A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, l'Europe et le Proche–Orient ont connu des bouleversements qui ont profondément modifié la configuration politique de cette région. L'Empire ottoman se disloque sous la pression de ses sujets qui revendiquent leur émancipation. Son territoire se réduit : perte de l'Afrique du Nord, perte des Balkans, perte du bassin mésopotamien. Ses restes font l'objet des convoitises de la France, de l'Angleterre, de la Russie et de l'Italie. Dans ce contexte dramatique, les minorités chrétiennes, Arméniens et Syriaques, sont les boucs émissaires rendus responsables de la débâcle. Des pogromes éclatent dès 1894. Ils font plus de 100'000 victimes dans les principales villes d'Anatolie. Ils se reproduisent en 1909. Mais c'est surtout l'année 1915 qui marque le début du génocide. Le 24 avril, 250 intellectuels et artistes arméniens d'Istanbul sont arrêtés, puis déportés. La plupart seront exécutés. C'est le signal déclencheur de l'effroyable génocide qui vit mourir environ 1'300'000 hommes, femmes et enfants. Les 700'000 Arméniens survivants s’expatrient ou sont assimilés de force dans la société turque. Les grandes puissances, trop occupées par leurs propres intérêts, n’interviennent pas. Le traité qui met fin à l'état de guerre avec la Turquie est signé à Lausanne le 24 juillet 1923. Il ne mentionne ni les Arméniens, ni les Kurdes, qui sont rayés du territoire turc.
Un colloque pour rendre hommage
La Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud (CECCV) organise un colloque afin de rendre hommage aux descendants de cette histoire tragique et de faire mémoire avec eux, dans la prière, d’un passé douloureux, qui réclame justice. Mais aussi, au vu des événements actuels au Proche-Orient, elle souhaite oser des pistes d’ouverture et d’espoir vers un « vivre ensemble » possible, là-bas… et ici !
Ce projet a provoqué des réactions diverses, tout d'abord au sein de la communauté arménienne dont la sensibilité et les attentes ont des accents différents selon que ses membres vivent en Turquie, en diaspora ou en République d'Arménie. Par ailleurs, il a été ressenti comme partisan de la part de représentants d'organisations turques de Suisse, qui, tout en reconnaissant le martyre de plus d'un million de personnes, récusent l'appellation de « génocide ». Certes le premier ministre, aujourd’hui président de la République de Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a affirmé le 24 avril 2014 que : « C'est un devoir humain que de comprendre et de s'associer à la commémoration des mémoires liées aux souffrances vécues par les Arméniens, comme par tous les autres citoyens de l'Empire ottoman. » Cependant cette affirmation est ressentie comme stratégique dans la mesure où elle n'est pas accompagnée d'actes concrets.
Avec des films, un concert et une célébration
Ce colloque n'a aucune visée politique. Il veut éviter toute stigmatisation de qui que ce soit. La parole sera donnée à des historiens, mais aussi à des témoins de la situation actuelle. En 1915, la cohabitation a été détruite (c’est la première partie). Aujourd’hui, elle est gravement endommagée en Syrie et en Irak (journée du samedi). La troisième partie donne la parole à des témoins du « vivre ensemble », en Turquie Rachel Dink – la veuve du journaliste martyr arméno-turc Hrant Dink, assassiné à Istanbul en 2007 – et chez nous, en Europe, entre chrétiens et musulmans. En terminant ce colloque par une célébration, nous témoignerons que le « vivre ensemble » est nourri par la prière. Prière et « vivre ensemble » grandissent ou périssent ensemble.
Jean-Jacques Meylan
Président de la CECCV