Tunisie: «Depuis la révolution de Jasmin, rien n’a changé pour les chrétiens d’origine musulmane!»

Serge Carrel mardi 01 octobre 2019

Il était à la Journée annuelle de Portes ouvertes le samedi 21 septembre à Yverdon-les-Bains. Younane a parlé de la situation des chrétiens tunisiens, de ces anciens musulmans qui ont fait de Jésus de Nazareth la priorité no 1 de leur vie. A l’heure où la Tunisie est plongée dans les incertitudes d’une élection présidentielle, dont le second tour aura lieu le 13 octobre, le point de vue du représentant d’une minorité religieuse dans un pays à majorité musulmane.

Quelle est la situation des chrétiens en Tunisie depuis la révolution de Jasmin ?

En fait la situation n’a pas beaucoup changé par rapport à avant 2011. Au début de la révolution, on était assez libre de mener nos activités parce que l’Etat était avant tout préoccupé de la stabilité du pays, mais en 2013 les choses ont repris comme par le passé. Si nous voulons organiser une rencontre ou distribuer des bibles, nous avons à nouveau des difficultés avec l’Etat. Celui-ci refuse que nous organisions de telles activités. Actuellement, il vaut mieux ne pas informer l’Etat de ce que nous faisons et, si nous avons des difficultés, nous les gérons sur place.

Y a-t-il la possibilité de faire reconnaître en Tunisie des associations à orientation chrétienne ?

Personnellement, j’ai fait une telle demande en 2016 et la création de cette association a été refusée. Pour l’Etat, toute association qui a un lien avec quelque chose de chrétien, que ce soit de l’évangélisation ou de la formation biblique, est refusée.

Au niveau de la société, quelles sont les autres difficultés que rencontre un chrétien tunisien ?

Nous avons souvent des difficultés quand nous devons renouveler notre passeport. Dernièrement, j’ai dû faire renouveler le mien. Normalement, une telle démarche prend deux semaines. L’agent de police de mon quartier a été bienveillant, mais l’administration m’a fait pas mal de misères. Deux semaines après avoir fait la demande, je ne voyais rien venir. Après trois, toujours rien. J’ai commencé à avoir des doutes. Le policier de mon quartier m’a dit que je devais me rendre à l’administration pour voir ce qu’il se passait. Quand je suis allé là-bas, les fonctionnaires m’ont dit que je n’avais jamais déposé de demande de renouvellement de passeport, même si j’avais la quittance de mon paiement entre les mains. Ils m’ont dit que je ne figurais pas sur leur liste. Après un mois, j’ai entendu dire que mon dossier avait été écarté, parce que je suis chrétien. Après 7 semaines, je suis retourné à l’administration centrale et j’ai supplié les fonctionnaires de remettre ma demande de passeport dans le processus normal de renouvellement.

J’ai pu voir un fonctionnaire haut placé et, après un interrogatoire d’une heure autour de questions sur la sécurité nationale, il a accepté de remettre ma demande dans le processus. Pour finir, il a fallu deux mois pour que j’obtienne un nouveau passeport, alors que normalement cela ne dure que deux semaines.

Percevez-vous cela comme une discrimination ?

Oui, c’est un exemple. Certains fonctionnaires n’acceptent pas certains prénoms bibliques donnés à un nouveau-né. Si vous habitez une région aisée, normalement cela passe. Si tel n’est pas le cas, vous avez des difficultés. On vous dit que vous devez choisir un prénom à connotation musulmane.

Avez-vous d’autres difficultés de type social ?

Si vous êtes un chrétien d’origine tunisienne et que vous le dites dans le cadre professionnel, il est très difficile d’être respecté sur son lieu de travail. Parfois, vous pouvez être insulté par des gens, parfois même frappé… Il y a beaucoup d’agressivité à votre endroit et vous pouvez en être très affecté. Pour une grande partie de la population, les chrétiens tunisiens ont été victimes d’un lavage de cerveau ou alors on leur a donné un chèque pour qu’ils se convertissent au christianisme.

Une fois, quelqu’un m’a giflé sur mon lieu de travail à cause du fait que j’étais devenu chrétien. Et cette personne m’a dit qu’elle me considérait comme un traitre, comme quelqu’un de malsain, alors qu’elle affichait qu’elle consommait de l’alcool et trompait régulièrement sa femme. Pour lui, le fait que je sois chrétien et que je développe un comportement honnête ne l’empêchait pas de se considérer comme supérieur.

Ces contrariétés ou ces vexations, génèrent-elles du découragement auprès des chrétiens d’origine tunisienne ?

Oui. Les Tunisiens en général souffrent des difficultés économiques que traverse le pays, mais le fait d’être chrétien ajoute encore son lot supplémentaire de difficultés. Certains frères et sœurs dans la foi nous posent la question : « Mais où est Dieu dans tout cela ? » D’autres sont fiers de leur foi et affirment qu’ils vont aller au bout avec Jésus. Il y a donc une bonne partie des chrétiens tunisiens qui ont mis leur foi en veille, parce qu’ils en ont marre de devoir affronter tant de difficultés.

Personnellement, comment percevez-vous la période électorale que traverse la Tunisie ?

En fait, l’avenir est très incertain. D’un côté, je suis content parce que ce sont les candidats « antisystème » qui ont remporté les élections. Le peuple a choisi d’une part un candidat aux racines islamistes fortes et d’autre part quelqu’un qui est en prison pour malversations. Donc, on ne sait pas très bien où le pays va aller. Nous sommes prêts à tout !

Propos recueillis par Serge Carrel

Le compte rendu de la journée sur le site de Portes ouvertes.

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