Anne-Lyne Stuber, une enseignante vaudoise en congé sabbatique payé à Madagascar

vendredi 23 mai 2008
Anne-Lyne Stuber, de l’Eglise évangélique de Blonay, vient de passer 6 mois à Madagascar. Son but? Enseigner le français à des enfants défavorisés, accompagner leurs maîtres, faire de la relation d’aide... et bien d’autres actions auprès des plus pauvres! Tout cela dans le cadre d’un congé sabbatique payé, accordé au corps enseignant de l’Etat de Vaud. Récit.

«En 1999, j’ai voyagé à Madagascar, raconte Anne-Lyne Stuber. En découvrant la base de la Ligue pour la lecture de la Bible, cela m’a donné envie d’y réaliser un projet! Il y a là des activités très diversifiées: école, consultation médicale, et toutes les activités habituelles de la Ligue.» Deux ans après ce coup de cœur, Anne-Lyne apprend qu’elle pourrait bénéficier d’un congé sabbatique proposé par l’Etat de Vaud (voir encadré ci-dessous). En 2006, elle dépose son dossier de candidature. Début 2007, elle obtient la réponse positive... et s’envole le 20 juillet pour Madagascar!

Un fléau: la méthode perroquet
«Dans le cadre de l’école, mon premier but était d’essayer de sortir de la méthode perroquet, explique Anne-Lyne Stuber. Car on enseigne les enfants en leur faisant répéter sans qu’ils comprennent.» Elle a donc donné des pistes aux enseignants pour stimuler leur créativité, tout en sachant qu’ils ont très peu de matériel à disposition: «Je leur ai transmis des idées pour développer l’expression française, le français étant indispensable pour améliorer le niveau social.» Car jusque-là, les enfants ne faisaient que répéter des mots: la sa-la-de, la sa-la-de...
Pour leur nourriture et leur scolarité, ces enfants défavorisés sont soutenus par le Service d’entraide et de liaison (SEL) de France. Seuls deux enfants d’une même famille peuvent être parrainés. Il y a donc un urgent besoin de scolarisation dans ces familles... qui ont souvent 7 ou 8 enfants! L’accès à la connaissance permet de diminuer la pauvreté. Sans le français, ces enfants ne pourront pas faire des études secondaires, basées sur le système scolaire français.

Apprivoiser les enseignants...
Quatre enseignants se sont sentis mis en échec par la venue de leur collègue de Suisse. «Les Malgaches ne sont pas du tout sûrs d’eux, déplore Anne-Lyne. Ils croient toujours que les autres savent mieux. Ils ne prennent aucune initiative. Durant tout mon séjour, cela a été frustrant de travailler avec ces enseignants, car ils n’ont jamais posé une seule question.» Pourtant ils ont été très contents.
Au village, Anne-Lyne a heureusement pu enseigner d’autres maîtres... enthousiastes! Leur école mélange des enfants pauvres et riches, ce qui a été très difficile à faire admettre au début, surtout qu’ils travaillent dans de très beaux locaux! «Leur philosophie, c’est de dire: «Pourquoi donnerait-on à des enfants pauvres de la mauvaise qualité?» Quand on voit des enfants qui touchent le carrelage et disent: «Oh, que c’est beau!» Je pense qu’on peut apprendre, dans ces conditions-là», s’enthousiasme Anne-Lyne.

Vous avez dit « classe d’éveil »?
En entrant dans l’école située sur le campus de la Ligue, Anne-Lyne Stuber est scandalisée: «Quand j’ai vu qu’il y avait des petits de 3 ans qui étaient au fond d’une église, avec des tables à la hauteur de leur cou, dans un lieu sombre, qu’il y avait 29 enfants avec une seule maîtresse et qu’il s’agissait d’une classe d’éveil... on ne met pas des enfants dans un endroit pareil!» Pour cette enseignante montreusienne, le préscolaire est très important. C’est là que les enfants développent les perceptions posant les bases pour l’écriture, la lecture, le calcul, etc.
Anne-Lyne Stuber prend à cœur de trouver des fonds pour rénover cette salle. La classe d’éveil a été mise sur pied par le médecin et le directeur de l’école, qui sont basés sur le campus de la Ligue et qui s’occupent d’environ 200 démunis. «J’ai donc discuté avec la femme médecin, explique Anne-Lyne, pour avoir l’assurance que cette classe va continuer. J’ai vu l’enseignante... qui n’est pas rémunérée! Elle vient elle-même d’une famille démunie, et s’est accrochée pour apprendre à lire et à écrire. Elle ne parle pas bien le français, mais a le désir de continuer sa formation. J’ai décidé de la soutenir. Lorsque je suis partie de Madagascar, elle s’est mise à pleurer. Je sentais que j’abandonnais quelqu’un.»

