La prière de consentement

Jean-Jacques Meylan vendredi 25 octobre 2024

La prière de consentement nous permet d’accueillir la volonté de Dieu, même lorsque celle-ci ne correspond pas à notre propre volonté. Elle nous apprend à aimer Dieu pour qui il est, plus que pour ce qu'il donne. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Églises évangéliques.]

Dans la Bible

L’ange entra chez elle et lui dit [...] : « N’aie pas peur, Marie, car Dieu t’a accordé sa faveur. Voici : bientôt tu seras enceinte et tu mettras au monde un fils ; tu le nommeras Jésus. [...] Marie dit à l’ange : « Comment cela se fera-t-il, puisque je suis vierge ? » L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint descendra sur toi, et la puissance du Dieu très-haut te couvrira de son ombre. [...] » Alors Marie répondit : « Je suis la servante du Seigneur. Que tout ce que tu m’as dit s’accomplisse pour moi » (Luc 1.26-38).

Alors il sortit et se dirigea, comme d’habitude, vers le mont des Oliviers. Ses disciples s’y rendirent aussi avec lui. Quand il fut arrivé, il leur dit : « Priez pour ne pas céder à la tentation ». Puis il se retira à la distance d’un jet de pierre, se mit à genoux et pria ainsi : « O Père, si tu le veux, écarte de moi cette coupe ! Toutefois, que ta volonté soit faite, et non la mienne ». Après avoir ainsi prié, il se releva et s’approcha de ses disciples. [...] « Pourquoi dormez-vous ? leur dit-il. Debout ! Et priez pour ne pas céder à la tentation » (Luc 22.39-46).

Pour me garder de l’orgueil, Dieu m’a imposé une épreuve qui, telle une écharde, tourmente mon corps. […] J’ai prié par trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi, mais il m’a répondu : « Ma grâce te suffit, c’est dans la faiblesse que ma puissance se manifeste pleinement ». C’est pourquoi je me vanterai plutôt de mes faiblesses, afin que la puissance du Christ repose sur moi. […] C’est lorsque je suis faible que je suis réellement fort (2 Corinthiens 12.7-10).

* * *

Voici une prière particulière, sans demande, ni requête. Elle n'est pas une louange et ne cherche pas à modifier la situation environnante. Elle n’a pas d’impact sur autrui... seulement sur soi-même.

• Marie. Une jeune fille est visitée par un ange qui lui annonce qu'elle deviendra enceinte. C’est surréaliste... Je ne connais pas d'homme. J'ai un fiancé, mais nous n'avons pas couché ensemble. Catastrophe ! Qui va croira à cette histoire d'ange ? Au mieux, je serai la honte du village. Mais, plus probablement, je vais être lapidée. Ce n'est pas possible ! Et pourtant si : « Qu'il me soit fait selon ta parole ! »

• Jésus. Il est le juste par excellence, le modèle de la bonté, de la générosité. Il a nourri les foules, guéri les malades, il pardonne les offenses. Il a fait tant de bien autour de lui. Il apporte la vie au monde. Il va mourir ! C'est insupportable ! Dieu doit trouver une autre solution. « Il faut que cette coupe s'éloigne de Moi ». Ce n'est pas possible ! Et pourtant si : « Non pas ma volonté, mais la tienne ! »

• Paul. Il est le géant parmi les grands, l'évangéliste des nations. Il pourrait raconter pendant des heures toutes les actions extraordinaires que Dieu a accomplies par son ministère. « On appliquait sur les malades des linges ou des étoffes qui avaient touché son corps ; alors les maladies les quittaient ». Or Paul est atteint dans sa santé. Dieu va certainement venir à son secours, pour qu'il puisse poursuivre son ministère. Non tu ne seras pas guéri ! Tu vas découvrir l'extraordinaire dynamique de la grâce au cœur de ta vie et de ta maladie : « Ma grâce te suffit ! »

Quand ça ne se passe pas comme nous le voulons...

Les humains aiment pouvoir décider eux-mêmes de leur destin, faire des choix, se fixer des objectifs et les réaliser, aussi bien pour les petits choix quotidiens que les grands choix de la vie. Certes, Dieu veut le bonheur des humains (Ps 20.4 ; Ecc 9.9; 11.9). Mais de quel bonheur parlons-nous ? Celui, léger et fugitif, produit par la satisfaction de nos désirs... ou un bonheur plus profond ?

Or la vie humaine n'est pas faite que de réussites et de choses agréables. Elle est fragile, marquée par des déceptions, des ruptures, des échecs. Un obstacle majeur peut survenir : deuil, échec, problème de santé, difficulté dans l’Église ou au travail, injustice dont nous sommes victimes, projet de vie fracturé...

Tôt ou tard nous devons tous faire des deuils, renoncer aux rêves qui ne se réalisent pas. Que faire ? Qu'allons-nous devenir ? Devant nous se dresse un mur infranchissable. Nous vivons un sentiment d'échec, de honte, de culpabilité, car nous ne trouvons pas le chemin pour contourner le mur.

