Pour Miroslav Volf : « Des convictions exclusivistes ne constituent pas un obstacle à une société pluraliste »

mercredi 24 juin 2015 icon-comments 1

Pendant son passage à l’Université de Fribourg, Miroslav Volf a donné six conférences. Celle qui a le plus intéressé les évangéliques portait sur « Exclusivisme religieux et pluralisme politique ». Echos.

« Le fondateur de l’Etat américain de Rhode Island, l’Anglais Roger Williams, était un exclusiviste religieux. Ce chrétien convaincu a été le fondateur du premier Etat où prévalait la liberté de conscience et le pluralisme politique ! » Le jeudi 11 juin, lors de sa troisième conférence à l’Aula magna de l’Université de Fribourg, le théologien et professeur à l’Université de Yale, Miroslav Volf, a apporté un cruel démenti à tous ceux qui, dans notre société, pensent que des convictions fortes en matière religieuse entraînent de l’intolérance et de l’extrémisme du point de vue politique. La preuve : le premier Etat au monde qui a instauré la liberté de conscience, la démocratie et la séparation du religieux et du politique a été fondé par un chrétien exclusiviste, le baptiste Roger Williams, en 1636, à Providence aux Etats-Unis.

Deux impasses : le monopole et l’exclusion

Trop longtemps nos sociétés ont usé du religieux pour légitimer l’Etat et donner à une seule conviction religieuse le monopole de l’espace public. Ce fut le cas – et c’est encore le cas de manière atténuée dans des cantons comme Vaud, Berne ou Fribourg ! – dans nos sociétés européennes, qui bannirent les divergences d’opinion en excluant ou en marginalisant les individus qui les incarnaient. A l’heure du pluralisme religieux globalisé du XXIe siècle, une telle voie est une impasse pour gérer les relations entre religieux et politique.

Pour faire face à ces croyants exclusivistes que l’on ne trouve pas uniquement dans le christianisme, mais aussi dans l’islam, l’hindouisme et le bouddhisme – selon Miroslav Volf, approximativement 2,5 milliards de personnes sur la planète seraient des croyants exclusivistes ! –, nombre de responsables politiques occidentaux ne voient qu’une solution : exclure la foi de l’espace public. Par crainte de voir les religions entraîner conflits et chaos, il s’agit d’utiliser les instruments de l’Etat pour maîtriser et dominer le religieux. Faut-il, comme Jean-Jacques Rousseau le souhaitait dans son Contrat social, vraiment exclure les croyants exclusivistes de l’espace public ? « Ces croyants seraient alors confinés dans l’espace privé et ne pourraient pas déployer leur discours et leurs convictions en public. Ce qui serait dommageable ! » a déploré Miroslav Volf.

Donner du temps au temps

Certains sociologues de la religion, comme l’Américain Peter Berger, font confiance au travail du temps. « La mondialisation éroderait, selon eux, l’exclusivisme religieux en faveur de mentalités davantage pluralistes », a relevé Miroslav Volf. Il y aurait une sorte de « contamination cognitive » qui ferait douter de la pertinence de sa propre vision du monde. Au professeur de l’Université de Yale de constater que, dans la réalité, les choses se passent différemment : tous les croyants exclusivistes ne parviennent pas au pluralisme religieux. La cohabitation de représentants de différentes convictions religieuses entraîne même souvent le renforcement de l’engagement de chacun dans sa propre foi.

Le fait que le premier Etat dont la constitution a pleinement intégré le respect de la liberté de conscience soit l’œuvre d’un chrétien exclusiviste, amène, selon Miroslav Volf, des perspectives nouvelles. Aux Etats-Unis, la fondation de la ville de Providence en 1636, puis de l’Etat de Rode Island quelques années plus tard par le baptiste Roger Williams, atteste du fait que la séparation stricte de la religion et de l’Etat peut être l’œuvre de chrétiens convaincus. La constitution de cette « colonie » a instauré que la liberté de conscience valait pour tous, y compris « les papistes, les protestants, les juifs et les turcs » ! Tout cela parce que cette liberté de conscience se trouve dans la Bible. Pour Roger Williams, à aucun moment la foi ne peut être imposée à qui que ce soit. Elle est le fruit d’une décision personnelle, prise en toute liberté. De plus, Dieu ne force personne à croire. Il fait preuve de miséricorde aussi bien à l’endroit des justes que des injustes, comme le soulignent les Paraboles du Royaume de Matthieu 13 !

