A propos des Eglises libres de Suisse romande

lundi 19 décembre 2005

En Suisse alémanique la notion d’Eglises libres renvoie à l’ensemble des Eglises évangéliques. En Suisse romande, il en est autrement. Parmi les unions ou fédérations d’Eglises évangéliques, quelques-unes seulement recourent au terme « libre » pour se définir: l’Eglise évangélique libre de Genève et la Fédération des Eglises évangéliques libres (FEEL) notamment. Dans le cadre des discussions autour de la fusion FEEL-AESR, Reynold Pfund de l’Eglise de Meyrin (AESR) et Jacques Blandenier de l’Eglise de Cologny (AESR) apportent quelques clarifications sur l’histoire de ces deux Eglises évangéliques « libres ».

En Suisse romande, il y a plusieurs Eglises ou union d’Eglises qui ont intégré dans leur nom le mot « libre ». Les Eglises libres des cantons de Neuchâtel, de Berne, de Fribourg et du Jura bernois rassemblées sous le nom de Fédération des Eglises évangéliques libres (FEEL) avec lesquelles la perspective d’une fusion se précise. Mais aussi l’Eglise libre de Genève (EELG). Cette similitude incite à donner quelques clarifications sur ces deux groupes d’Eglises appelés « libres ».

1. Les origines de la FEEL et les relations avec les AESR
Le Réveil du XIXe siècle a donné naissance aux premières Assemblées évangéliques entre 1817 et 1826. A Genève d’abord, mais très vite dans les cantons de Vaud, de Neuchâtel et dans le Jura bernois. A Neuchâtel, en 1820 il y a des réunions de prière et d’étude biblique (appelés « conventicules ») dans des maisons, en même temps que les premiers signes de réveil se manifestent dans le canton de Vaud. En 1823, l’instituteur J.-F. Magnin est expulsé de La Sarraz (VD). Il retourne dans son lieu d’origine : Coffrane (NE). Il invite alors Empeytaz (un des initiateurs du Réveil de Genève) et d’autres prédicateurs, ce qui lui vaut 5 ans de bannissement. Mais les réunions se poursuivent.
En 1836, l’Eglise dissidente de Neuchâtel accueille son premier pasteur, Edouard Petitpierre, formé par César Malan. Le premier lieu de culte est ouvert à la Place d’Armes en 1840. Il restera dans cet endroit durant cent ans avant la construction de la chapelle actuelle de l’Eglise libre : La Rochette.
Un des premiers convertis du Réveil de Genève, Ami Bost, propage l’esprit du Réveil à Moutier (Jura bernois) dès 1817. L’Eglise libre française de Berne est fondée par l’aristocrate bernois Charles von Rodt, converti par Ami Bost à Moutier en 1829.
Le mouvement à l’origine des Eglises libres de ces régions (aujourd’hui FEEL) est donc clairement le même que celui qui a donné naissance aux Assemblées des Frères (aujourd’hui AESR), et des personnalités comme Bost, Empeytaz, Malan, Neff, marquèrent de leur empreinte le mouvement dans toute la Romandie protestante.

La période darbyste
Dès 1847, la plupart des Assemblées suivent Darby, sauf Genève (La Pélisserie), Rolle, et l’Assemblée du Brassus. Mais la résistance la plus forte s’élève à Neuchâtel, grâce au pasteur Richard Monsell, un excellent théologien et une forte personnalité, et à Berne. Ces communautés restent « Eglises », alors que les autres deviennent « Assemblées ». Certes un bon nombre d’Assemblées vaudoises rompent avec Darby après une vingtaine d’années pour devenir « Frères larges ». Mais elles gardent, plus ou moins inconsciemment, un caractère « darbysant ». D’autres suivent le même chemin près d’un siècle plus tard, alors qu’elles s’appelaient « darbystes élargis ». Elles s’intègrent aux AESR en 1985.
Dans les années 1960-1970, les Assemblées de Suisse romande évacuent les séquelles du darbysme qui, contrairement aux Eglises libres, les avaient marquées. Elles reconnaissent des anciens, puis le ministère pastoral, tout en conservant de leur passé une vision collégiale de la direction de la communauté. Les Eglises libres des cantons de Neuchâtel et de Berne (Jura bernois), se fédérèrent en 1942 pour former la FEEL, avec un fonctionnement congrégationaliste : chaque entité ecclésiale dispose de l’autonomie locale.
Depuis une vingtaine d’années, les Eglises de la FEEL ont découvert la valeur de la collégialité pasteur-anciens. Ainsi, venant des deux extrêmes quant à la conception des ministères, nos deux groupes se retrouvent quasiment au même point.
Plusieurs transferts de pasteurs d’une union à l’autre attestent de cette proximité de conception : Samuel Grosjean, Marc Luthi, Paul Dubuis, Claude-Alain Baehler, Jacques Blandenier...
Le journal Vivre, la Formation au service dans l’Eglise, ainsi que des pastorales communes régulières ont préparé un rapprochement qui devrait bientôt se concrétiser par la fusion des deux unions.

