Mardi 30 septembre, un évêque réformé hongrois, Mgr Istvan Szabo, a remis une lettre de protestation à des autorités ecclésiales et politiques suisses, dans laquelle il dénonce notamment la prostitution des mineures en Suisse qui est toujours autorisée de 16 à 18 ans. « Ce qui fait, écrit-il, le malheur de nombreuses Hongroises.»
La Suisse en effet est le seul pays européen qui tolère une prostitution dès 16 ans.
Un projet d’interdiction de la prostitution des mineurs est cependant en consultation à Berne : mi-août, la Cheffe du Département fédéral de justice et police Simonetta Sommaruga a présenté une révision du Code pénal visant à relever l’âge légal de la prostitution de 16 à 18 ans. Ainsi la législation suisse sera-t-elle enfin conforme aux normes du Conseil de l’Europe en la matière. Les clients qui sollicitent les services sexuels de mineurs connaîtront, eux, selon le projet en consultation, jusqu’à 3 ans de prison.
Pour l’heure, seuls 2 cantons interdisent aujourd’hui la prostitution des mineurs, soit Genève et Saint-Gall.
Des chiffres ?
Il est difficile d’avancer des chiffres concernant ce fléau qui reste difficile à combattre : souvent clandestine, l’activité est en constante évolution. Les réseaux changent et ceux qui en tirent profit ont d'énormes moyens, s'adaptent très vite aux nouvelles règles, évitent les obstacles et exploitent très facilement les lacunes du système. De source policière, le 80% des prostituées nouvellement inscrites à Zurich par exemple proviendrait actuellement de Hongrie. D’où la préoccupation de Mgr Istvan Szabo et sa demande d’aide pour démanteler les filières.
Irène Hirzel travaille à la Mission chrétienne pour les pays de l’Est. Après avoir travaillé 10 ans auprès des femmes prostituées des quartiers chauds de Bâle, elle fait aujourd’hui depuis 2 ans de la prévention dans les pays d’origine de cette population. Elle nous livre son expertise sur ce drame qui détruit physiquement et psychiquement non seulement les femmes concernées, mais leurs enfants.
Irène Hirzel, comment se fait-il que des jeunes filles de 16 ans arrivent aujourd’hui sur les trottoirs de Zurich ou Bâle pour s’y prostituer ?
- Elles sont arrivées surtout depuis 2 ans dans la foulée des accords de Schengen qui favorisent la libre circulation des personnes. Dans les pays de l’Est, on leur promet qu’elles peuvent gagner de l’argent dans un bar ou un hôpital, et elles se retrouvent sur les trottoirs de nos villes. Les policiers sont souvent démunis car, d’une part, ils ne parlent souvent pas la langue de cette population et, d’autre part, les filles ne leur font pas confiance vu que dans leur pays d’origine, les porteurs d’uniformes sont souvent corrompus. Privées de passeport par les trafiquants, les jeunes femmes sont menacées par ces derniers qui connaissent leur famille et qui leur disent qu’il leur arrivera malheur si elles ne font pas exactement ce qu’on leur dit de faire. La violence est aussi utilisée à leur encontre pour les mettre au pas, violence physique, mais aussi viols répétés.
Vous faites de la prévention dans les pays d’origine de ces filles, cela signifie quoi concrètement ?
