Visiteur de prisonniers. Engagé à 20% par l’association « J’étais en prison », le nom de Bernard circule de bouche à oreille dans cette préventive du haut du canton, où il se rend fidèlement depuis 2004. Pourquoi ? « Pour proposer une écoute, une rencontre, un accompagnement à celles et ceux qui en font la demande. » Et une plaque de chocolat !
Une fois ses clés et son natel déposés dans un casier à cadenas, Bernard est introduit dans un parloir, « le plus beau, aujourd’hui, parce que vous êtes accompagné ; ça vous va ? » Le plus beau parloir de la prison préventive ressemble aux autres. 2 mètres sur 4, une table, 3 chaises, mais avec des livres sur le côté : nous sommes dans la bibliothèque du lieu.
La vie pour eux, d’un coup, s’est arrêtée
Les 55 détenus incarcérés, dont 3 femmes, sont accusés, mais non encore jugés, explique-t-il à la visiteuse du jour que je suis. Cela signifie qu’ils ne savent pas ce qui les attend. La vie pour eux s’est arrêtée d’un coup et leurs journées sont longues et solitaires. La semaine dernière, un jeune de 19 ans a mis le feu à son matelas : il ne supportait pas.
Filali (*) est introduit dans le parloir. Cette semaine n’était pas la meilleure pour lui non plus. « J’ai été soupçonné de trafic de drogue, ici. Ils ont fouillé toutes nos cellules de l’étage. Ils n’ont rien trouvé. » Filali doit sortir de prison le 31 décembre. Originaire du Maghreb, il est venu en Suisse il y a dix ans pour « construire sa vie », confie-t-il. Les autorités helvétiques ont essayé par deux fois de le renvoyer. « Mais la première fois, je me suis tailladé les veines et le visage pour ne pas entrer dans l’avion. La deuxième fois, j’ai déchiré mes vêtements. C’est normal : j’ai une fille ici. Je ne peux pas la laisser grandir loin de moi. » Toxicomane, il assure à Bernard ne plus rien prendre ici au niveau des « produits », même pas de la méthadone. « J’en ai assez pris avant, de la drogue… C’est bon, maintenant. » Et Bernard d’insister pour qu’il réfléchisse d’ores et déjà à remplacer le « produit » par quelque chose d’autre, comme des contacts avec des amis qui sont hors du circuit de la dope pour sa sortie de prison.
A l’approche des fêtes, Dieu est évoqué. Pour cet homme, il y a les gros péchés et les fautes moindres : « Les gros péchés, tu ne peux pas te les faire pardonner. » C’est comme ça. Nous sommes à la veille de l’Aïd el-kébir, fête musulmane du sacrifice. « Je demande la bénédiction de Dieu sur mes parents, sur ma fille », exprime Filali. « Moi, je prie Dieu pour qu’Il te bénisse, qu’Il te garde des produits et que tu puisses être en bénédiction pour ta fille », lui fait écho Bernard.
« Quand il y a un bug, je zappe sur le produit »
Le temps file. Filali se lève, remercie plusieurs fois pour la visite. La porte s’ouvre, se referme. S’ouvre à nouveau pour faire place à Nathan (*), 22 ans, dont 29 mois de prison déjà. Bien bâti, look soigné, le jeune homme a le verbe clair : enfance chamboulée, manque de repères. Il évoque sans détours ce qui lui fait mal encore. « En été dernier, j’ai eu un nouvel accident de voiture, sans permis, avec des stupéfiants dans le sang : j’ai fait exploser le sursis que j’avais. » Son histoire ? « J’étais politoxicomane. On tombe vite dans l’engrenage. » Et pourtant Nathan avait presque réussi à s’en sortir. Il s’était réinséré, mis en ménage, avait un travail fixe. Puis le grain de sable : il a été mis en arrêt maladie à cause d’un accident de travail au poignet. Pour ce manuel, le coup a été dur. « Quand il y a un bug, je zappe sur le produit, résume-t-il. J’ai toujours fonctionné comme ça. C’est une stratégie que j’ai appris à mettre en place. Et puis comment voulez-vous demander à un ancien toxico de ne rien faire toute la journée, alors que les saisies de salaire continuent de pleuvoir ? »
Il y a deux mois, un voisin de cellule chrétien lui a parlé de Jésus. « Il est venu alors me demander comment faire pour se convertir », commente Bernard. En ajoutant avoir vécu ces dernières semaines des moments exceptionnels en prison ! « Comme quoi peu importe les obstacles, il y a toujours de l’espoir », fait-il remarquer à Nathan.
Sur le coup des 11h30, Nathan prend congé, remercie aussi beaucoup pour la visite. La porte s’ouvre, se referme ; s’ouvre encore avec un surveillant qui nous raccompagne jusqu’aux casiers. Puis les portes successives, à nouveau, pour retrouver l’air libre. « C’était bien aujourd’hui, on a parlé de choses importantes », estime Bernard en s’éloignant du bâtiment. « Ce n’est pas toujours le cas ; il faut savoir se laisser surprendre. » Un regret ? « Je vois 10 à 15% des prisonniers de cette prison. Il faudrait plus de temps, plus de moyens : du travail, il n’en manque pas, ici ! »
Gabrielle Desarzens
(*) prénoms d’emprunt
Si vous souhaitez soutenir ce ministère de visiteur de prison, vous pouvez faire parvenir vos dons à : La FREE, En Glapin 8, CH-1162 Saint-Prex, CP FREE: 10-138-1. L’intégralité de votre don sera versé à l’association « J’étais en prison ».
Par ailleurs, Bernard Brünisholz vient volontiers présenter son ministère en prison dans les Eglises. Pour tout renseignement: 021 823 23 23.