Josiane André, Medair c’est aujourd’hui 70 millions de francs de budget, plus de 1500 personnes actives dans l’aide d’urgence - un millier d’autochtones et 500 Occidentaux -, plus de 2 millions de personnes aidées… Qu’est-ce que cela génère en vous ?
Je suis fière… Je suis aussi reconnaissante de voir que ce que nous avions vu comme un besoin est devenu de plus en plus nécessaire.
Que souhaitez-vous à la direction et aux employés de cette ONG issue des milieux évangéliques, alors qu’ils fêtent leurs 30 ans ?
Merci. Merci d’être qui vous êtes et d’être venus travailler avec Medair. Et merci aussi d’accueillir avec un grand cœur toutes les personnes que vous aidez.
Medair a été créée en 1989. Comment est née cette ONG spécialisée dans l’aide d’urgence ?
Elle a été créée par des personnes qui ont travaillé avec diverses missions sur le terrain en Afrique et en Asie. Ces différentes personnes se sont retrouvées et se sont dit : « Pour l’aide humanitaire et le développement, tout va bien quand les situations sociales et politiques sont calmes, mais il y a de plus en plus de problèmes sur le terrain : des famines, des crises sociales et politiques, des conflits… Actuellement, l’aide d’urgence n’est pas suffisante, même s’il y a la Croix-Rouge internationale et Médecins sans frontières. Il y a beaucoup de besoins locaux non couverts par ces deux organisations qui ont de plus en plus de travail. »
A l’époque, vous étiez impliquée au Tchad dans un endroit qui, progressivement, est devenu un lieu d’aide d’urgence à cause d’une famine…
Oui. Et concrètement c’est cela qui nous a poussés à créer Medair. Il y avait bien sur place la MAF (Mission Aviation Fellowship), une mission qui nous aidait un maximum grâce à des avions pour transporter de la nourriture et des malades, mais quand vous devez vous occuper de milliers de gens victimes de la famine, cela ne suffit pas. Par ailleurs, le Programme alimentaire mondial (PAM) ne pouvait pas aller partout. Nous nous sommes dit qu’il fallait créer quelque chose qui rassemble des possibilités de transport en avion et de l’aide d’urgence.
Vous dites régulièrement qu’à l’origine de Medair il y a trois piliers ou trois missions. Vous venez de parler de la MAF, quels sont les deux autres piliers ?
La mission avec laquelle nous travaillions à l’époque au Tchad, MEDAF (Médicaments pour l’Afrique), une ONG qui s’occupe principalement d’un hôpital à Bebalem au sud du pays. Le troisième pilier, c’est le « réservoir » de jeunes que constitue Jeunesse en mission (JEM). A l’époque, les personnes qui allaient à JEM y suivaient une formation courte d’environ 6 mois, dans le cadre de laquelle ils partaient sur le terrain pour une expérience temporaire.
Vous-même, vous aviez travaillé avec Jeunesse en mission sur le terrain, en Asie du Sud-Est notamment.
Oui, j’ai travaillé auprès des réfugiés avec JEM en Asie du Sud-Est et au Liban. Je percevais les possibilités de travailler davantage dans l’urgence, dans les crises et les catastrophes. Toutefois les personnes engagées à JEM n’avaient pas toujours la formation professionnelle ou les capacités suffisantes pour s’impliquer dans l’aide d’urgence.
Il vous fallait des gens formés : des infirmiers (-ères), des médecins, mais aussi des personnes avec une formation commerciale ou des logisticiens…
Oui, des gens compétents pour l’organisation logistique, c’est sûr. Mais il y avait aussi beaucoup de problèmes avec l’eau, avec les égoûts et la gestion des ordures.
Donc il vous fallait des ingénieurs et des spécialistes en environnement…
Oui. Des gens formés pour cela. Il en fallait aussi pour d’autres taches. Par exemple en cas de tremblement de terre, il nous fallait des maçons pour reconstruire des maisons. Il y avait toutes sortes de tâches où nous avions besoin de jeunes aux capacités utiles sur le terrain. Et nous en avons recruté pour une part dans le cadre de JEM au sortir des écoles de disciples.
