Parmi certains leaders nord-américains des Eglises émergentes comme Brian McLaren, on pense que l’Eglise ne répond pas aux vraies questions des jeunes, c’est pourquoi elles se vident. A mon avis, le problème fondamental de nos communautés évangéliques est ailleurs: elles ne sont plus dans la course culturelle actuelle. Les mouvements comme le charismatisme des années septante ou la bénédiction de Toronto des années 90 ont bien influencé des individus pour les «assouplir» dans le domaine des émotions, mais ils n’ont guère touché les structures fondamentales de nos communautés. Nous restons des «froids qui se sont un peu réchauffés au contact des mass-médias», mais notre banquise doctrinale et structurelle est restée la même. Il ne s’agit pas de mettre un peu plus d’émotions dans nos prestations ecclésiales. C’est une conversion culturelle qu’il nous faut, encore que du point de vue de la culture, il est très difficile de changer de mentalité, même avec l’aide du Saint-Esprit. Cette conversion devrait toucher le langage, les formes, mais aussi le contenu de nos messages et la structure de nos communautés.
L’Eglise peut-elle s’adapter?
Ce serait trop beau de pouvoir se convertir culturellement, avec un avant et un après comme dans la conversion spirituelle. Le Saint-Esprit n’apprend pas à un Suisse allemand ou un Anglais, en l’espace d’une nuit, à parler le bon français sans accent! Et puis, l’inadaptation culturelle n’est pas un péché!
La culture fait partie de l’identité d’une personne. Elle est un facteur de stabilité et de bonheur. La manière de parler, de s’habiller, de manger, de chanter, de danser, de se comporter en public définit une personne bien plus que son discours. Vous reconnaîtrez à cent lieues un Japonais, à sa manière de marcher. Bien sûr, on a tous des capacités d’adaptation et ceux qui se sont le plus adaptés dans nos communautés, c’est bien l’ancienne génération. Je défie n’importe quel jeune de faire le saut culturel qu’ont fait nos aînés en sautant du recueil de chants «Sur les ailes de la foi» à la dernière génération des JEM et autres Hillsong. Et pourtant, ce n’est pas eux qui quittent l’Eglise. Par contre, si vous forcez trop dans le changement culturel, vous risquez de casser définitivement la mécanique. La meilleure manière de casser un peuple, c’est de casser sa culture. Or, aujourd’hui, j’ai l’impression qu’à force de vouloir absolument coller à la réalité culturelle dominante, nous frustrons bien des croyants. En l’espace d’une dizaine d’années, nous mettons en péril un héritage amassé avec beaucoup de persévérance et de sacrifices durant plus d’un siècle. Nous sommes donc devant un dilemme certain: d’un côté, le monde environnant demande un autre type de messages, des chants différents, une autre manière de méditer la Bible, un autre style de culte ; de l’autre côté nous devons prendre soin d’une congrégation qui arrive à la limite de son adaptation.
Y a-t-il une solution?
Dans nos communautés, nous pratiquons allègrement le «patchworking» culturel en croyant pouvoir allier les deux extrêmes. Un zeste du « Sur les ailes de la foi » et un zeste de Hillsong en passant par le JEM 1. Un message visuel avec sketch et multimédia et un autre dans le plus pur style académique. En réalité, nous ne faisons que brouiller l’image culturelle des croyants. C’est comme si nous faisions danser un Japonais sur une chanson de Joseph Arthur, habillé du costume traditionnel d’Appenzell ou d’Auvergne, avec un chapeau dessiné par Jean-Paul Gaultier. C’est peut-être digne d’une émission humoristique, mais dans le cadre du culte, nous lassons très rapidement nos auditeurs. Très souvent, et pas seulement parmi les jeunes, nous entendons les gens nous dirent qu’ils s’ennuient.
A coup sûr prochainement, un certain nombre de personnes vont nous quitter et rejoindre des communautés plus homogènes du point de vue culturel. Homogène autour d’une culture « ancienne » ou alors autour d’une culture postmoderne. En sachant bien que la période actuelle développe des homogénéités multiples et qu’il n’y a plus un seul type de communauté qui puisse répondre à ces nouveaux besoins, mais bien une panoplie de communautés différentes.
En pratique
Changer n’est pas aussi simple et, en tant qu’évangélique, on est très souvent titillé par nos vieux démons sécessionnistes. Puisqu’on ne se sent plus bien dans sa communauté, on en crée une nouvelle, en partant si possible avec une bonne partie de l’ancienne structure. Si on attend les bras croisés, c’est ce qui nous pend au nez. Le modèle que nous prônons, c’est de diversifier notre offre. Nous encourageons nos communautés à se recentrer sur leur culture ecclésiale d’origine et à lancer en même temps de nouvelles structures répondant aux besoins actuels. La solution d’offrir des cultes différents le dimanche soir, plus axés sur la nouvelle culture, n’est qu’un pis-aller. C’est faire le culte du matin en «costume d’Appenzellois» et la célébration du soir en «chapeau Gaultier». Le problème restera le même avec le danger que de toute façon les gens du matin n’iront pas forcément au culte du soir et vice-versa. Et du coup on appauvrit l’expérience communautaire des gens. Nous faisons donc une croix sur l’adaptation culturelle en continu tout en suggérant que l’on puisse planter de nouvelles graines de communauté dans le même jardin ecclésial. Le prochain article détaillera davantage cette vision futuriste.
Henri Bacher
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