« Attention ! Nous sommes en train de perdre quelque chose d’essentiel ! » C’est l’avertissement qu’a lancé le pasteur et professeur de théologie Shafique Keshavjee le jeudi 23 septembre, à l’occasion d’un débat autour du thème : « Les convictions chrétiennes ont-elles leur place à l’Université ? » Une centaine de personnes avaient fait le déplacement à l’Espace culturel des Terreaux à Lausanne pour entendre un débat entre les théologiens Shafique Keshavjee et Pierre Gisel, accompagnés de deux professeurs retraités de l’UNIL et de l’EPFL, le géographe Jean-Bernard Racine et l’ingénieur Jean-Claude Badoux.
« La Fac de Lausanne n’est plus chrétienne ! »
« L’intérêt des Eglises est beaucoup moins pris en compte par les Facultés de théologie », a martelé Shafique Keshavjee, tout en soulignant qu’à Genève où il enseigne, il était le seul professeur à avoir été pasteur dans la durée. « La Faculté de théologie de Lausanne n’est plus une faculté chrétienne », a-t-il encore affirmé. Même si l’Université de Lausanne était au XVIe siècle, au moment de sa création, une institution qui formait avant tout des pasteurs. « Le paradoxe dans tout cela, c’est que la nouvelle Constitution vaudoise garantit des moyens financiers pour que le lien entre Eglises et Etat perdure au niveau de l’Université », a encore ajouté l’ancien constituant.
Une évolution « tactique »
Devant cette mise en question de l’institution lausannoise, Pierre Gisel, l’actuel doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions, ne s’est pas laissé démonter. Renonçant à développer ce qu’il avait préparé, il a répondu du tac au tac au réquisitoire de Shafique Keshavjee. Il a relevé notamment qu’il y avait derrière l’évolution de la Faculté de théologie de Lausanne un choix « tactique ». Dans un contexte où le nombre des nouveaux étudiants romands en théologie protestante se compte chaque année sur les doigts des deux mains, il n’est plus possible de conserver trois lieux de formation. Depuis une année, Lausanne affiche ainsi son nouveau visage. La Faculté de théologie garde certes les sciences bibliques, mais se consacre au religieux et propose à ses étudiants une dizaine de filières qui permettent l’étude approfondie du judaïsme, du bouddhisme ou de l’hindouisme notamment. « La Faculté n’est plus organisée autour du christianisme et des réflexions théologiques qui en sous-tendaient l’histoire et les réinventions incessantes, souligne Pierre Gisel. Elle est délibérément articulée à la scène religieuse. »
Une évolution institutionnelle liée à des changements personnels
Tout en soulignant son admiration pour l’intelligence de Pierre Gisel, Shafique Keshavjee a relevé que le doyen de la Faculté de Lausanne avait évolué dans sa théologie. Très attaché à la fin des années 70 à une perspective chrétienne et désireux d’apporter un renouveau à l’Eglise, Pierre Gisel aurait quitté cet ancrage et développé depuis quelques années une philosophie théologique sans lien étroit avec la foi chrétienne. Contrairement au professeur Carl-A. Keller qui mettait en avant le fait que « le Christ est venu dans le monde pour que nous partagions sa résurrection », Pierre Gisel s’intéresse aujourd’hui au monde de l’humain face à la transcendance, sans accorder de primauté au Dieu de la foi chrétienne.
Dans sa réponse, le doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de Lausanne a relevé qu’il n’avait « pas conscience d’avoir changé », qu’« il n’était pas à l’Université pour faire l’apologie du christianisme, mais pour dégager ce que toute tradition religieuse renferme comme forces et comme faiblesses. » Un peu à l’image de ce que faisait « Jésus qui permettait aux gens qu’il rencontrait de voir autrement les situations dans lesquelles ils se trouvaient, et qui mettait en lumière des choses que personne ne voyait. »
Pierre Gisel relève qu’il y a actuellement deux manières de se former en théologie en Suisse romande : le modèle lausannois articulé autour des sciences religieuses et le modèle genevo-neuchâtelois centré sur le christianisme. « Si les Eglises considèrent que ces formations ne suffisent pas, à elles d’inventer un complément », a-t-il lâché.
« Quitter le mépris des évangéliques » !
A une question du public qui demandait à Shafique Keshavjee si sa démission de professeur à Genève n’ouvrait pas la porte à une Faculté protestante confessante en Suisse romande, l’auteur du bestseller Le roi, le sage et le bouffon a répondu qu’il importait aujourd’hui que « toute faculté protestante quitte son mépris de la mouvance évangélique ». Ce serait un moment favorable pour « prendre davantage en compte la diversité du protestantisme contemporain, et notamment les sensibilités évangéliques, pentecôtistes et adventistes. » Par ailleurs, le professeur de théologie des religions a aussi relevé qu’une telle faculté devrait s’intéresser aux nouvelles communautés chrétiennes de migrants et leur proposer de la formation.
Serge Carrel
Un autre débat aura lieu le jeudi 7 octobre à 18h15 à Genève (Uni-Bastions, Salle B 012). Il s’intitulera « Vers une société sans théologie ? » Shafique Keshavjee et Pierre Gisel y participeront. Ce débat sera animé par le journaliste Michel Kocher.