« Dieu est offensé par toute forme de contrainte en matière religieuse ! »

En prenant au sérieux la formule de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22.21), Roger Williams a marqué une rupture avec une valorisation de l’Ancien Testament où religion et politique sont étroitement liés, comme dans la loi de Moïse. Contrairement à ce que les Puritains américains de son temps préconisaient, il a mis en avant le fait que l’amour de Dieu pour les pécheurs et l’amour que Jésus invite à pratiquer à l’endroit du prochain a des conséquences politiques qui entraînent l’égalité de traitement entre tous, croyants et incroyants, dans la société civile. « Roger Williams croyait à la Bible de manière absolue et il a affirmé avec force : ‘Dieu est offensé par toute forme de contrainte en matière religieuse’ », a lancé Miroslav Volf.

Le professeur de Yale a conclu sa conférence en affirmant son espoir que « toutes les religions mondialisées aient les ressources suffisantes pour promouvoir le pluralisme politique et ne pas oppresser les croyants d’autres convictions, les agnostiques et les athées ! »

Serge Carrel

Pour aller plus loin : Miroslav Volf, A Public Faith. How Followers of Christ Should Serve the Common Good, Grand Rapids, Brazos Press, 2011, 174 p.

  • Encadré 1:

    Fribourg : 6 conférences de qualité avec Miroslav Volf

    Un théologien évangélique dans une faculté de théologie romande, c’est suffisamment rare pour marquer les esprits. Une équipe d’évangéliques romands ont assisté à l’enseignement de Miroslav Volf. Jean-René Moret, doctorant à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, dresse un bilan de l’ensemble.

    Miroslav Wolf était à Fribourg du 10 au 12 Juin pour les journées d'études « Glaube und Gesellschaft » (foi et société). Ces journées sont organisées par un centre d'étude protestant attaché à l'Institut œcuménique de la Faculté de théologie catholique de l'Université (étatique) de Fribourg. Autant dire que le public était varié, des évangéliques aux catholiques en passant par des réformés. L'expérience linguistique était aussi particulière, avec des conférences principalement en anglais, mais aussi en français et en allemand, pour un public là aussi bigarré.

    Le but avoué des conférences est de mettre en rapport réflexion académique solide et engagement social et spirituel chrétien. Pari réussi avec Miroslav Volf, qui a abordé le thème du rapport entre foi et globalisation, avec une approche chrétienne bien réfléchie, qui rejoignait son public. Les sujets abordés étaient variés : rapports entre religions et globalisation, violence et religion, « Les chrétiens adorent-ils le même Dieu que les musulmans ? », exclusivisme religieux et pluralisme politique, etc. Il était encourageant de voir de grandes questions qui engagent la société être traitées sur la base de convictions chrétiennes, et de voir ce souci de l'impact de la foi chrétienne partagé par les intervenants suisses issus de plusieurs confessions, Eglises ou universités.

    La globalisation renforce les identités religieuses

    Disons quelques mots du thème central. Le processus de la globalisation aplatit les frontières nationales et les différences culturelles. Surtout, il fait cohabiter dans de mêmes lieux des religions différentes, ce qui force à repenser leurs rapports respectifs. On pourrait penser que les grandes religions sont menacées par le brassage culturel, mais pour l'heure elles restent plutôt en croissance. De plus, la confrontation avec des idées différentes force les croyants à mieux savoir pourquoi ils croient, ce qui contribue à renforcer leur identité plutôt qu'à l'affadir.

    Par contre, la puissance des processus économiques à l'œuvre presse les religions à se mettre au service des besoins du marché : fournir de l'espoir, des valeurs et la discipline nécessaire au bon fonctionnement économique. De même, le risque des théologies de la prospérité est grand : faire de la foi un moyen pour obtenir la santé, la richesse, la longévité et la fécondité. Ces risques constituent des trahisons, pour une foi qui, par nature, dépasse l'horizon de la vie présente.

