Des chrétiens plaident contre le durcissement du droit d’asile

mardi 11 septembre 2012
Dans un climat d’insécurité et de délinquance en hausse, le Conseil national a voté en juin un durcissement en matière de politique d’asile. Des racines judéo-chrétiennes sous-tendent pourtant l’accueil de l’étranger comme du démuni. Regards croisés avant la reprise du dossier par le Conseil des Etats.
Face aux conflits majeurs de la planète, la Suisse est un eldorado sécuritaire et financier des plus attractifs. Mais « quand vous êtes collé contre un mur ou soumis à un feu d’artillerie en Syrie, vous n’allez pas vous poser la question de savoir quelle est la politique d’asile d’un possible pays d’accueil. De même si vous êtes Nigérian, chrétien, et que votre église brûle », estime Claude Ruey, président de l’Entraide protestante (EPER) et ancien conseiller national libéral. Toutes sortes de raisons politiques, religieuses ou économiques font que des personnes quittent aujourd’hui leur pays, lui fait écho François Dermange, professeur d’éthique à l’Université de Genève. Si on accorde l’asile en vertu de considérations politiques, il n’est pas toujours simple de faire la distinction : quand un ressortissant africain n’a plus accès à l’eau potable, est-ce une raison suffisante pour invoquer l’asile ?

Une responsabilité
Dans une perspective juive et chrétienne, l’émigré est à protéger, comme la veuve et l’orphelin. « Pratiquez la justice et l’équité, délivrez l’opprimé de l’oppresseur, ne maltraitez pas l’étranger », cite à ce propos Claude Ruey (ndlr : verset de la Bible, Jérémie 22,3). « Mon père était un Araméen errant », renchérit François Dermange (ndlr : Deutéronome 26,5), qui rappelle que nos sociétés sécularisées ont dès lors toujours considéré celui qui était dépossédé de son pays, l’apatride, ou celui dont la vie était en danger comme devant bénéficier d’une protection particulière. L’histoire de la famille de Jacob qui cherche refuge en Egypte, de même que la fuite de Jésus pour échapper au massacre des enfants sont d’autres exemples qui démontrent selon l’éthicien l’importance pour chacun de faire quelque chose en faveur de la personne en détresse, même s’il n’en est pas responsable. « Face à l’autre, je ne peux me dérober : ce n’est  pas un devoir de charité ou d’amour, mais un devoir de justice. Et c’est un principe qui est devenu politique : dans l’élaboration des Droits de l’homme, on reconnaît devoir faire quelque chose pour celui qui est dans la détresse. »

Quel accueil ?
L’histoire de la Suisse a été largement influencée par l’arrivée des Huguenots, leur accueil, puis leur installation dans le courant du XVIIe  siècle. « C’est un pays chrétien qui a su être une terre de refuge », indique Claude Ruey. Puis, faisant allusion à Henri Dunant et la Croix-Rouge, il souligne que notre pays est dépositaire des Conventions de Genève, du droit humanitaire international et qu’il s’est toujours caractérisé par la défense de la personne humaine. « Nous sommes aussi un pays fédéraliste où on sait ce que sont les identités multiples et le respect de celles-ci. »
Les élus au Conseil national n’en ont pas moins décidé en juin un durcissement de la politique d’asile, notamment en votant l’arrêt de l’aide sociale pour les demandeurs d’asile, qui devraient se contenter de l’aide d’urgence. « Si on admet des personnes en Suisse, il faut les admettre vraiment, réagit François Dermange. C’est une question d’hospitalité : si j’accueille dans ma maison une personne, je ne vais pas lui donner un repas inférieur au mien, je l’accueille à ma table. » Pour le professeur d’éthique, la question essentielle est de savoir finalement si le peuple suisse veut accueillir… Auquel cas, il devrait peut-être définir combien de personnes.

Bannir la peur
Actuellement et selon des chiffres avancés par Claude Ruey, les réfugiés statutaires, les personnes admises de façon provisoire et celles en procédure constituent le 0,84% de la population : « On est loin d’être envahi, non ? »
Le Conseil des Etats doit reprendre le dossier sur l’asile à sa session d’automne, du 10 au 28 septembre. « On s’achemine, je l’espère, vers quelques correctifs », déclare le président de l’EPER, pour qui la législation suisse se durcit de façon inquiétante. Les élus, « qui ont une mission pédagogique et non démagogique envers la population », feraient mieux de renforcer leur combat contre les abus au niveau du code pénal plutôt que de se focaliser sur quelques délinquants en créant un amalgame malheureux, estime-t-il.
Alors oui, la criminalité – qui est notamment le fait de jeunes nord-africains – est en hausse. Cette délinquance suscite moult réactions comme la proposition du chef de la police jurassienne Olivier Guéniat de prélever systématiquement l’ADN des candidats à l’asile. Et la peur s’exprime. Mais elle est toujours mauvaise conseillère, rappelle François Dermange. « D’un point de vue chrétien, c’est ce qu’il faut chasser. J’ai toujours été très frappé par saint Augustin, l’auteur chrétien qui a écrit au Ve siècle La cité de Dieu, au moment même où Rome, la Ville éternelle, est en train d’être envahie par les barbares et qu’elle va s’effondrer. Il a une espérance folle et il montre que si Rome s’écroule, le monde existe, qu’il est aimé de Dieu et qu’il continuera de vivre ! Le regard du chrétien doit être un regard d’espérance. Et jamais un regard de peur. »
Gabrielle Desarzens
Cet article a paru dans les colonnes du journal La Liberté. Il a fait suite à différentes interviews que Gabrielle Desarzens a réalisées pour les besoins d’une série A vue d’Esprit, diffusée à 16h30 du 27 au 31 août sur les ondes de RTS Espace 2.

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