Shafique Keshavjee, vous venez de publier un livre intitulé « L’islam conquérant ». Ce livre semble être en confrontation directe face à l’islam. Avez-vous changé de perspective dans l’approche du dialogue interreligieux depuis les débuts de l’Arzillier il y a 20 ans ?
Mon livre débute en soulignant l’importance du dialogue interreligieux avec des musulmans paisibles et qui vivent une spiritualité communautaire. Le fait que ce dialogue reste d’actualité est très important pour l’intégration des musulmans dans notre société. Donc, le dialogue avec des personnes qui sont vraiment de bonne volonté, qui ont renoncé à ce qu’il y a de violent dans leur tradition, doit continuer d’exister.
Cependant, j’ai pu constater, lors de tentatives de dialogues dans le cadre de l’Arzillier ou ailleurs, que l’échange avec des personnes proches du mouvement des Frères musulmans, comme Hani Ramadan, Tariq Ramadan ou d’autres, était bien plus complexe que je ne l’avais imaginé.
Qu’est-ce qui vous a amené à développer un angle d’approche plus ferme dans ce dialogue avec cette forme d’islam ?
Une amie juive, engagée également dans le dialogue interreligieux, m’a un jour interpellé en me demandant de me pencher sur la question des Frères musulmans. Hassan el-Banna est le fondateur des Frères musulmans et il en a promu l’essor à travers le monde. Il est également le grand-père de Tariq et Hani Ramadan.
Comme beaucoup de monde, j’avais peu étudié ce mouvement et j’ai commencé à me plonger dans leurs textes. En les lisant, je me suis rendu compte qu’ils sont fidèles, au pied de la lettre, au Coran et aux hadîths (les dires du prophète Muhammad).
Et contrairement à Tariq Ramadan qui cherche à présenter l’islam comme une religion de paix, dont le djihâd n’aurait qu’un but défensif, son grand-père Hassan el-Banna est très clair à propos des desseins offensifs de l’islam, dès son origine. En particulier en ce qui concerne le sort réservé aux non-musulmans refusant de se convertir. En cela, les Frères musulmans sont très fidèles à cette vision offensive de l’islam. Mon étude des Frères musulmans m’a permis de découvrir leur stratégie de conquête, appuyée sur les textes fondateurs de l’islam.
Le problème, c’est que beaucoup de musulmans plébiscitent les versets paisibles du Coran, les plus beaux hadîths, tout en masquant les plus violents et controversés. Cela signifie qu’un gros travail de mise en lumière de tous ces textes problématiques doit être entrepris au sein même de l’islam. Je me réjouis de savoir que des musulmans ont commencé de faire ce travail. Mais ce n’est qu’un début. Et il est important que ce travail puisse être achevé : de là dépend notre vivre ensemble.
J’ai vraiment le désir de dialoguer avec les musulmans. Mais, pour cela, il faut qu’ils aient renoncé à la violence conquérante de l’islam. Et nous, nous devons défendre nos valeurs de liberté, d’égalité entre les hommes et les femmes, et de pluralité.
Quelle valeur en particulier trouvez-vous mise en danger par l’islam ?
Un des niveaux où l’islam est très conquérant, c’est celui des Etats. Dans mon livre, j’aborde l’infiltration islamiste du monde des médias ou du monde politique. Un autre domaine est ciblé, c’est celui des couples et des familles. L’islam pousse à la conversion au moyen des mariages mixtes. Pour épouser une musulmane, un non-musulman doit se convertir à l’islam. Cette situation est très répandue. Par le passé, on a vu la même chose se produire avec les unions entre catholiques et protestants. Nous devons dissuader de futurs mariés de devenir musulmans avec ces motivations.
Je trouve très difficile d’aborder ces thèmes avec les musulmans qui ne veulent pas remettre ces principes en question. J’ai d’ailleurs cherché à en discuter avec Tariq Ramadan, et il m’a repoussé. J’ai compris qu’il ne voulait même pas entrer en matière. Malgré cela, je continue de croire que ce sujet doit être apporté à la table des discussions avec n’importe quelle communauté musulmane aujourd’hui. L’obligation à la conversion doit être abandonnée. Et l’interdiction de quitter l’islam aussi.
