Christian et Valérie Mairhofer : souvenirs et angoisses d’un couple pastoral en Egypte

jeudi 13 décembre 2007
Quelques semaines après le 11 septembre 2001, Christian et Valérie Mairhofer partent pour l’Egypte au service de l’Eglise évangélique du Caire et de l’Eglise protestante d’Alexandrie. Ce couple pastoral de la FREE passe 6 ans sur place et découvre la réalité de la vie des chrétiens au Pays des Pharaons, qu’ils soient évangéliques, réformés, catholiques, coptes, d’origine africaine ou européenne. Un parcours fait de joies, de doutes... et parfois de peurs. Une trajectoire de vie à découvrir.

« En Egypte, le mot « Dieu » est sur toutes les lèvres. On en a parfois ras le bol, car les actes ne suivent souvent pas ! » Christian et Valérie Mairhofer sont depuis début septembre le nouveau couple pastoral de l’Eglise évangélique des Uttins à Yverdon-les-Bains. D’octobre 2001 à juin 2007, ils ont vécu avec leurs deux filles dans le centre du Caire. 6 ans durant lesquels ils sont entrés « dans les baskets » des émigrés du Nord comme du Sud au Pays des Pharaons. 6 ans durant lesquels ils ont connu de l’intérieur le statut de chrétien en terre d’islam.

Un horizon qui s’élargit
En 2001, après 5 ans comme couple pastoral dans des Eglises de la FREE, Christian et Valérie Mairhofer s’engagent avec le DM-échange et mission, le département missionnaire des Eglises réformées de Suisse romande, pour assurer la desserte de l’Eglise évangélique du Caire et de l’Eglise protestante d’Alexandrie. « Moi qui venais des Assemblées de Dieu de France, se rappelle Valérie, mon passage dans la FREE avait déjà représenté un élargissement d’horizon. Se retrouver au Caire au milieu de réformés, de catholiques, de pentecôtistes, d’évangéliques plus classiques et de coptes, dans une communauté à majorité noire... a représenté un élargissement extraordinaire de mon horizon ! »
Pour ce couple pastoral, la découverte d’autrui et de ses richesses passe d’abord par la vie cultuelle dans laquelle il importe d’entrer. L’Eglise évangélique du Caire est marquée par la liturgie réformée. Pas question pour Christian de tout bouleverser. « J’ai dû entrer dans des cultes où la dimension du « nous », de la communauté rassemblée, était très forte et j’ai eu beaucoup de joie à vivre cela. » Il découvre la richesse d’autres façons de faire et apprend que de nombreuses manières de célébrer la foi dépendent de notre parcours de vie et de notre histoire personnelle. « Si chacun était venu dans cette communauté avec le désir de faire comme « à la maison », nous n’aurions jamais pu rester ensemble. Certains ont voulu imposer leur manière de faire, ça n’a pas marché. Ils sont partis. »

Face aux poussées migratoires du continent noir
L’Eglise évangélique du Caire accueille de nombreux Africains noirs. « Avec ceux qui se trouvaient en Egypte officiellement et avec un travail, nous n’avions aucun problème, se souvient Valérie. Ils n’étaient pas différents de nous. » Avec les réfugiés et les clandestins, les choses sont plus délicates. Pour les Africains du sud du Sahara, l’Egypte constitue un passage privilégié pour émigrer en Europe ou en Amérique du Nord. Ils sont donc nombreux à tenter leur chance au Caire, espérant obtenir un sésame qui leur permettra de gagner l’Occident. Beaucoup échouent en Egypte et passent de longs mois voire des années à attendre. « Avec ces frères et soeurs en Christ, nous avons découvert une piété africaine très fervente, ajoute Christian Mairhofer. Ils priaient beaucoup, jeûnaient et demandaient instamment à Dieu de leur ouvrir les portes de l’Europe. Souvent, nous avions l’impression que leur fréquentation de l’Eglise était motivée par leur désir d’émigrer. Il n’était pas rare de constater un décalage important entre leur ferveur et leur éthique au quotidien. »
Malgré cela, Valérie Mairhofer se rappelle avec émotion d’un Congolais qui, même s’il se trouvait en situation précaire, n’essayait pas de tirer un maximum de l’Eglise évangélique du Caire. « Il était toujours prêt à donner un coup de main, à essuyer une table et à porter la vie communautaire, sans en tirer un quelconque profit ! »

« Mieux vaut se faire rouler... »
Découvrant que « la misère du monde » frappe constamment à la porte de leur Eglise, les Mairhofer se laissent, au début, profondément émouvoir par les détresses individuelles qu’ils rencontrent. « Nous répondions très facilement aux sollicitations des gens qui arrivaient avec des situations si difficiles », se souvient Valérie. Petit à petit, ils ont dû mettre des limites et se montrer plus circonspects à l’écoute des histoires qu’on leur racontait.
Souvent ils découvraient qu’on leur avait menti ou qu’ils avaient été trompés. « Après quelque temps, relève Christian, nous avons adopté ce principe, tout en essayant de démêler le vrai du faux : mieux vaut se faire rouler que de passer à côté d’une aide essentielle... » « Mais avec des limites ! » s’empresse d’ajouter Valérie.

