Dans votre livre, vous affirmez qu’un chrétien ne fait pas nécessairement un bon politicien. Pourquoi cela ?
En fait, je n’aime pas le terme de « politique chrétienne ». On me parle tout le temps de cela en me disant que je suis au Palais fédéral pour que les parlementaires fassent une « politique chrétienne ». C’est très artificiel de penser cela. Il y a des non-chrétiens qui font une « politique chrétienne »… Puis, qu’est-ce qu’une « politique chrétienne » ? On peut aussi en discuter. Il faut se rappeler que, quand il y a eu des gouvernements de sensibilité évangélique, ça a rarement réussi et ça a rarement été une bénédiction ! C’est tragique, mais osons le dire, parce que c’est la réalité !
Vous dites même que vous avez des sueurs froides quand vous entendez qu’un chrétien engagé est devenu président. En Afrique, par exemple.
Oui, parce qu’il faut être d’une solidité remarquable pour ne pas être corrompu très vite. L’argent coule a flot. Le président reçoit un nombre incroyable de cadeaux… Pour rester humble et serviteur, il faut avoir un caractère très fort. Donc je suis embêté, parce que je prie pour qu’un gouvernement devienne chrétien et, quand il commence à le devenir, je tremble et je dis au Seigneur : « Garde-les en toi ! »
Dans votre livre, vous encouragez les chrétiens à s’engager ailleurs que dans les partis évangéliques comme l’UDF ou le PEV. Pourquoi cela ?
Ces deux partis évangéliques, je les bénis et je suis content qu’ils existent, mais, en même temps, ma prière, c’est qu’il y ait des chrétiens nés de nouveau dans chaque parti. Et d’ailleurs les groupes au Palais fédéral sont assez favorables aux chrétiens, même si, dans leurs positions officielles, ils sont plutôt contre. Je pense ici à la gauche, pas forcément au Parti socialiste, mais aux Verts. Etonnamment, ils sont ouverts aux chrétiens et je leur ai demandé pourquoi. Ils m’ont répondu que les chrétiens étaient des gens solides, des gens sur lesquels on peut compter, des gens qui n’ont qu’une parole…
Je suis bien entendu ouvert à l’existence de partis évangéliques, mais je suis attristé quand ils sont carrés, peu souples dans les choses qu’ils affirment et trop traditionnels en tant qu’évangéliques. Le PEV l’est moins que l’UDF ! Je le dis sans critiques, ce sont des frères et sœurs dans la foi… Je les bénis régulièrement, mais j’ai aussi des frères chrétiens dans les autres partis, socialistes notamment.
Dans votre livre, vous dites que l’Evangile a une fonction critique par rapport au politique. En quoi ?
L’Evangile lance un défi à tous les être humains ! Et aussi aux politiciens. Souvent le monde politique valorise la « gloire humaine », alors que l’Evangile valorise l’esprit de service. Et cela doit marquer tout ce que l’on fait : tant les discours que les actions. Il y a des politiciens dans lesquels je sens un esprit de service et peu la recherche de la gloire humaine.
Dans le livre de Philippe Gonzalez Que ton règne vienne (2014), vous êtes assimilé aux évangéliques qui souhaitent convertir l’ordre politique helvétique au christianisme. Comment réagissez-vous à une telle assimilation ?
Longtemps, j’ai cru qu’il existait une « politique chrétienne » et j’ai prié pour que le gouvernement instaure cette politique-là, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Je me rends compte que c’est beaucoup mieux que des chrétiens fassent de la politique dans différents partis, plutôt que l’Etat mette en place une « politique chrétienne ». Il y a par ailleurs de telles différences entre nous, évangéliques, que, quand on dit « politique chrétienne », on ne pense pas la même chose ! Nous sommes dans un monde qui a des règles et des valeurs, parfois proches, parfois très éloignées du christianisme, et nous devons admettre que ce monde-là ne va pas changer. Ce qui va changer, ce sont des vies touchées par la grâce !
Propos recueillis par Serge Carrel