Nous sommes désorientés. Nos manières habituelles de fonctionner, d'agir, de lire la Bible et de prier ne sont plus opérantes. Nous entrons dans un désert spirituel. Pourquoi Dieu permet-il cela ? Que faire ? Se révolter, rager d'une colère rentrée, vivre un déni, tomber dans la dépression, se résigner ? Certes ce sont là les étapes naturelles d'un processus de deuil... mais seulement des étapes transitoires. Une fois ces étapes franchies, nous sommes invités à entrer dans le consentement, l'adhésion, l'acceptation et le lâcher prise.

Intégrer l'obstacle : la prière de consentement

Intégrer les obstacles de la vie fait appel à des attitudes qui ne nous sont pas familières, mais qui sont inscrites au cœur de l'Évangile. Cette intégration est marquée par les mots « consentir », « accepter ». Dans la dynamique de la grâce, nous pouvons accepter les limites de notre condition humaine, accueillir nos deuils, renoncer à nos rêves de toute-puissance, laisser Dieu être Dieu, accepter que cette situation douloureuse soit précisément le lieu où la grâce de Dieu va œuvrer.

Dans les épreuves, nos certitudes et nos sécurités ont tendance à disparaître. Nous ne pouvons plus nous appuyer sur ces repères. Il nous faut improviser un chemin nouveau. Nous sommes alors invités à « choisir » ce que nous n'avons pas choisi, accueillir ce qui nous est imposé.

Ainsi, la prière de consentement :

• permet de rejoindre notre vrai « moi » épuré des parasites, les distractions de l'activisme de la vie. Elle nous libère de notre faux « moi », de ses désirs illusoires, de ses mécanismes de défense ;

• elle invite à trouver son repos en Dieu en vivant un authentique « lâcher prise », lorsque tout autre appui, tout autre projet est abandonné ;

• elle me permet de devenir plus sensibles au mystère de Dieu qui demeure en moi, en l'autre, dans le flux de la vie... afin d'offrir à Dieu ma disponibilité ;

• elle n'est plus une action que je fais pour Dieu, mais elle valorise, éveille et manifeste ce que Dieu fait en moi ;

• contrairement à la pensée bouddhiste, elle n'est pas le deuil du désir. Elle réoriente mon désir. Marie souhaitait vivre une vie de jeune femme comme toutes les jeunes femmes. Elle a choisi de réorienter son désir pour accueillir son destin ;

• elle m'invite à accepter mon passé : consentir à ce que je vis, à mes limites, à mon vieillissement, à ma fragilité. Ce que je vis n'est pas une erreur à corriger ;

• elle consiste à laisser Dieu être Dieu en moi, à choisir ce qui m’a été imposé, ce que je n’ai pas choisi, en m’appuyant sur l'amour de Dieu. Elle permet d'acquérir une liberté intérieure... même lorsque la liberté extérieure se trouve entravée.

Une prière qui laboure et ensemence la terre de nos vies

Vécue comme un consentement, notre prière se modifie. Elle devient moins utilitaire et centrée sur nous-mêmes, les autres, le monde, l'Église et ses besoins. Elle devient plus intime et nous conduit dans un chemin d'intériorité. Nous devenons alors conscients d'être l’œuvre de Dieu et non plus de « devoir faire l’œuvre de Dieu ». Nous acceptons de laisser Dieu labourer la terre de nos vies pour permettre à sa vie d'y germer sous la forme qu'il choisira.

Le consentement n'est pas synonyme de résignation, ce qui serait une forme de révolte. Il exprime les vertus de la foi, de l'espérance et de l'amour en action. C'est un chemin de vie et de fécondité, un terrain où la grâce de Dieu va œuvrer. La prière de consentement se trouve sur une arrête entre deux précipices : d'un côté le refus de la réalité, la révolte, l'amertume ; de l'autre la résignation servile et passive devant le destin ou devant les conséquences de nos mauvais choix.

La prière de consentement s'exprime parfois par le silence, non de résignation, mais un silence qui laisse germer la vie que Dieu fait éclore en nous. Marie s'est réfugiée auprès d'Elisabeth pour laisser croître son enfant en elle. Jésus s'est tu devant ses accusateurs. L'apôtre Paul s'est « réfugié » trois ans dans le silence des prisons de Césarée.

Le consentement nous apprend à ne plus aimer Dieu pour ce qu'il donne, mais pour qui il est. Et alors, notre être intérieur fait plus de place à l'écoute, à la confiance, à la contemplation qui nous transfigure de gloire en gloire (2Co 3.18).

La prière de consentement permet de rejoindre cette dimension d'éternité que Dieu a déposée en nous. Car la vie éternelle n'est pas qu’une vie future : on la vit dès ici-bas (Jn 17.3). La prière de consentement est un tremplin pour mieux servir notre prochain dans l'Eglise et la société.

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