« Les Eglises évangéliques dans le débat public » selon l’éthicien Louis Schweitzer

Louis Schweizer vendredi 29 mai 2015

Participer au débat public sur des sujets de société controversés, les Eglises évangéliques de Suisse romande n’en ont pas l’habitude. L’Union des Eglises évangéliques libres de France avait mis ce thème à l’ordre du jour de son synode bisannuel avec deux conférences du professeur d’éthique Louis Schweitzer. Echos de ces deux exposés.

Du 14 au 17 mai, le synode de l’Union des Eglises évangéliques libres de France (UEEL) a rassemblé près de 200 personnes pour débattre de la place de l’Eglise dans le débat public. Rassemblés dans les locaux de la Fondation John Bost à La Force, près de Bergerac, les délégués de la cinquantaine d’Eglises et postes d’évangélisation membres ont entendu Louis Schweitzer souligner la légitimité et la pertinence pour les Eglises de participer au débat public.

Oui à une prise de parole publique des Eglises

Dans une première conférence, Louis Schweitzer a d’abord réfuté certains arguments qui courent dans le milieu évangélique pour critiquer toute prise de position des Eglises dans le débat public. Dire que les Eglises ne font pas de politique, qu’elles n’y connaissent rien ou qu’en s’occupant des questions de société, elles négligent leur tâche essentielle fait peu de cas du message de la Bible qui ne touche pas que l’individu dans sa relation à Dieu, mais qui vise aussi à inscrire la réalité du Royaume de Dieu dans la vie sociale et politique. Alors certes, nombre de personnes sont fatiguées par la joute politique et ses débats artificiels, mais la Bible et la foi chrétienne ont quelque chose à dire sur le politique, la manière de gérer notre vie ensemble au XXIe siècle.

En référence à un document intitulé « Lignes directrices d’une éthique sociale chrétienne » (1), publié en 2010 par la Commission d’éthique protestante évangélique en France, Louis Schweitzer a rappelé qu’il y avait un socle éthique qui permet aux Eglises de dénoncer ce qui n’est pas juste et d’affirmer que le mal est mal. « Nous ne sommes pas condamnés à nous taire face à l’émergence du mal, a-t-il lancé. Dans une démocratie, l’Eglise peut parler. »

A partir de deux situations historiques – le positionnement des chrétiens durant les années 30 en Allemagne et celui des Eglises face à la ségrégation des Noirs durant les années 50 et 60 aux Etats-Unis – le pasteur baptiste a souligné la difficulté pour les institutions de se positionner. Rétroactivement, il est facile de dire que l’Eglise confessante allemande ou Martin Luther King ont eu raison de se révolter contre les injustices à l’œuvre dans leur société, mais nombre d’institutions, notamment évangéliques, ont fait preuve de mutisme sur ces questions. Pour le professeur d’éthique de la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, les chrétiens doivent annoncer l’Evangile dans leur société et « avertir nos contemporains quand ils s’engagent sur des chemins de mort ».

Une prise de parole par différents acteurs

De telles prises de parole interviennent à trois niveaux : celui des individus, celui des groupes de chrétiens et celui des fédérations ou unions d’Eglises. A partir de la distinction entre ce qui est de l’ordre des principes généraux, « l’éthique », et les applications politiques concrètes, ce qui est « technique », Louis Schweitzer a invité les fédérations d’Eglises à ne s’exprimer que lorsque les grands principes éthiques sont en jeu. « Ce qui devrait conduire à des prises de parole rares, mais fortes ! » a-t-il ajouté. Du côté des groupes de chrétiens ou des individus, une implication plus directe dans le débat public a toute sa pertinence et permet de voir comment des chrétiens se mobilisent et articulent leurs convictions éthiques par rapport à des questions concrètes.