- Nous avons divers projets sur place. D’abord, on explique aux jeunes filles ce qui peut les attendre, ce que cachent souvent les promesses d’emploi en Suisse, en Italie ou en Allemagne. Puis on a des abris pour accueillir celles qui reviennent au pays dans un état épouvantable. Nous effectuons encore des missions de sauvetages dans des lieux de prostitution pour chercher les filles et les amener en lieu sûr. Débute alors tout un travail de guérison intérieure et de dignité à restaurer. En Moldavie, j’ai par exemple connu Marouchka. Elle avait quitté son mari et leurs deux enfants alors qu’on lui avait promis un travail de vendeuse dans nos pays. Elle a rapidement été forcée à se prostituer et les trafiquants ont permis qu’elle ait deux grossesses pendant cette activité, enfants qu’ils entendaient exploiter par la suite dans des réseaux pédophilies et pour le trafic d’organes. Marouchka est parvenue à s’enfuir. Rattrapée par les trafiquants, elle a failli mourir et a dû séjourner 2 semaines à l’hôpital. Une fois rentrée au pays, elle a raconté son histoire à son mari qui ne l’a pas crue et qui l’a quittée. Elle s’est retrouvée seule avec 4 enfants et dans la crainte que les trafiquants lui prennent ses deux plus jeunes enfants qui, dans leur logique, leur appartenaient.
Nous nous occupons d’elle depuis septembre dernier, non seulement au niveau matériel, mais en assurant également un suivi psychologique notamment auprès de ses enfants gravement perturbés.
Est-ce que dans ce « commerce » les 16 à 18 ans sont une cible particulière ?
- Les filles de 16 ans qui sont le plus en danger sont celles qui sortent des orphelinats. Car dès 16 ans, les orphelines doivent quitter ces structures... Et les trafiquants les attendent à la sortie ! Dans ces pays, ces filles n’ont pas de perspective, pas de travail, aucune formation professionnelle et pas de foyer. Que peuvent-elles faire ? Alors quand on leur propose un voyage à l’étranger, avec une perspective d’emploi, elles se disent qu’elles n’ont pas grand-chose à perdre et elles essaient. C’est pour elles un chemin possible qui s’ouvre. Donc nous intervenons aussi dans les orphelinats et, après discussion, proposons à ces filles de les placer dans des familles d’accueil, où elles peuvent débuter des formations et des études.
Nous parlons de Modavie. Mais dans les autres pays de l’Est, est-ce qu’ on rencontre les mêmes cas de figure ?
- Oui, cela existe dans les autres pays de l’est, comme en Hongrie ou en Roumanie. Dans ce dernier pays, les filles d’origine rom sont particulièrement fragilisées.
Les Eglises sont-elles sensibles à cette population en détresse ?
- Les Eglises des pays d’origine de ces prostituées de l’Est sont plus sensibilisées que les Eglises en Suisse. Ici, beaucoup de paroissiens ou de membres d’Eglise ne savent pas que cela existe et ne font pas grand-chose... Nous faisons par conséquent aussi de la prévention ici en Suisse et notamment auprès des consommateurs de pornographie. Le 19 mars dernier, on a organisé par exemple un congrès sur les liens qu’entretient la traite des femmes avec la pornographie.
Et quels sont ces liens ?
- D’après nos informations, le 50% des prostituées sont forcées de faire des clips pornographiques. Les femmes et les enfants traités sont utilisés pour de la pornographie hard. Ce sont des milliards de dollars qui sont en jeu. Soyons clairs : le trafic sexuel est aujourd’hui le commerce le plus important devant celui de la drogue et celui des armes. C’est le crime numéro 1. Sachant cela, 3000 filles sont malgré tout sujettes au commerce sexuel contre leur gré chaque année en Suisse. Et seuls 4 ou 5 trafiquants sont amenés devant la justice, où ils écopent de peines de prison qui varient entre 3 ou 4 années seulement.
Les 3000 femmes dont vous parlez ont-elles moins de 18 ans ?
- Non, toutes n’ont pas cet âge-là. Mais des services d’escort-girl se sont spécialisés sur cette tranche d’âge. Mais je vous le demande : même si une fille a 18 ou 20 ans, est-ce qu’elle est prête ou plus apte à être traitée comme une vulgaire marchandise ? Il devient urgent de changer quelque chose !
Gabrielle Desarzens
Ce soir mercredi 7 septembre à 19h30 dans les locaux du centre interculturel Casamundo à Lausanne, avenue Tivoli 14, une journaliste ukrainienne vient parler du fléau de la prostitution.