Votre famille est d’origine musulmane, avez-vous reçu une éducation influencée par cette religion ?
Très peu. Mon père vient d’une famille musulmane, mais en grandissant, il est devenu athée après avoir constaté des incohérences dans l’islam. Je ne peux pas vraiment reconnaître de racines musulmanes dans mon éducation.
Cependant, une autre partie de ma famille est musulmane pratiquante. Elle est issue d’une branche du chiisme : le courant ismaélien. Ce courant ne pose pas de problèmes dans le domaine de la conquête. L’Aga Khan, le chef spirituel des musulmans de ce courant, est un homme très moderne qui s’intègre à l’Occident, contrairement à d’autres courants sunnites.
Les origines de ma famille m’inspirent beaucoup de respect pour les musulmans. Et c’est parce que je sais que l’islam peut être vécu paisiblement que je m’insurge contre les courants très conquérants. Si les non-musulmans en souffrent, ce sont les musulmans eux-mêmes qui sont les premières victimes de cet islam intégral et dur.
Comment êtes-vous devenu chrétien ?
J’avais environ 18 ans. Durant mon enfance, mon rapport à la religion se résumait à mon père athée, à ma belle-mère protestante et à quelques leçons de catéchisme qui ne m’ont pas beaucoup passionné. A ma majorité, je suis parti en voyage autour du monde afin d’étudier les grandes religions. Je me suis plongé dans ces différentes croyances, allant du christianisme à l’hindouisme. Et puis, lors d’un séjour en Inde, je me suis mis à lire le Nouveau Testament. J’y ai découvert des merveilles et, par-dessus tout, le Christ. En Inde, j’ai aussi pu visiter des Eglises très dynamiques. Cette expérience m’a permis de réunir mes identités indienne et chrétienne.
Ensuite, j’ai eu de plus en plus envie d’être témoin du Christ, tout en pratiquant un dialogue respectueux avec les personnes ayant d’autres croyances ou convictions.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans la personne du Christ ?
Il n’y a pas de plus belle personne que celle du Christ. Je suis émerveillé par l’amour qu’il a pour les humains, pour ceux qui sont exclus. Son amour de la liberté, de la vérité pour chacun au prix de sa vie donnée jusqu’à la mort, est bouleversant. Le Christ a traversé l’épreuve de la mort à la croix pour en ressortir à la Résurrection.
Ce message est magnifique et il fait partie des fondements de l’Occident. Je trouve beau de voir des gens d’ailleurs, d’Asie ou d’Afrique, nous rappeler qu’il ne faut pas perdre ce trésor qu’est le Christ.
N’avez-vous pas crainte que certains qualifient votre nouveau livre d’« islamophobe » ?
Mon livre n’est pas « islamophobe », car je n’ai aucune haine contre les musulmans. Ce livre révèle les fondements conquérants de l’islam. Et la haine des non-musulmans qui s’y trouve. Exposer ces fondements, ce n’est pas de l’islamophobie. J’espère que mon livre poussera les musulmans affiliés à ces sources à répondre aux problèmes suscités par ces nombreux textes violents. Rappelons que ces textes sont encore mis en application aujourd’hui dans beaucoup de pays. Ils assujettissent les non-musulmans et les femmes. Mon livre est une question que je leur pose. J’espère recevoir une réponse. Mais mon livre s’adresse prioritairement aux Occidentaux : pourquoi vous laissez-vous conquérir si facilement par cet islam conquérant ? Que faites-vous de vos propres trésors humanistes et judéo-chrétiens ?
Propos recueillis par Sélina Imhoff et Serge Carrel
Shafique Keshavjee, L’islam conquérant. Textes, histoire, stratégies, Romanel-sur-Lausanne, Institut pour les questions relatives à l’islam (IQRI), 2019, 232 p.