« Trois ans de boulot ! En fait la réalisation d’une BD, c’est comme une grossesse… » Joël Bussy est dans son atelier encombré de cartons, du centre de Cossonay. Installé sur le siège devant son ordinateur, il tient sa deuxième BD entre les mains : Sam et Salem, migrant. « Je suis père de 4 enfants, ajoute-t-il. Quand on parle production de BD, on connaît aussi le moment des contractions de plus en plus rapprochées… Avant la venue du ‘bébé’, il y a vraiment un sprint final, les derniers coups de collier à donner… Puis quand il est là, on regarde tout de suite si le ‘bébé’ est en bonne santé. Quand ma BD est arrivée, j’ai pris le premier carton que m’a amené le camion, je l’ai ouvert et j’ai vu que tout était OK. Qu’elle était belle ! »
En mode autobiographique
Soutenu par l’association Bechir (celui qui apporte une bonne nouvelle, en arabe) pour réaliser des BD, Joël Bussy – Jôli dans le monde de la BD – est salarié à mi-temps par l’association Cabes pour travailler parmi les migrants. Il visite des requérants d’asile dans des centres et organise toutes sortes d’activités avec et pour eux : des cours de cuisine, du sport... Donc les questions liées à la migration et à l’asile, il connaît.
Après une première BD en lien avec ses 11 ans passés en Afrique du Nord, Jôli poursuit dans la veine un brin autobiographique. Il se met en scène au travers de Sam et raconte les aventures de Salem, ce migrant récemment « débarqué » en Suisse. Différentes planches présentent les raisons qui ont conduit Salem à faire le choix de la migration, son passage de la Méditerranée, ses premiers pas dans la société helvétique… et la confrontation avec Lucien, le « xénophobe » de service. Toujours avec des pointes d’humour ponctuant chaque planche.
Défier les Suisses comme les migrants !
« Avec cette BD, mon but est de parler de ce par quoi passent les migrants qui arrivent chez nous et qui connaissent une grande solitude », appuie Jôli. D’un côté, il défie les Suisses qui n’aiment pas les étrangers, d’un autre il ne se prive pas de pousser des « coups de gueule » par rapport aux migrants insatisfaits du sort qui leur est réservé ici. C’est ce que laisse transparaître une planche où Salem est confronté à un musulman rigoriste, et où il lui demande pourquoi il n’a pas fait sa demande d’asile en Arabie Saoudite ! « Parmi toutes ces histoires, celle que je préfère, c’est ‘Swiss made ?’, une histoire qui rend hommage aux étrangers qui travaillent à la construction et à la réfection de nos routes et autoroutes », commente Jôli.
Certaines planches de Sam et Salem, migrant laisse entrevoir les convictions chrétiennes du bdéaste. Pour lui, les discussions spirituelles avec les migrants, même d’origine musulmane, ne posent aucun problème. « C’est nettement plus simple de parler des questions de foi avec des migrants qu’avec de ‘bons Vaudois’, lâche-t-il en riant. Il y a un respect à avoir, mais c’est important de partager ce que l’on vit. Quand la foi est au cœur de notre vie, en parler est une évidence. L’amour à l’endroit des migrants, ce n’est pas dire oui à tout, c’est aussi partager ce que l’on est ! », complète-t-il.
La BD : une vocation tardive
Pour Jôli, le dessin a toujours constitué une passion. « Quand j’étais enfant, se rappelle-t-il, je voulais faire de la BD. Mais j’étais nul à l’école, donc impossible de faire une école d’art ou de BD. J’ai appris marbrier, parce qu’on devait faire des croquis des travaux à effectuer sur la pierre. »
En 2009, alors qu’il est contraint de rentrer en Suisse parce que la situation devient dangereuse en Afrique du Nord, Joël Bussy effectue un stage de 8 mois chez Alain Auderset à St-Imier, un dessinateur de BD bien connu. Sollicité pour reprendre la direction de l’association Cabes, il accepte le poste et se lance dès l’été 2010 à temps partiel dans la BD.
Serge Carrel