2. L’Eglise libre de Genève ou la seconde vague du Réveil
A Genève, le Réveil a provoqué une rupture avec l’Eglise réformée (1817). Par la suite, l’élan du Réveil a touché des personnes qui n’ont pas rejoint la dissidence, souvent membres des vieilles familles genevoises comme les Tronchin, les Vieusseux, les Boissier, les Colladon… Entre 1831 et 1834, ces « réveillés » fondèrent la Société évangélique de Genève (Louis Gaussen, Antoine Galland) et une Faculté de théologie évangélique (1832) 1 dont Merle d’Aubigné fut l’un de professeurs les plus réputés.
En 1833, l’Oratoire est ouvert. Il est un « lieu de prêcherie », porteur du message du Réveil, et non une Eglise dissidente. Les tensions avec les autorités ecclésiastiques sont vives, mais la rupture n’intervient qu’en 1848, suite à la révolution radicale de James Fazy, qui impose une forte ingérence politique dans la vie de l’Eglise 2. 
L’Oratoire devient Eglise libre en 1849. La Pélisserie et l’Oratoire partagent la même position théologique. Ces deux entités se groupent en une seule Eglise avec deux lieux de culte. On note cependant une différence de niveau social et intellectuel entre les deux communautés, et des nuances dans la sensibilité. Le premier Réveil (1817) est plus populaire que le second, plus piétiste et moins calviniste que lui, plus « sacerdoce universel » et moins « pastoral » ! Cela se remarque dans la forme du culte. A l’Oratoire, on porte la robe pastorale et la prédication est une part centrale du culte, alors qu’on célèbre la Cène une fois par mois. A la Pélisserie, la prédication est souvent donnée par des anciens, la Cène est hebdomadaire, et les fidèles participent librement aux temps de prière.
En 1856, la Rive droite devient paroisse de l’Eglise libre, les Buis en 1892, puis Carouge vers 1900. Il est remarquable que les fondements de la Croix-Rouge ont été posés à l’Oratoire, et c’est à la Rive droite que fut fondée la Croix-Bleue.
Dès 1882, des tensions doctrinales apparaissent dans l’Eglise libre de Genève. On atténue certaines affirmations (notamment sur le mode d’inspiration des Ecritures et sur les peines éternelles) qui avaient été rédigées au plus fort de la bataille théologique contre le rationalisme. Simultanément, la Pélisserie sous l’influence des Assemblées vaudoises, devient (semble-t-il) plus « darbysante ». Ainsi, après 34 ans de « vie commune », elle quitte l’Eglise libre en 1883 et devient plus nettement « Assemblée de Frères ».
Après certains tâtonnements théologiques, un renouveau de la substance biblique se manifeste dans l’Eglise libre durant la période de l’entre-deux-guerres, dans le sens de l’orthodoxie calviniste et du barthisme.
En 1955 le pasteur des Buis part en Belgique et la majorité des membres quitte la paroisse. Les Buis vont vivre 25 ans sous la forme d’une assemblée charismatique de frères. Cette communauté aura un grand rayonnement et attirera de plus en plus de monde. Il faudra d’abord agrandir la chapelle, puis effectuer un essaimage à Onex.
A la fin des années 70 et au début des années 80, l’Eglise libre vit un profond changement. La Rive Droite et l’Oratoire se retrouvent à leur tour sans pasteur et perdent la grande majorité de leurs membres. Des « transferts » leur redonnent un élan. Une centaine de personnes quittent l’Eglise du Réveil pour intégrer la Rive Droite et un groupe assez important de la Pélisserie rejoint l’Oratoire. Une orientation pentecôtisante se fait de plus en plus sentir dans l’ensemble des paroisses. Des membres des Buis forment une nouvelle paroisse à Chêne.
Au début des année 90, à la suite de dérapages doctrinaux et ecclésiologiques qui aboutiront aux excès de « la Bénédiction de Toronto », un certain nombre de libristes fondent la paroisse de Versoix, tandis que d’autres rejoignent des communautés pentecôtistes et AESR du canton de Genève.
Du point de vue de ses liens ecclésiastiques au plan national, l’Eglise libre de Genève fait partie de la Fédération des Eglises protestantes de la Suisse (FEPS), ce qui n’est ni le cas de la FEEL ni des AESR. Contrairement à la FEEL, qui est une Fédération d’Eglises (donc de type congrégationaliste), l’EELG est une Eglise formée de plusieurs paroisses. Elle est donc de type synodal.

Reynold Pfund (Meyrin) et Jacques Blandenier (Cologny)


Notes :
1 Elle se fermera après 90 ans, en 1921, après avoir formé plus de 500 pasteurs.
2 Guère plus d’un an plus tôt, le même scénario de rupture s’était produit dans le canton de Vaud sous l’impulsion surtout d’Alexandre Vinet, avec la fondation de l’Eglise libre vaudoise (qui fusionnera en 1964 avec l’Eglise nationale). Cela suite à la révolution radicale de Druey qui a forcé les pasteurs à lire du haut de la chaire des circulaires qui avaient tout de diatribes politiques.

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