La charge de la SRF contre Läderach provoque un débat médiatique

Florian Wüthrich, Debira Murri, Rebekka Schmidt jeudi 05 octobre 2023

Le 21 septembre 2023, la Radio-télévision suisse allemande (SRF) a diffusé un documentaire à propos du chocolatier Jürg Läderach. Intitulé « Le monde évangélique des Läderach – Le châtiment au nom de Dieu », il revient sur les accusations de mauvais traitements au nom de la religion, à l’encontre du patron de l’entreprise. Ce documentaire a suscité une vague d’autres reportages dans les médias.

Cet article, publié le 24 septembre 2023 par livenet.ch et intitulé « Läderach im Licht der Medien » (« Läderach sous le projecteur des médias »), a été traduit par nos soins (ndlr).

Le documentaire, qui peut être visualisé sur le portail de la Radio-télévision Suisse allemande (SRF), commence avec des images sombres. Puis, il donne la parole à d'anciens élèves de l'école privée évangélique « Domino Servite »(1) que le chocolatier Jürg Läderach – et des gens qui pensent comme lui – ont créée à Kaltbrunn (ndlr : dans le canton de Saint-Gall). Ces anciens élèves racontent que de nombreux enfants ont été battus et maltraités dans cette école. Toujours selon le documentaire de la SRF, l'entrepreneur à succès Jürg Läderach était au cœur du système punitif. Mais celui-ci nie avoir jamais frappé des enfants ou des jeunes de l'école.

La transformation a eu lieu

Les mauvaises conditions qui ont régné jusqu’en 2002 dans l'école privée « Domino Servite » sont largement documentées grâce à des témoignages et des rapports d'enquête. Selon Markus Baumgartner, l'actuel porte-parole de l'école chrétienne qui a été rebaptisée « Ecole chrétienne de Linth », une distinction claire doit être faite entre les pratiques de 1995-2002 et la période qui a suivi. Dans le documentaire, le porte-parole n'a pas eu l'occasion de souligner suffisamment cette distinction. Il a été interviewé par la journaliste Eveline Falk pendant environ deux heures. Au final, seulement 30 secondes de cet entretien ont été diffusées.

Le lendemain, Markus Baumgartner a déclaré à TVO, une chaîne de télévision privée de Suisse orientale, que le sponsor actuel de l’école avait tout fait, à l'époque, pour gérer les conséquences de ces crimes. Il précise : « Un nouveau départ a été pris. Des bureaux de médiation ont été créés. Les victimes ont eu l’occasion de s'adresser à un médiateur indépendant. Celles qui le désiraient ont bénéficié d’une aide psychothérapeutique et juridique. Tout a été fait pour qu’une telle situation ne puisse plus se reproduire ».

La direction actuelle de la chocolaterie Läderach se démarque également clairement de l'ancien lien avec la ferme Oberkirch à Kaltbrunn (ndlr : le lieu où se trouve l’école). Johannes Läderach, qui dirige l'entreprise mondiale depuis 2018, a déclaré clairement aux journalistes de « CH Media » et de « 10 vor 10 » : « J'ai moi-même connu ce climat de peur, et ce qui s'est passé là-bas me met vraiment en colère. Si ce qui est décrit dans le documentaire est vrai, je le condamne dans les termes les plus fermes. Cela va à l’encontre de toutes mes convictions et de mes valeurs. L'actuel président déclare également qu'il n'y a plus de lien entre l'entreprise Läderach et l’Eglise évangélique libre de Kaltbrunn.

Inhabituel dans les Eglises évangéliques libres

Dans un reportage radio, Judith Wipfler, spécialiste des questions religieuses à la SRF, situe le scandale de cette école privée chrétienne de Suisse orientale dans le paysage des Eglises évangéliques libres de Suisse. Elle qualifie les conditions décrites dans le documentaire de « plutôt atypiques au sein des Eglises libres ». L’école privée chrétienne de Kaltbrunn était un groupe qui s’est marginalisé et a suivi des dirigeants aux fortes personnalités.

