En quoi l’imaginaire évangélique devrait-il être purifié par rapport aux récits de Noël ?
Les évangiles apocryphes comme on les appelle – en fait il ne s’agit pas d’évangiles, mais de textes divers des IIe siècles de notre ère et suivants – ont introduit de multiples éléments imaginaires en ce qui concerne la naissance de Jésus et ses circonstances. Un certain nombre de ces éléments est passé dans la tradition chrétienne même orthodoxe, alors que l’on repoussait ces textes comme apocryphes. Le peuple chrétien a admis certains éléments et la Réforme n’a pas tout éliminé malgré le principe du « Sola Scriptura », de l’Ecriture seule. La tradition issue de la Réforme que nous appelons évangélique contient encore de nombreux éléments que l’on trouve dans certains cantiques ou dans les saynètes jouées dans les fêtes de Noël de nos Eglises, qui n’ont pas de fondations bibliques.
Quel est l’élément le plus surprenant ?
Ce qui est le plus évident, c’est ce qui concerne les mages. L’idée qu’il y en ait trois et qu’ils soient rois est absente des textes. Dans le récit de Matthieu (2.1-12), il est question de mages, un titre très peu compatible avec la notion de royauté. Il s’agit à coup sûr d’astrologues-astronomes. A ce moment-là, astrologie et astronomie ne se distinguaient guère. Ils viennent rendre hommage à ce Jésus dont ils ont deviné, par l’observation des cieux, qu’il s’agit d’un personnage important, d’un roi des Juifs. Ils viennent sans doute plusieurs mois après la naissance de Jésus à Bethléem. Tout cela est complètement ignoré dans notre manière de nous référer à eux.
Il y a un autre élément qui, à votre sens, devrait être quelque peu retravaillé, c’est la notion de crèche…
A la naissance, Jésus a été déposé dans une crèche… Cela, le texte le dit (Luc 2.7) ! Qu’il y ait eu un bœuf et un âne gris, cela c’est le cantique qui le dit ! Aujourd’hui, on reconstitue assez facilement ce qui s’est passé par la connaissance des plans des grandes maisons juives du Ier siècle. Il y avait une très grande pièce commune avec, à une extrémité, les animaux de ferme qui permettaient pendant l’hiver de réchauffer quelque peu la salle où l’on se tenait. Il y avait dans cet ensemble un coin « chambre d’amis ». C’est de cette chambre d’amis dont il est question dans le texte par le mot grec « kataluma » (Luc 2.7), qui n’a jamais voulu dire « hôtellerie ». Et c’est cette chambre d’amis qui, dans la maison, était occupée par d’autres, de telle sorte que c’est dans le coin proche des animaux de la ferme que très provisoirement Marie a déposé le petit enfant.
Tout le pathos autour du fait que Jésus n’avait pas d’endroit où être accueilli… Il faudrait donc le tempérer !
Non seulement le tempérer, mais il faudrait aussi éliminer cette idée d’hôtellerie. L’évangéliste Luc utilise un autre mot pour « hôtellerie » ou « auberge » dans la parabole du Bon Samaritain (10.34). Nous n’avons donc rien de tout cela dans ce récit, rien qui suggère que Marie et Joseph soient arrivés sur le point d’accoucher à Bethléem ce soir-là et que, l’hôtellerie les ayant refusés, ils ont été obligés de se réfugier dans une étable ou dans une grotte, selon d’autres traditions, pour que Marie accouche. Le texte suggère fortement que Marie était là depuis un moment et que le temps où elle devait accoucher arriva.
A quoi attribue-t-on ces perspectives misérabilistes autour de la naissance de Jésus ?