    A l'inverse, les religions, et la foi chrétienne en particulier, peuvent être une puissance pour contester l'absence de sens d'une croissance sans conviction. Miroslav Volf a bien montré que l'attachement à Dieu ne conduit pas à mépriser le monde présent, mais au contraire donne une signification aux bonnes choses de cette vie. Les plaisirs terrestres peuvent être pris comme dons de Dieu, dans le cadre d'une relation avec lui, ce qui décuple leur valeur. Mais cela dépend radicalement d'une visée qui dépasse le monde présent.

    jr-moretJean-René Moret

     

     

     

     

     

     

  • Encadré 2:

    Miroslav Volf aux yeux d’un chrétien lambda

    Sur recommandation de Thomas Salamoni, pasteur dans l’Eglise évangélique Arc-en-ciel à Gland, Philippe Moret a participé aux trois jours de conférences de Miroslav Volf. Son regard.

    On peut se demander quel est l'intérêt pour un évangélique qui n'est ni pasteur, ni théologien, d'aller assister à une conférence de trois jours dans un institut rattaché à une faculté de théologie catholique. Mon pasteur m'en a parlé et m'a recommandé l'orateur principal, Miroslav Volf (1), dont je ne connaissais pas grand-chose à l'avance.

    De l’intérêt pour la foi dans l’espace public

    Je pense tout d'abord que chaque chrétien est appelé à réfléchir à comment sa foi interagit avec l'extérieur, quels sont les actes et les paroles qui en découlent, quelle place on souhaite laisser à ceux qui ne pensent ou ne croient pas comme nous. N'étant pas souvent à l'aise avec une manière parfois maladroite de communiquer sur la place publique et l'image pas toujours réjouissante que notre milieu donne à nos contemporains, j'en ai fait un sujet de réflexion personnel depuis un moment déjà. Avoir l'occasion d'assister à cette conférence donnée par un orateur évangélique invité dans une faculté catholique a suscité ma curiosité, et m'a semblé être l'occasion d'alimenter mes réflexions. Et je n'ai pas été déçu !

    Parmi les éléments clés que je retiendrais il y a l'idée que l'on peut avoir une foi « exclusiviste » (on croit à une vérité valable pour tout le monde) et vouloir défendre un pluralisme politique (donner une place à toutes les autres manières de voir le monde) au nom même de cette foi. Car sans vraie liberté religieuse, il ne peut y avoir de conversion ou d'adhésion authentique à une foi. Croire à une vérité universelle n'implique ainsi pas d'user de coercition pour la faire partager à d'autres. La position de Miroslav Volf va également à l'encontre de l'idée que l'on est parfois tenté d'avoir, comme quoi partager l'espace public avec d'autres religions nécessiterait de revoir à la baisse la portée universelle de notre foi.

    Un dialogue avec l’islam sans gommer les différences

    Parmi les thèmes abordés j'ai aussi retenu les relations avec l'islam et le développement d'un dialogue (2), basé sur les points communs: un Dieu unique et créateur, le commandement d'aimer Dieu et son prochain, de faire aux autres ce que l'on voudrait que l'on nous fasse. Il ne s'agit pas de gommer les différences ou d'affirmer que nos religions reviennent au même, mais de tisser des liens qui pourraient permettre une cohabitation plus pacifique entre deux des principaux courants religieux mondiaux. A mon sens un beau rappel que Christ nous appelle à être artisans de paix.

    De manière générale j'ai été très content d'assister à cette conférence dont les sujets variés ont été traités de manière accessible, sans nécessiter de connaissances théologiques poussées. Ces sujets que Miroslav Volf a traités sont aussi approfondis dans ses nombreux livres, écrits en anglais, mais que l’on espère prochainement traduits en français !

    s pmoret2Philippe Moret

     

     

     

     

     

    Notes

    1 Voir l’article de Thomas Salamoni : « Miroslav Volf et la mission publique de l’Eglise ».

    2 Voir l’article : « Miroslav Volf tire un bilan du dialogue avec les musulmans initié par ‘Une parole commune entre nous et vous’ ».

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