En conclusion de sa première conférence, Louis Schweitzer a invité les fédérations évangéliques à développer une communication publique subtile à l’endroit de la société. « Il importe de distinguer ce qui fait plaisir aux chrétiens de ce qui doit être entendu par le plus grand nombre. Une prise de parole trop marquée par du vocabulaire et des arguments chrétiens pourrait se révéler inefficace. Parfois, le fait de ne pas indiquer la référence ultime permet une audience plus large et de convaincre des gens de milieux qui ne partagent pas les mêmes présupposés philosophiques que les chrétiens. »

Une revue des grands sujets d’aujourd’hui et de demain

Dans sa seconde conférence, Louis Schweitzer a passé en revue un certain nombre de questions éthiques délicates : l’avortement, le mariage pour tous, la fin de vie, la gestation pour autrui… Il a constaté que, sur ces sujets qui touchaient à la sexualité ou à la mort, les Eglises avaient bien fait de prendre position comme lui l’a fait et de refuser les changements proposés. En paraphrasant l’apôtre Paul, le professeur d’éthique de Vaux-sur-Seine a totuefois constaté que les Eglises avaient invité « à ne pas se conformer au monde présent, mais à se conformer plutôt au monde de hier » ! Stratégiquement, ce côté « réactionnaire » des Eglises a donné l’impression à l’opinion publique d’une défense du passé, alors qu’il aurait peut-être été plus productif d’agir en faveur d’un « oui », d’un projet positif, même si ce « oui » renferme un coût extraordinaire ! « Il est temps que les chrétiens comprennent que chaque ‘non’ comporte un ‘oui’ infiniment plus exigeant », a-t-il lancé, en citant le philosophe Emmanuel Mounier.

Dans un deuxième temps, Louis Schweitzer a mis en avant une série de sujets autour desquels une prise de position des Eglises serait peut-être attendue. Par rapport à l’aide médicale à la procréation pour couples de même sexe, il a relevé que les arguments défavorables avaient peu de portée, sauf à prendre en compte le bien des enfants. Par rapport aux questions d’immigration et de réfugiés, il a relevé la complexité de la question et son côté explosif en politique. Il a aussi invité à garder à l’esprit que les migrants du Moyen-Orient ou d’Afrique étaient des personnes créées en image de Dieu et dignes de respect, « tout comme un libriste du Sud-Ouest » ! Par rapport aux changements climatiques, Louis Schweitzer a relevé la qualité d’un document publié par la Fédération protestante de France (2), qui invite à « apprendre à consommer moins pour polluer moins ». Il a encore évoqué deux autres sujets où les chrétiens pourraient s’exprimer : la grande pauvreté en France ou à l’étranger, et la persécution des chrétiens dans le monde.

Pas de solutions toutes faites !

En conclusion, Louis Schweitzer a souligné que les Eglises n’avaient pas de solutions toutes faites dans leurs poches pour répondre aux grands problèmes de société d’aujourd’hui, mais qu’il était important pour elles de prendre des positions publiques là où elles étaient attendues, mais aussi parfois sur des sujets où elles n’étaient pas attendues du tout. « Nous courons tous le risque de parler quand nous aurions dû nous taire, et de nous taire quand nous aurions dû parler ! a-t-il ajouté. Il importe de faire confiance à l’assistance du Saint-Esprit, qui nous aidera à nous exprimer en société comme le souligne Jésus dans l’évangile de Jean (Jn 15.26-27 ). »

Serge Carrel

Notes

1 Voir ce document sur le site de la Commission d’éthique protestante évangélique.

2 Martin Kopp, Otto Schäffer; Claire Sixt-Gateuille, Jacques Varet, Vincent Whal. Les changements climatiques, texte élaboré à l’initiative de la FPF, Lyon, Olivétan, novembre 2014, 48 p.

  • Encadré 1:

    Présentation du texte « Lignes directrices d’une éthique sociale chrétienne »

    La Commission d’éthique protestante évangélique est une plate-forme de réflexion mandatée par l’Union des Eglises évangéliques libres, la Fédération des Eglises évangéliques baptistes et les Eglises protestantes réformées évangéliques de France. En 2010, elle a publié des « Lignes directrices d’une éthique sociale évangélique ». Ce document qui a pour but « de dégager quelques-uns des principes ainsi que des lignes essentielles d’une éthique chrétienne dans le domaine social et politique », part de la perspective de « rechercher la paix de la ville » (Jérémie 29.7). Il dégage sept principes directeurs : la valeur absolue de la personne humaine, le réalisme et l’imperfection, l’exigence de la justice, l’attention particulière aux petits et aux pauvres, la solidarité humaine, la recherche de la paix et le respect de la création. Ces principes ont pour fonction de baliser un comportement chrétien dans ce monde pour les Eglises-institutions, les groupes et les individus.

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