« Il était une fois une femme vieille comme les chemins. Et pauvre comme on l’est souvent dans les contes : sa maison, c’était une baraque en bois au bout du village devant laquelle poussait un pommier aussi vieux qu’elle, qui donnait des petites pommes croquantes, un peu acides, qu’elle gardait à la cave pendant tout l’hiver... » Dans cet arbre-là, la mort va rester engluée... à tel point que plus personne ne meurt dans ce pays-là. « Au début, on n’ose y croire : la vie sans la mort, c’est le bonheur assuré ! (...) Mais assez rapidement, les hommes déchantent, l’ennui lancinant s’installe, et il faut cesser d’enfanter : c’est ainsi que la mort de la mort tue la vie. Ce serait donc la mort qui permet la vie ? » (...)
Tiré du livre « La mort tout conte fait », cet extrait résume l’ambition de son auteure : redonner à la mort une place, « pour éviter qu’elle ne prenne toute la place ».
Un tabou à briser« Le conte n'a pas de morale, ni de message précis à apporter, sinon celui, bien vaste, de raconter l'homme à lui-même, en lui tendant un miroir lisse où chacun verra apparaître son propre visage, sans se reconnaître et sans courir le risque de la noyade », rappelle Alix Noble Burnand. Vingt-deux histoires sur la mort tissent la trame centrale de son ouvrage. Classés par thèmes autour de cinq chapitres, elles sont étoffées de réflexions, de commentaires, de citations comme d’un lexique de mots relatifs à la mort.
Au bénéfice d’une formation de thanatologue, la conteuse souhaite par cet ouvrage aider les gens à oser comme tout à nouveau parler de celle qu’on appelle parfois « la faucheuse ». Car à vouloir la reléguer au rang de tabou, une société se prépare des lendemains difficiles, estime-t-elle. Le conte du Pommier l’illustre bien : à vouloir taire la mort, on risque bien de tuer la vie.
Et pourtant la mort reste violente. « On ne l’apprivoise pas, reconnaît l’auteure. Mais elle fait partie de la vie. S’y confronter sainement, c’est accepter sa présence comme inévitable et ne pas fuir dans l’illusion et le déni. »
Refuser le silence autour de la mortDans toute l’Europe et depuis 1950, la mort est quelque chose que les générations de l’après-guerre ont voulu cacher à leurs enfants. L’individualisme et la perte de la foi ont fait le reste. Résultat : on ne la voit plus ! « Retirée des lieux de vie, elle quitte la maison pour aller se cacher au fond des buanderies des hôpitaux », estime Alix Noble Burnand. Selon elle, mourir est devenu affaire de spécialistes ; ceux-ci déchargent les familles de tout tracas, du choix des cercueils au faire-part mortuaire, en passant par la cérémonie. « Or il faut mettre la mort en mots, offrir la parole aux endeuillés, provoquer un récit, souligne-t-elle. Refuser son silence. » Son livre est une invitation en ce sens.
Gabrielle Desarzens
Alix Noble Burnand, « La Mort tout conte fait »
, octobre 2011, à commander ici.