En quoi les manuscrits de Qumrân sont-ils si précieux pour le monde chrétien ?
Il s’agit de la découverte archéologique la plus importante pour les sciences bibliques de ces 100 dernières années. Parmi les quelque 900 manuscrits trouvés dans les grottes de Qumrân, près de 220 sont des manuscrits de la Bible hébraïque (l’Ancien Testament). Or ces textes sont considérés comme Ecritures saintes par l’ensemble des chrétiens.
Quels autres textes a-t-on trouvé sur place ?
On y a trouvé par exemple de nombreux commentaires de livres et de passages bibliques, des « réécritures » de récits bibliques ainsi que des documents qui régissaient la vie communautaire des Esséniens comme des chartes, des ordonnances, des calendriers, des prières et des bénédictions. De plus, il y avait des écrits vraiment particuliers comme le Rouleau de cuivre (le seul document en cuivre) qui semble être un inventaire d’un trésor caché, ainsi que le Rouleau de la guerre qui décrit la guerre des derniers temps entre les « Fils de lumière » et les « Fils de ténèbres » (1).
Qu’apportent ces découvertes à la connaissance du Nouveau Testament ?
Les écrits de la communauté de Qumrân ou des Esséniens nous aident à mieux comprendre la manière dont une partie du peuple juif vivait, mettait en pratique sa foi, et interprétait les Ecritures. Ainsi, ces éléments nous ouvrent une fenêtre pour mieux comprendre le milieu dans lequel s’est développé le mouvement chrétien.
Quels liens les Esséniens ont-ils avec le courant qui deviendra le christianisme ?
Bien que l’hypothèse la plus plausible soit qu’un groupe d’Esséniens vivait à Qumrân, seulement une partie des manuscrits a été écrite par cette communauté. Quant aux liens avec le mouvement de Jésus, il y a des parallèles importants. Les deux groupes sont des mouvements de renouveau au sein judaïsme, qui cherchent à comprendre la volonté de Dieu à travers les textes fondateurs du peuple juif. Les deux groupes ont en commun l’attente du Messie. De plus, vu la proximité entre Jérusalem, Jéricho et Qumrân, on peut imaginer que les disciples des deux groupes se sont croisés. Jean-Baptiste pourrait avoir été en contact avec la communauté de Qumrân. Cependant, malgré les nombreux parallèles, un contact physique entre les deux groupes n’est pas mentionné ni dans les manuscrits de Qumrân ni dans le Nouveau Testament.
En tant que spécialiste de l’évangile de Luc et du livre des Actes, que vous apportent ces manuscrits dans vos recherches ?
Etant donné que Luc est le seul évangéliste qui a écrit une suite à son évangile, on a des éléments qui nous permettent de comparer les deux mouvements, surtout par rapport à leur manière d’interpréter les Ecritures pour une vie consacrée à Dieu. Un exemple frappant est l’importance du livre d’Esaïe pour ces deux groupes. A Qumrân, on a trouvé un rouleau entier de ce livre et plusieurs commentaires y sont consacrés. Les nombreuses citations d’Esaïe dans leurs propres écrits nous aident à mieux comprendre leur attente du Messie. Par ailleurs, le prophète Esaïe est le livre prophétique le plus cité dans le Nouveau Testament. C’est également le cas dans le double ouvrage « Luc-Actes » qui, en outre, nous fournit des scènes que l’on ne retrouve pas ailleurs dans lesquelles des personnes ont entre les mains des manuscrits d’Esaïe et en lisent des passages. Dans la synagogue de Nazareth (Luc 4.16-30), Jésus reçoit le rouleau d’Esaïe et lit le début du chapitre 61, les versets 1 et 2, en ajoutant : « Aujourd’hui cette parole de l’Ecriture, que vous venez d’entendre, est accomplie. » La réaction des gens de Nazareth montre la portée de cette déclaration de Jésus !
Une autre scène se trouve en Actes 8.26-40. Luc décrit un haut fonctionnaire de l’Ethiopie assis sur son char et lisant Esaïe 53.7-8. Visiblement intrigué par la personne décrite, l’Ethiopien invite Philippe à monter à ses côtés pour lui donner une interprétation du passage, qui, comme le passage lu à Nazareth, parle aussi du Messie. Le résultat ? L’Ethiopien reçoit la Bonne Nouvelle de Jésus le Messie et se fait baptiser sur place !
Ces exemples illustrent le fait que Luc et Actes racontent non seulement l’attente du Messie (comme à Qumrân), mais encore sa venue et les conséquences pour le peuple juif et pour les nations.
Quelles sont les zones d’ombre principales qu’il s’agit encore d’élucider par rapport à ces manuscrits de Qumrân ?
Certaines questions importantes concernent l’identité précise de la communauté de Qumrân et sa vision du monde. De plus, les chercheurs continuent à travailler sur la restauration des manuscrits en utilisant des techniques très performantes, qui n’étaient pas disponibles au moment où on a découvert ces manuscrits.
L’analyse et l’interprétation de ces manuscrits portent-elles encore à controverse ?
Il circule parfois des spéculations infondées auxquelles les archéologues et les exégètes réputés ne prêtent pas attention. Une chercheuse, par exemple, a suggéré que Jésus avait été repéré par la communauté non pas comme « le Maître de Justice », mais plutôt comme « le Prêtre impie » mentionné dans certains textes. Cette conjecture, entre autres, n’est pas considérée comme plausible.