Il est certain que Jésus est né pauvre. Même s’il y avait une petite propriété familiale dans la famille de Joseph à Bethléem, c’est tout de même comme un couple pauvre qu’ils ont offert le sacrifice de purification au temple de Jérusalem, en se contentant d’un pigeon. Pour le Fils de Dieu, naître comme cet enfant de Joseph et Marie, c’était se solidariser avec la pauvreté humaine. On comprend que ce thème ait retenu l’attention et que l’imagination fertile des prédicateurs et aussi des auditeurs ! se soient mises en route.
Vous avez mentionné tout à l’heure les mages. Comment comprenez-vous ce phénomène extraordinaire autour de l’étoile ?
Il y a diverses interprétations et diverses hypothèses, et je ne tranche pas de manière ferme, parce que je n’estime pas en avoir les moyens. L’hypothèse d’une supernova n’est pas totalement exclue. Il paraît que des tablettes astronomiques chinoises indiquent qu’il y a eu une supernova en l’an 5 avant Jésus-Christ, la date qui apparaît à beaucoup comme l’année de la naissance de Jésus.
Mais ce n’est pas l’interprétation que vous préférez…
Je souligne que, dans toutes ces hypothèses, il y a la difficulté du dernier détail, soit le fait que cette étoile indique Bethléem…
Et la maison…
Certains traducteurs préférent la traduction « le hameau », ce qui peut faciliter légèrement les choses, mais pour une étoile ou une supernova indiquer quelque chose d’aussi particulier est assez étonnant ! Il y a une interprétation proposée par un très grand exégète du Nouveau Testament, l’anglican Henry Alford… Alors cela date du XIXe siècle, mais il s’était très bien renseigné ! Son interprétation mise sur le fait – et c’est ce qui me plaît ! – que les mages étaient des astrologues. Pourquoi des mages, pourquoi tout cet épisode qui se concentre sur le fait que ces hommes avaient un statut et une vision du monde particulière, sinon pour nous suggérer que le discernement de l’étoile a été réalisé par calcul astrologique, que c’est dans ce domaine qu’il faut chercher le sens du texte. Alors les expressions n’entrent pas dans le vocabulaire particulier des astrologues, mais il pourrait très bien s’agir de supputations de types astrologiques. Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu trois fois en 5 avant Jésus-Christ – et cela est établi astronomiquement – une conjonction remarquable de Saturne et Jupiter dans la « région des poissons ». Henry Alford cite un grand exégète juif du XVe siècle qui fait état de cette conjonction comme signe de la naissance de Moïse. Il y aurait une tradition juive qui en fait un signe utilisé par Dieu pour annoncer la naissance de ce médiateur de l’alliance avec Israël. Ce grand exégète juif a noté que, de son vivant, la même conjonction doit se produire et que cela doit être le signe de la naissance du Messie qu’il attend encore, puisqu’il est juif. Cette interprétation juive sans contact avec la tradition évangélique me paraît un indice précieux qui va dans le sens d’une interprétation astrologique du phénomène de l’étoile.
Qu’est-ce que cela signifie ?
C’est un signe, à mon avis, de la liberté de Dieu et de l’ampleur de sa grâce. L’astrologie n’a pas bonne presse dans l’Ecriture sainte. Aucun des Juifs pieux qui ont adhéré au message de l’Evangile dans les premiers temps n’auraient imaginé une histoire mettant en scène des astrologues. C’est un élément qui aurait plutôt déconsidéré le message, donc un indice d’historicité ! Mais c’est aussi, si Dieu a conduit l’affaire, le signe que le Seigneur ne s’embarrasse pas des préventions et même du caractère parfois pernicieux de la recherche astrologique. Il démontre une capacité de communication, même à des gens qui se livrent à des calculs douteux. C’est un signe de l’ouverture de l’alliance de Dieu à toutes les nations, puisque ce sont des gens qui viennent de loin, de Perse ou de Babylonie vraisemblablement. C’est aussi le signe de sa liberté. Malgré tous les errements humains comme il y en a en astrologie, Dieu est capable de conduire les créatures qu’il aime jusqu’à la découverte de la vérité.
Propos recueillis par Serge Carrel