Georg Schmid, expert en sectes à Relinfo, partage cette observation dans une interview au Tages-Anzeiger : de telles organisations extrémistes, qui adhèrent aux châtiments corporels, sont isolées et en marge des Eglises libres. Interrogé à propos de l'affaire Läderach, Georg Schmid a déclaré qu'il n'avait lui-même jamais entendu une personne concernée dire qu'elle avait été battue par Jürg Läderach. « Mais cela ne signifie pas nécessairement que les témoins du documentaire de la SRF se souviennent mal de ce qui s’est passé, ajoute-t-il. Ce que je sais, c'est que depuis que Läderach a repris la direction de l'école en 2002, la violence a considérablement diminué. Je crois que l'école dit vrai lorsqu’elle affirme rejeter les châtiments corporels. Je n'ai entendu parler d'aucun incident récemment. » Georg Schmid explique qu’il faut aussi garder un fait à l'esprit : les parents partageaient les convictions de l'école et, concernant les cas qu'il connaît, ils ont également eu eux-mêmes recours à la violence.

Les abus sont tragiques

Peter Schneeberger, président de Freikirchen.ch (ndlr : la Fédération des Eglises libres de Suisse allemande), a commenté le documentaire de la SRF sur sa page Facebook personnelle : « Les abus dans l'environnement ecclésial sont doublement tragiques et répréhensibles : parce que des gens qui cherchent la proximité avec Dieu sont exposés et abusés, et parce que cela a été fait par des représentants de Dieu. Mes pensées et mon engagement vont aux victimes et à la construction d'un espace ecclésial dans lequel chaque personne peut pratiquer sa foi en étant protégée ». Peter Schneeberger fait référence à la nouvelle charte « Ensemble contre les comportements transgressifs »(2) qui œuvre précisément dans ce domaine.

Néanmoins, Peter Schneeberger se distancie du documentaire de la SRF en ce qui concerne les cas actuels d’abus. Pour lui, il s’agit de journalisme à sensation qui, en plus, ne prend pas en compte la responsabilité des parents à ce sujet. Il ajoute à propos du documentaire de la SRF : « Des personnes qui ont vécu des expériences traumatisantes sont montrées au public par les médias, et c’est ainsi qu’elles exposent leurs expériences les plus douloureuses. Cependant, d’un point de vue pastoral, ces personnes auraient plutôt besoin d’un bon soutien, dispensés par des professionnels, afin de surmonter ces expériences difficiles. Est-il acceptable que le monde entier soit au courant des abus qu’ils ont subis, et ceci jusque dans les moindres détails ? »

Etre capable d’autocritique

Manuel Schmid, le directeur du site internet Reflab.ch, s'est également exprimé : « Je suis bouleversé, dégoûté, mais malheureusement pas complètement étonné par ce que rapporte le documentaire de la SRF. Le fait que les victimes de violences physiques et de dommages psychologiques aient trouvé le courage de se manifester mérite mon respect, surtout si le patron de Läderach a menacé tous les ‘calomniateurs’ de poursuites judiciaires ».

Mais, pour Manuel Schmid, les conditions décrites dans le documentaire de la SRF ne sont pas habituelles dans les Eglises libres et les communautés évangéliques. Il ajoute cependant : « Ce déballage devrait être l’occasion d’une autocritique. Il s’agit de remettre en question les décisions dogmatiques et les déséquilibres structurels qui sont possibles dans les structures religieuses. Il s’agit de faire un travail difficile, afin de se séparer d’un héritage douloureux ».

 

(1) Jusqu’en 2002, l'école privée « Domino Servite » de Kaltbrunn, dans le canton de Saint-Gall, était administrée par la mission Kwasizabantu, une organisation religieuse dont le siège se trouve en Afrique du Sud. En 2002, un rapport d’enquête a confirmé que des abus avaient été commis dans cette école. Suite à cela, les dirigeants suisses de la mission Kwasizabantu, ainsi que les enseignants impliqués, ont démissionné. A cette époque, le chocolatier Jürg Läderach s’est impliqué comme sponsor dans cette école, et il a travaillé à son assainissement (ndlr).

(2) La charte « Ensemble contre les comportements transgressifs » a été signée en 2022 par la FREE. Ce texte est proposé par le Réseau évangélique suisse, nommé Schweizerische Evangelische Allianz (Alliance évangélique suisse) en Suisse allemande (ndlr).

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