Au moment du lancement de Medair, vous avez quitté vos activités de pédiatre et d’anesthésiste pour vous lancer dans le recrutement et les ressources humaines…
J’avais le choix. Ou je partais sur le terrain comme médecin ou je préparais des médecins, des infirmières, des sages-femmes et des personnes qui connaissaient les problèmes d’eau pour les envoyer sur le terrain. J’ai choisi le recrutement et les ressources humaines.
Aux débuts de Medair, vous avez fortement mis en avant sa dimension chrétienne. Pourquoi étiez-vous attachée à cette dimension-là parmi les fondateurs de cette ONG ?
Les trois missions qui ont cofondé Medair sont toutes évangéliques. Par ailleurs nous avons pensé que la dimension chrétienne donnait une impulsion et un savoir-faire qui était un peu différent par rapport aux autres ONG spécialisées dans l’urgence, parce que nous avons placé la personne qui souffre au centre. Ce n’est pas le nombre de sacs de farine ou de maisons que l’on va construire qui compte, mais ce sont la ou les personnes.
C’est une orientation que l’on perçoit toujours aujourd’hui dans les publications de Medair.
Oui, c’est exact. Si par exemple on envoie du personnel médical sur le terrain, ce n’est pas pour faire de la grosse chirurgie. La grosse chirurgie est faite par la Croix-Rouge, Médecins sans frontières ou d’autres. A Medair, nous faisons les soins de base, les soins dont on a besoin tous les jours contre la grippe, pour accoucher ou pour donner à manger à des enfants dénutris par exemple.
Il y a une dimension qui revient régulièrement dans les récits qui racontent les débuts de Medair, c’est la notion de prière. Qu’est-ce que cela apporte à des humanitaires de prier ?
La prière est une connexion avec Dieu. Alors évidemment, il y a des personnes qui ne croient pas en Dieu, mais nous estimons que cette connexion nous donne une force, un courage et des valeurs. C’est ce que nous souhaitons transmettre aussi : le respect de l’autre, le fait qu’il faut redonner aux victimes leur dignité, qu’il faut aussi être juste dans les distributions…
Lors des premiers engagements de Medair, il y avait toujours au sein des équipes une personne chargée de la prière, un ou une intercesseur. Etait-ce quelque chose auquel vous teniez vraiment ?
Absolument. Au début de Medair, il y avait un intercesseur au sein de chaque équipe, mais maintenant ce sont les équipes elles-mêmes qui prient tous les jours. Au siège à Ecublens, nous prions aussi tous les jours et nous avons de nombreuses personnes qui, de par le monde, prient pour Medair et s’engagent à être un « pilier » de prière. Cela peut être un petit groupe ou une personne isolée.
Pour les gens qui sont sur place, est-ce important d’avoir l’appui de la communauté chrétienne au sens large derrière soi ?
Cela aide chacun à prendre les bonnes décisions et aussi à se dire : « On n’est rien… On n’est pas grand-chose dans un désastre épouvantable ! » Quand vous avez la ville de Mossoul qui se vide tout d’un coup et qui va dans un endroit avec rien du tout... Il y a un million de personnes qui arrivent dans un même lieu à la veille de l’hiver. Comment allez-vous gérer cela ? Pour nous, c’est rassurant de savoir qu’il y a quelqu’un plus haut que nous qui peut nous diriger et pas seulement nous, mais toutes les autres ONG, même celles qui ne prient pas.
En lançant Medair, vous avez permis à un nombre important de chrétiens de sensibilité évangélique de s’engager dans l’humanitaire. Est-ce vrai ?
Oui, c’est vrai que c’était un tout nouveau « champ de mission », si j’ose dire. Il n’y avait pas beaucoup de missions chrétiennes spécialisées dans l’aide d’urgence.
Et là vous vous êtes perçue comme une mentor, comme quelqu’un qui allait coacher des jeunes et leur permettre d’éclore dans une vocation nouvelle ?
