pourquoi il mène cette campagne actuellement contre les églises. »
Selon le politologue Hasni Abidi, la religion est souvent utilisée en Algérie pour faire diversion sur les vrais enjeux du pays, qui sont en l’occurrence une situation politique bloquée et des turbulences au niveau socio-économique.
Cela dit, c’est à Oran que les dernières églises ont été mises sous scellés, justement là où la cérémonie de béatification de 19 martyrs chrétiens – dont les célèbres moines de Tibhirine – pourrait intervenir cet automne. Une célébration délicate dans ce pays qui a été meurtri par 200'000 morts dans les années 90, face à l’islam armé. Ces béatifications en Algérie mettent en fait en évidence le paradoxe d’une Eglise invitée « à exister sans se faire remarquer, à témoigner sans chercher à convertir », selon les mots d’un journaliste français.
Gabrielle Desarzens
« Fermetures d'Eglises en Algérie » dans Emission Hautes Fréquences sur RTS La Première.