Toutes les Eglises cherchent un modèle de croissance, surtout ici en Occident où il est très difficile de percer. Pour dynamiser nos congrégations, on nous a servi, ces dernières années, des modèles nord-américains, comme celui de Willow Creek (1) ou parfois du Sud-Est asiatique. Nous avons salivé au vu des auditoires impressionnants de ces « megachurches ». Nous avons lu des livres sur ce phénomène, suivi des conférences, mais jusqu’à ce jour, point de « megachurch » à l’américaine à l’horizon francophone, à part peut-être une Eglise à Mulhouse qui draine dans les 2000 personnes. Bien plus ! Aujourd’hui, il y a probablement plus de personnes qui quittent le giron de l’Eglise que de personnes qui la rejoignent par le biais des Cours Alpha! Et ce ne sont pas uniquement des jeunes. La plupart du temps, ces personnes ne perdent pas la foi, mais se mettent au vert. Beaucoup deviennent des intermittents, ne se joignant à un culte que lorsqu’il fait mauvais temps ou selon l’affinité avec le prédicateur. Soyons francs, il y a actuellement peu de communautés qui grandissent à un rythme soutenu. Pourquoi?
Willow Creek: « has been »?
Lorsque je parle du modèle de cette « megachurch » de Chicago, je fais plutôt référence à ce qu’elle a su susciter en nous. Nous rêvons tous d’avoir des communautés qui regroupent, en tout cas, des centaines de croyants à la fois, dans un endroit central. Pour nous, une communauté qui marche, doit obligatoirement rassembler un grand nombre de personnes et lorsqu’on construit actuellement un édifice communautaire, on le prévoit pour 200, voire 300 personnes, ce qui est déjà une gageure sous nos latitudes. Willow Creek est une communauté qui a démarré dans les années septante, ce modèle a donc déjà plus de trente ans d’âge! Or, notre société évolue à une telle rapidité que les modèles ont une durée de vie de plus en plus courte. Tel un grand paquebot, qui ne peut infléchir son cours qu’en anticipant les manœuvres longtemps à l’avance, ainsi se profile la « megachurch » et sa philosophie de croissance. Ces «paquebots» ont encore leur rôle à jouer, mais on n’est plus dans le temps où il faut investir dans ce genre de développement, car nous entamons une large évolution socioculturelle qui va mettre en avant les tribus et l’expérience des réseaux. Ce changement est déjà largement perceptible au travers du web 2.0 (2) qui mise majoritairement sur la formation de communautés virtuelles, centrées sur les intérêts, les goûts et le savoir-faire de leurs participants. Nous assistons à un morcellement de nos sociétés, un peu comme une banquise qui s’effrite sous l’effet du changement climatique. Notre banquise d’origine s’appelait «culture et civilisation du livre». Elle était homogène et touchait la plus grande partie de la population. Le «réchauffement» culturel est orchestré par les mass médias, par internet, par la téléphonie mobile, par la mode, par le sport, par nos styles de vie. On ne peut plus mettre en route une communauté qui corresponde à la banquise, mais il va falloir apprendre à nager dans un autre décor.
Le grand défi
Les pasteurs et les responsables d’Eglises ne sont pas myopes, culturellement parlant. Ils se rendent bien compte que leurs ouailles vivent dans un patchwork de cultures différentes. Le grand problème, c’est que peu de personnes réfléchissent à cette nouvelle donne de la société. On vient juste de sortir de la grande révolution psy qui nous a propulsés sur l’orbite de la relation d’aide, du ministère en faveur du couple et de la famille et beaucoup de cadres de nos communautés ont investi dans la formation pour acquérir un savoir-faire dans ces domaines. Et voilà qu’il faudra tout autant s’investir pour comprendre ce qui se passe au niveau de la culture et de l’organisation de la société. Le passage de la banquise à une mer d’icebergs est certes une sorte de décadence, mais c’est aussi une nouvelle organisation de l’univers polaire. Il faut arrêter de vouloir recréer une «banquise spirituelle» en développant une théologie et une pratique ecclésiale qui tente de contrecarrer la décadence. Lorsqu’on prie pour le réveil, on pense la plupart du temps à un renouveau spirituel qui nous amènerait à nouveau sur la «banquise». Il faudra faire avec et surtout participer à la construction de cette nouvelle société qui ne fait que commencer. Toutes les organisations d’Eglises actuelles, y compris celles des « megachurches », ne sont que des stades intermédiaires entre la «banquise» et les «archipels d’icebergs». Les nouvelles Eglises qui se mettent en route, aujourd’hui, ne seront que des «Jean-Baptiste», des précurseurs de ce qui se mettra réellement en place pour une plus longue durée. Une société ne peut pas s’effriter indéfiniment, il faudra bien, qu’un jour, elle évolue vers quelque chose de plus stable.
Le défi théologique et homilétique
Notre théologie évangélique est encore largement tributaire de la mentalité «banquise». Je n’utilise pas cette comparaison sous l’angle de la critique. Elle était parfaitement opérationnelle pour ce qui nous a précédés, mais aujourd’hui on sent qu’elle est très limitée dans notre nouvel univers «aquatique». Pire encore, nous vivons journellement, comme la majorité de nos concitoyens, sur des «îlots d’icebergs», mais nos messages se ressourcent dans des écrits ayant court sur la «banquise». Regardez sur internet le nombre de sites qui recyclent du Finney, du Oswald Chambers ou qui diffusent la version de la Bible de Monsieur Segond datant de 1910 (presqu’un siècle!)! Quel est le message pour aujourd’hui? Le mouvement des Eglises émergentes, très actif dans le monde anglophone, n’hésite pas à dynamiter certains dogmes évangéliques pour sortir des ornières du passé.
Beaucoup de responsables théologiques pensent qu’on pourra marier l’ancien et le nouveau et qu’on pourra faire un va-et-vient entre la théologie de grand-papa Calvin et les postmodernes. C’est impossible. Tout simplement parce qu’il est extrêmement difficile de vivre à fond sur deux types de cultures. Il n’y a que des personnes d’exception ou qui ont grandi dans un univers transculturel qui auront la possibilité de surfer sur deux fronts à la fois. La prédication et l’enseignement n’ont guère évolué dans nos Eglises. On y a bien ajouté des images par ci, par là, mais le fond n’a pas changé. Ceux qui ont le plus révolutionné le monde de l’Eglise, ce sont les artistes, les musiciens par exemple. Hélas, ils ont souvent peu de formation théologique et, de plus, ils sont forcés d’entrer dans le business pour survivre. Les nouveaux théologiens ne seront plus cantonnés dans les académies, mais devront «réseauter». Or ou peut-on se former actuellement dans une théologie «réseau», une théologie «tribale» ou encore une théologie «archipel»?
En conclusion, laisse la «banquise» fondre d’elle-même et toi suis-moi!
Henri Bacher
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1 http://www.willowcreek.org/history.asp
2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Web_2.0