Tracer son arbre généalogique est un exercice qui connaît aujourd’hui un engouement croissant. Mais les personnes qui s’y attèlent recherchent non seulement leurs racines, mais aussi l'histoire et les conditions de vie de leurs ancêtres, les métiers de ceux-ci, leurs patrimoines, leur religion, l'origine et la signification de leur nom... de même que les liens psychologiques et les faits marquants qui ont affecté les générations précédentes.
Née il y a cinq ans, l’association Adamah propose en Suisse romande ce travail autour de la filiation. Dans une perspective biblique, les participants y apprennent quels sont les mécanismes à répétition dont leurs aïeux ont souffert. « Tant la mythologie grecque que les premiers récits de la Bible livrent des exemples familiaux qui fourmillent de difficultés. De quoi rassurer l’homme d’aujourd’hui en manque de repères, estime à Vallorbe le médecin et co-fondateur d’Adamah Charles Dvořák. Et de quoi lui en fournir de nouveaux. » De fait, l’histoire de tout individu est reliée à celle de sa famille, qu’il le veuille ou non. Et les mythes ont toujours été des récits structurés qui permettent à celui qui s’y réfère de trouver du sens à sa propre existence, explique-t-il.
Sur les hauts de Blonay, dans le vallon de Villars, son alter-ego le physicien Gilles Vuataz explicite le nom de l’association qu’ils ont créée : « Adamah est le terme hébreu qui signifie ‘la glèbe’, selon une traduction littérale ; cette terre dont l’humain, l’Adam, est tiré. Il faut comprendre que tout ce qui fait l’intériorité de l’homme dans sa dimension psychique et spirituelle est un terreau sur lequel l’humain est appelé à travailler s’il veut grandir. »
De nouveaux outils
Dès les années 70, des pionniers de la thérapie familiale ont élaboré de nouveaux outils, comme le génogramme, une variante de l’arbre généalogique, qui permet à tout un chacun de comprendre notamment ses secrets de famille. « Lorsque quelque chose de douloureux se répète de génération en génération, cela signifie qu’une personne à un moment donné a vécu une situation particulièrement lourde et angoissante qu’elle n’est pas parvenue à dire, qui a été ‘indicible’, indique Charles Dvořák. La génération suivante a perçu le malaise sans pouvoir le nommer, et la situation est devenue ‘innommable’. Et la génération d’après n’a pas eu les outils ou le vocabulaire adéquat pour pouvoir ‘penser’ la souffrance initiale. Et quand une douleur est impensable, elle envahit. »
La démonstration du poison que sont souvent les secrets de famille est ainsi faite. Mais pas besoin de tout déballer pour autant : dire ou reconnaître que tel événement a été la source d’une grande souffrance suffit. « C’est offrir une première représentation à ce qui s’est passé. Ainsi l’individu peut par la suite construire sa propre histoire en lui donnant un sens. »
Cette quête de sens et d’identité est commune à toutes les cultures et a toujours existé. Et si les chevilles ouvrières d’Adamah se réfèrent aux premiers patriarches judéo-chrétiens, c’est parce qu’ils expliquent des problèmes que nous connaissons actuellement. Et Gilles Vuataz de préciser : « Adam est quasi absent de la naissance de son premier fils, Caïn. Eve le nomme et dit avoir ‘engendré un homme avec le Seigneur’, dans Genèse 4 :1. Il y a là la racine d’un problème qui va ensuite amener Caïn à tuer son frère. Je crois que chaque enfant doit être investi par son père comme par sa mère, même si on croit aujourd’hui qu’on peut se passer de l’un ou de l’autre...
» Mais la grande réparation au niveau filial que propose surtout la Bible, c’est qu’un Fils, Jésus, nous révèle son Père et nous invite chacun à être fils ou fille de ce Dieu et Père. L’Evangile a cette proposition de restauration, de découverte d’une filiation nouvelle. C’est la grande révélation du christianisme. » C’est dire que là où il y a dysfonctionnement, il y a aussi bénédiction possible... En faisant un travail de retournement sur son histoire, les deux fondateurs d’Adamah sont ainsi convaincus que chacun peut découvrir ou redécouvrir les bénédictions auxquelles il a droit. Et que la guérison de toutes les blessures du passé est toujours possible.
Gabrielle Desarzens