A la découverte des chrétiens coptes
Pendant ces 6 ans passés en Egypte, Christian et Valérie Mairhofer découvrent aussi la réalité des chrétiens en terre d’islam et dans un régime totalitaire. Tout d’abord en découvrant l’Eglise copte, une Eglise dont l’histoire remonte aux origines du christianisme puisqu’elle aurait été fondée par l’évangéliste Marc. « La richesse de l’histoire de cette Eglise, explique Christian Mairhofer, nous a impressionnés. En même temps sa prétention à être la plus authentique, parce que sa liturgie n’a pas changé depuis le Ier siècle nous a laissés dubitatifs ! »
En entrant en contact avec des chrétiens coptes, les Mairhofer découvrent aussi un pays où ce n’est pas d’abord la citoyenneté égyptienne qui constitue l’identité première de l’individu, mais son appartenance religieuse. Minoritaires, ces chrétiens connaissent les difficultés liées à ce statut. « Les chrétiens sur place, ajoute Christian Mairhofer, ont l’impression d’être des citoyens de seconde zone, mais nous, de l’extérieur, nous n’avons pas vu de persécutions. » Ceci dit, le climat religieux est explosif. Une étincelle suffit à mettre le feu aux poudres entre des chrétiens coptes et des musulmans. Pour l’ancien pasteur de l’Eglise évangélique du Caire, « ces troubles religieux sont bien souvent l’expression du désarroi social et économique actuel. Reste la question épineuse des persécutions à l’endroit des musulmans convertis à la foi chrétienne, une question qui se règle au cas par cas, parfois dans la violence... »

Condamné à une année de prison en première instance
Avoir affaire à la justice égyptienne n’est pas une partie de plaisir. Christian Mairhofer en a fait l’expérience en lien avec l’achat d’une villa que l’Eglise évangélique du Caire avait acquise. Il s’agit de la transformer en maison d’habitation et en lieu de rencontre pour des petits groupes se réunissant en semaine. En Egypte, il est très difficile pour une Eglise de construire de nouveaux locaux. Les chrétiens coptes font cela en catimini. Ils construisent une école ou un hôpital et, dans ce cadre-là, intègrent une salle de prière qui, à l’usage, devient une Eglise.
« Avant la fin des travaux de rénovation de cette villa, raconte Christian Mairhofer, le bruit a couru dans le quartier que nous allions ouvrir une Eglise. Trois plaintes pénales ont été déposées contre l’Eglise et son pasteur et nous avons dû arrêter les travaux ! » En première instance, le tribunal condamne Christian Mairhofer à une année de prison. « En Egypte, c’est courant ! explique-t-il. Quand vous avez maille à partir avec la justice, c’est le tarif minimal ! »

Un appui précieux de l’Ambassade de Suisse
L’Eglise et son pasteur font recours contre cette décision. Christian Mairhofer se retrouve devant un tribunal, dans une sorte de cage avec des barreaux, comme c’est l’habitude au Pays des Pharaons. « Ce jour-là, se rappelle-t-il, j’ai mis l’uniforme ! J’avais emprunté à un pasteur anglican une chemise de clergyman. J’aurais pu revêtir la robe noire réformée, mais, en Egypte, elle évoque plus la tenue d’un avocat que celle d’un pasteur ! » La consul de l’Ambassade de Suisse l’accompagne. « Si cette représentante officielle de la Confédération n’avait pas été là, commente Valérie Mairhofer, Christian ne serait pas rentré à la maison ! »
En final, la peine de prison est commuée en amende. « Ces démêlés avec la justice nous ont permis d’entrer plus avant dans la société égyptienne et de découvrir ses dysfonctionnements, conclut Christian Mairhofer. Que l’on soit copte, femme ou représentant d’une minorité, la société égyptienne discrimine beaucoup de gens ! De nombreuses personnes tentent de modifier cet état de fait, mais c’est un peu David contre Goliath. » Au Pays des Pharaons !

Serge Carrel

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