Les parents au travail!
Anne-Lyne Stuber a demandé l’aide des parents pour aménager les lieux en classe d’éveil. Et ils ont bien travaillé! Petits et grands s’y sont attelés. «J’avais reçu de l’argent en Suisse pour cela. Je me suis débrouillée pour y mettre de la couleur, placer des tables à hauteur. Les murs étaient dans un état lamentable! La Ligue s’est chargée de mettre un éclairage adéquat. Le 13 décembre 2007, il y a eu une inauguration super: petit coussin et ciseaux, un garçon qui coupe le ruban, tout y était! s’enthousiasme Anne-Lyne. Tous les matins, chaque petit bout de chou me disait: «Bonjour, Madame Anne-Lyne! Comment ça va?» C’était un grand cadeau.»

L’extrême pauvreté...
Tous les mercredis, Anne-Lyne rencontrait les familles démunies, lors du culte à la Ligue. Dans ce cadre, elle leur a apporté quelques enseignements, notamment sur la prière. Le plus difficile, c’est d’entrer dans la salle où règne une odeur fétide... car les gens se lavent comme ils peuvent. Avec la chaleur, c’est insupportable. «La femme médecin, une Malgache, a proposé aux personnes qui le désirent que je les visite à la maison. Elle leur avait expliqué que je faisais de la relation d’aide et ce que c’était. Un jour par semaine, je partais à pied avec le médecin, pour me rendre dans les maisons, à la campagne. Là, j’ai rencontré les intérieurs des personnes… j’ai vu dans quel dénuement elles habitent: sans eau, 6 à 7 dans une seule pièce, avec tout ce que cela implique de promiscuité. J’ai été bouleversée», raconte Anne-Lyne.
Seules dans leur foyer, les femmes se sont ouvertes. Elles ont exprimé leur vécu: alcoolisme des maris, problèmes d’éducation des enfants. Ce sont souvent des femmes battues, et il y a de nombreux viols. «Ces moments étaient très forts, mais aussi très difficiles, admet Anne-Lyne. Je me sentais dans une impuissance totale, car il n’y a absolument rien pour aider ces femmes battues et les accueillir. Et dans l’Eglise, on leur enseigne souvent qu’elles doivent supporter. D’ailleurs, ces femmes ne peuvent pas tellement faire autrement. Si le mari n’est plus là, il n’y a plus d’argent.»

Projet agricole
La Ligue désire leur offrir une petite formation agricole. Une première expérience a échoué... tous les arbres ayant été volés! De grands murs de pierre ont donc été dressés. «En Suisse, j’avais pu récolter de l’argent. Soutenu par des gens de la Ligue, le projet à pu renaître. Chaque semaine, des personnes sans emploi aménagent le terrain, pour y planter des arbres, des cultures et fabriquer un parc avicole. Toute une dynamique s’est mise en route, ainsi qu’une synergie avec les parents d’élèves. Le but est de les mettre au travail, afin que ce qu’ils apprennent sur le terrain agricole, ils le fassent ensuite chez eux. Le deuxième but, c’est que la nourriture des élèves s’améliore. Le troisième but, c’est de faire des «journées vertes» avec les enfants, une course d’école sur ce terrain situé à 45 minutes à pied», raconte l’institutrice montreusienne.

Une fin en beauté!
Le dernier week-end sur place, Anne-Lyne Stuber a participé à une retraite regroupant les responsables des femmes démunies: «Je les ai amenées dans une maison de colonies. Elles se trouvaient pour la première fois dans un lit. C’était aussi la première fois qu’elles tiraient une chasse d’eau et qu’elles prenaient une douche! A la fin, elles m’ont dit: ce fut un des plus beaux jours de notre vie!»
Ce week-end était destiné à approfondir la Bible, à apprendre à gérer un budget, à faire des jeux, et à connaître le développement de l’enfant, afin de stimuler son éveil. Car jusqu’à 5 ans, les petits ne sont absolument pas stimulés. Anne-Lyne a montré aux mamans et grand-mamans comment intégrer les enfants dans leurs activités quotidiennes. Par la même occasion, elle a fait une distribution d’habits, de nu-pieds, et offert un goûter de Noël!

Un pays de contrastes
A Madagascar, les gens ont soif d’apprendre. Ils ont de la facilité à rebondir, ayant l’habitude de se battre pour vivre... «alors qu’ici, on se tourne autour du nombril! s’exclame Anne-Lyne Stuber. Dans la relation d’aide, je leur apportais quelque chose de totalement neuf pour eux. C’est important de regarder ce que l’on vit, mais en même temps, chez nous il y a du nombrilisme».
«Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. Ce verset est devenu très concret pour moi, conclut Anne-Lyne. Un tel voyage nous montre aussi où sont les vraies valeurs, quelle est notre capacité d’adaptation. Je conseille à tous de faire une telle expérience! Vivre au cœur de la réalité des gens, c’est tellement différent d’un voyage touristique. J’ai eu l’occasion de témoigner de ma foi à la femme du président de Madagascar, ainsi qu’à 250 femmes de la haute société, et de côtoyer les démunis... Quels contrastes! Comme de voir de gros 4x4 croiser les charrettes à zébus.»
Anne-Catherine Piguet, rédactrice responsable du journal "Vivre"

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