Oui. Il faut dire que le monde a beaucoup changé. Les crises ont augmenté d’une façon phénoménale et le nombre de réfugiés et de gens déplacés sur la planète est énorme. Là aussi, on peut penser que c’est peut-être Dieu qui nous a guidés à faire cela.
Josiane André, vous avez bientôt 80 ans, quand vous considérez votre parcours de vie, qu’est-ce qui est à l’origine de votre vocation de médecin et de personne active dans l’humanitaire ?
Ma vocation date de la petite enfance. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y avait beaucoup de tourments dans toute l’Europe. Mon père a invité en Suisse romande des enfants qui venaient de Berlin, de l’Autriche, de l’Allemagne de l’Est…
Et là vous avez été confrontée à la misère des victimes de la guerre…
Absolument. A la famine, à la misère, aux conséquences des bombardements. Mon père nous a aussi envoyés, mon frère et moi, à Munich en vacances, tout seuls à l’âge de 10 et 11 ans…
C’était au début des années 50 ?
Les traces de la guerre étaient encore énormes. Mais je crois que mon père avait envie que l’on se rende compte de ce qu’entraînent les guerres. Plus tard, lorsque j’étais plus âgée et jeune médecin, je suis retournée en Allemagne, à Berlin notamment. A ce moment-là, j’ai dû traverser une frontière et j’y ai été arrêtée pour une peccadille. J’ai ressenti tout à coup ce que veut dire être bloquée à une frontière. J’étais dans une petite cabine avec un fusil braqué sur moi. Et cela faisait un peu drôle !
Et vous diriez que ces deux événements que vous mentionnez-là ont été à l’origine de votre vocation d’humanitaire ?
Non, c’est tout un parcours. Avec mon père qui était dans le business, on a aussi fait de nombreux voyages. On est allé dans toute l’Europe, puis on a vécu un an en Argentine quand j’avais entre 6 et 7 ans. Nous étions habitués à voir des étrangers et à connaître d’autres situations. C’est pour cela qu’il y avait une certaine continuité…
Josiane André, vous êtes issue des Assemblées de frères dites « darbystes ». Comment vous situez-vous par rapport à ces origines ?
Je suis très reconnaissante d’être née dans la famille où je suis née, parce que mon père nous expliquait la Bible. Il ne s’agissait pas simplement de la lire, mais il nous l’expliquait. Il avait un don pédagogique très fort. Et puis, il la vivait… C’est cela qui a été pour moi très important. Alors c’est sûr que parfois nous nous ennuyions quelque peu quand nous devions aller à l’Eglise, mais je ne renie pas cela. A Jeunesse en mission ensuite, j’ai trouvé un grand dynamisme chrétien…
Vous êtes passée d’un évangélisme conservateur à une forme d’évangélisme très charismatique. Etiez-vous aussi à l’aise dans ce milieu-là ?
Oui. J’avais aussi passé par les Groupes bibliques universitaires (GBU), avec le désir d’aller toujours un peu plus loin dans ma recherche spirituelle.
Au travers de vos différents voyages, vous avez aussi été confrontées à toutes les couleurs que peuvent revêtir les Eglises sur la planète…
Au Liban, je suis allée dans l’Eglise orthodoxe ou alors dans l’Eglise maronite, et c’était l’occasion de découvrir différentes manières d’adorer Dieu et de croire en lui. Puis je me suis dit : « Quel Dieu est-ce que l’on adore ? On adore Jésus, mort et ressuscité. Cela suffit ! »
A bientôt 80 ans, si vous aviez, à résumer votre parcours de disciple de Jésus-Christ, qu’est-ce que vous mettriez en avant ?
D’abord l’écoute du Seigneur. J’aime beaucoup prier la prière de François d’Assise, celle qu’il faisait tous les jours et qui dit : « Donne-moi la foi droite, l’espérance certaine, l’amour parfait, l’humilité profonde, l’essence et la direction afin que j’accomplisse ton commandement saint et véridique. » Pour moi, c’est quelque chose de tellement profond… Cette écoute-là dirige ma vie !
Propos recueillis par Serge Carrel
Le site de l’ONG Medair.
La version audio de cette interview réalisée par Radio R.