La Cour européenne de Strasbourg est un moyen de recours pour les personnes qui estiment que leurs droits fondamentaux n’ont pas été respectés. Le 15 janvier dernier, elle a rendu son verdict dans quatre affaires concernant des chrétiens britanniques qui estimaient avoir été licenciés ou mutés de façon abusive en regard de leurs convictions religieuses.
Victoire pour une hôtesse de l’air
Une hôtesse de l’air de la compagnie British Airways a obtenu gain de cause contre son employeur. Elle avait été mutée pour avoir refusé de retirer son pendentif en forme de croix. La Cour a estimé que le code vestimentaire de la compagnie aérienne ne pouvait pas empiéter sur les convictions de l’intéressée. « Les juges de Strasbourg ont reconnu que le port d’une croix chrétienne fait partie de la liberté religieuse, ce que n’avait pas reconnu les tribunaux britanniques, et cela me réjouit, confie à Genève Michael Mutzner, secrétaire général adjoint du Réseau évangélique suisse et auteur d’un dossier sur l’expression religieuse dans l’espace public *. Le fait que ceci n’est pas une pratique obligatoire découlant de la foi chrétienne n’y change rien : elle reste malgré tout comme une composante de cette liberté. »
Une infirmière n’obtient pas gain de cause
Une infirmière qui refusait pareillement de retirer son pendentif en forme de croix dans l’exercice de son métier a par contre été déboutée : la Cour a donné raison à l’employeur pour des motifs de sécurité professionnelle. « Dans ce cas précis, il faut savoir que l’hôpital lui avait proposé des alternatives, tenant compte à la fois des exigences sanitaires comme l’interdiction de pendentifs, tout en lui permettant de porter sa croix en broche, ce que cette personne a refusé », précise Michael Mutzner.
Un thérapeute et une officière d’état civil déboutés
Les deux autres cas sont liés à des refus d’exercer sa profession à l’égard de couples homosexuels. Un thérapeute familial et une officière d’état civil sont concernés. Le premier a laissé sous-entendre qu’il ne pourrait conseiller des homosexuels, et la seconde a refusé de conclure des cérémonies de partenariat civil entre couples de même sexe. Dans ces deux affaires, la Cour a estimé que la liberté religieuse ne pouvait empiéter sur les droits d’autrui. Elle a donc rejeté ces deux demandes.
Une question de curseur
« En rapprochant quatre affaires distinctes, la Cour a voulu définir les limites de la liberté religieuse, analyse dans les colonnes du journal
La Croix Patrice Spinosi, avocat à la Cour de cassation et spécialiste de la Cour européenne des droits de l’homme.
La Cour veut bien montrer où est placé le curseur, poursuit-il. Les juges de Strasbourg disent que dans l’espace public et dans l’espace privé, la liberté de pouvoir exprimer sa religion existe, sauf lorsqu’elle aboutit à méconnaître une autre liberté publique ou présente un danger pour certaines personnes. »
Violation de la liberté de conscience
La décision qui concerne l’officière d’état civil choque néanmoins profondément Michael Mutzner : « Ses conditions de travail ont évolué en cours d’emploi, l’amenant à faire quelque chose qui allait contre sa conscience, à savoir enregistrer et conduire des cérémonies pour des couples homosexuels. Plutôt que de rechercher une solution pragmatique et mesurée, son employeur a voulu la forcer à aller contre sa conscience, sous peine de licenciement. Il s’agit pour moi d’une violation flagrante de la liberté de conscience de cette personne. »
Pour transposer le cas en Suisse romande, est-il par conséquent à craindre qu’un pasteur se fasse licencier s’il refuse de célébrer un rite entre partenaires de même sexe ? « Effectivement, répond tout de go le secrétaire général adjoint du Réseau évangélique suisse. Si une telle décision de licenciement venait à avoir lieu en Suisse, et que les tribunaux suisses n’intervenaient pas en faveur du pasteur, la Cour européenne ne viendrait probablement pas davantage à son secours et estimerait que ce licenciement ne représente pas une violation de la liberté de conscience du pasteur. »
L’assistance au suicide sous la loupe
Autre cas hypothétique romand sous la loupe avec l’assistance au suicide qui a fait son entrée dans les EMS vaudois : « Si le jugement de la Cour n’est pas renversé par la Grande Chambre (ndlr : qui peut être saisie dans des cas de recours exceptionnels), alors effectivement la liberté de conscience d’un directeur d’EMS qui refuserait d’appliquer la nouvelle loi vaudoise sur l’assistance au suicide ne serait pas protégée par la Convention européenne des droits de l’homme, estime Michael Mutzner. La Cour dirait probablement que l’on se situe dans le domaine de la marge d’appréciation laissée à la Suisse dans l’application de la Convention européenne des droits de l’homme. »
La Cour de Strasbourg n’a toutefois pas la compétence de remettre à l’ordre elle-même un directeur d’EMS en Suisse. Seules les autorités helvétiques ont cette compétence.
Gabrielle Desarzens