« C’est un peu notre bibliothèque ! » Voilà comment les responsables du Centre médical évangélique (CME) de Nyankunde en République démocratique du Congo présentent le Dr Mike Upio. Ce Congolais de 41 ans, natif de la région, connaît tout du CME depuis qu’il y est arrivé comme médecin en avril 2005.
« Nyankunde, c’était la brousse ! »
« En 2002, explique Mike Upio, tout le monde a fui la région de Nyankunde à cause de la guere de l’Ituri. Certains ont marché vers le sud pour rejoindre Beni, dans le Nord-Kivu. D’autres ont fui en direction du nord pour se réfugier à Bunia ou encore plus au nord à Aru. » A cette époque, le Dr Mike Upio étudie la médecine à Kisangani (Province de la Tshopo). Il termine ses études en 2003, et rejoint les déplacés de la région de Nyankunde installés à Beni. Il participe au lancement d’une antenne du CME dans cette ville, aujourd’hui touchée particulièrement par les troubles interethniques et la pandémie d’Ebola.
En 2004, la MONUSCO, la force armée des Nations unies, s’installe à Marabo, un village-carrefour à quelque 5 kilomètres de Nyankunde. Une telle présence redonne confiance à certains habitants déplacés qui se disent : « Rentrons chez nous ! » « Ce qu’il faut bien avoir à l’esprit, ajoute le Dr Mike Upio, c’est qu’à l’époque, Nyankunde, c’est la « brousse ». Il n’y a plus rien du tout. L’infrastructure du CME a été détruite. Les tôles qui couvraient les bâtiments odnt presque toutes été dérobées et la nature a repris ses droits. »
A ce moment-là, un responsable des Communautés Emmanuel, les Eglises partenaires historiques de la FREE dans la province de l’Ituri, Bungishabaku Katho, lui-même originaire de Nyankunde, décide de rouvrir l’Eglise et l’école primaire du lieu afin de favoriser l’installation des habitants qui reviennent. « Il se débrouille avec la MAF (Mission Aviation Fellowship) pour que l’école soit gratuite et que les enseignants soient payés, poursuit le Dr Upio. Suite à cela, les gens se sont rapidement rendu compte qu’ils avaient besoin de soins médicaux. » D’anciens infirmiers et infirmières de Nyankunde décident alors, sur une base volontaire, de revenir sur place pour prodiguer les soins de base.
Premier médecin de l’après-guerre
« J’ai effectué ma première visite ici après la guerre en avril 2005, raconte Mike Upio. Un avion de la MAF revenait de Beni vide à Nyankunde et j’y suis monté avec ma femme qui est infirmière et ma fille. Le jour de notre arrivée, nous nous sommes mis à soigner les patients qui arrivaient. Aux alentours de 16 h, le pilote de la MAF nous dit qu’il devait repartir avant la nuit pour Bunia. Nous avons alors, ma femme et moi, décidé de rester sur place. » Le couple n’a pas d’endroit où dormir. Il s’installe dans ce qui deviendra plus tard le bureau du directeur de l’hôpital. A l’époque, cette pièce n’a ni fenêtre, ni plafond, ni porte. On lui propose un lit rouillé de l’hôpital et le couple y passe la nuit. Leur premier enfant dort aussi dans un petit lit juste à côté d’eux. « C’était le meilleur endroit que l’on pouvait offrir à un visiteur, commente le médecin congolais. Voilà comment cela a redémarré. J’ai ainsi passé une semaine à soigner les malades. Pendant cette semaine, j’ai fait ma première césarienne dans la salle de la maternité, alors que, depuis 2004, c’était la MONUSCO qui se chargeait de transporter les femmes qui en avaient besoin à Bunia, après avoir obtenu l’autorisation de Kinshasa ! »
A son retour à Beni, le couple discute de son avenir. La femme du Dr Mike Upio relève que les habitants de Nyankunde ont besoin d’un médecin et donc que leur avenir se trouve dans cette région. De son côté, le conseil administratif du CME recherchait aussi un médecin et le couple se porte volontaire.
Des aides nombreuses pour relancer le CME
De fin 2005 à 2016, le Dr Mike Upio se dépense corps et âme pour relancer l’hôpital. C’est tout d’abord Memissa, une mission catholique belge qui met à la disposition du médecin un kit de chirurgie. Puis trois pères catholiques de Badya, un village à quelque 10 kilomètres de Nyankunde, qui mettent à disposition du matériel, convaincus que le CME a un rôle important à jouer dans la région. Puis des habitants de la région, contre la somme d’un dollar, restituent à l’hôpital les vitres qu’ils ont enlevées à ses différents bâtiments lors de l’exode de 2002 et qu’ils ont soigneusement entreposées à l’abri pendant ces années. Enfin, c’est l’arrivée de Samaritan’s Purse, l’ONG évangélique de Franklin Graham, le fils de Billy Graham, qui tisse un partenariat avec l’hôpital et amène, grâce à un conteneur, tout l’équipement de base d’un petit hôpital. La collaboration avec cette ONG américaine se poursuit au travers de la venue d’un chirurgien étasunien, Warren Cooper, qui, au début, visite le CME deux fois l’an, puis décide de s’installer à Nyankunde. En janvier 2013, grâce toujours à l’appui de cette grande ONG, un bloc opératoire est mis en service dans de nouveaux bâtiments au pied de la colline.
« Avec l’arrivée de ce chirurgien et l’ouverture d’un bloc opératoire moderne, poursuit Mike Upio, le CME acquiert ses lettres de noblesse. Point de vue qualité, l’établissement frise le niveau tertiaire, soit un statut universitaire à l’échelle congolaise. Notre objectif, c’est qu’à l’avenir des Congolais puissent pleinement prendre en charge les soins et la gestion de cet hôpital et que des expatriés viennent renforcer les capacités du personnel local. »
De 2012 à 2015, Mike Upio se lance dans une maîtrise en santé internationale à l’Université de Bâle, puis dans une thèse de doctorat en santé publique en Hollande, une formation à distance qu’il devrait terminer en février 2020.
Au service de la mission de Jésus-Christ
« Mon grand-père a été un grand pasteur de la région, relève Mike Upio. Personnellement, j’ai été marqué par un sens profond de la mission de l’Eglise de Jésus-Christ. Même si j’ai perdu ma mère sage-femme, mon frère et 9 autres personnes de ma famille proche dans les troubles interethniques de 2002, j’ai été convaincu que le Seigneur m’appelait à revenir pour le servir à Nyankunde. Comme mon épouse le disait à l’époque : « L’Etat ne va en tout cas pas aller à Nyankunde. Toi, tu viens de là. Tu connais tout le monde. Tu es celui que le Seigneur appelle pour reconstruire cet hôpital. »
La première étape de cette reconstruction a été achevée. Voilà 2 ans, le Dr Mike Upio a remis la direction du CME à un médecin généraliste plus jeune : le Dr Davin Ametapio. De nombreux bâtiments ont été réhabilités simplement. Il en reste encore quelques-uns dépourvus de toit, la chapelle notamment, mais un chemin couvert a été construit entre différents bâtiments et le bloc opératoire fonctionne aujourd’hui à satisfaction. La situation du personnel médical demeure précaire. Il soigne une population qui n’a pas les moyens économiques de financer les soins médicaux dont elle a besoin.
« Les liens avec les Eglises de Suisse sont historiques, conclut le Dr Mike Upio en évoquant le passé du CME. Des noms comme Jeff et Anne-Christine Horton, Yvonne Dind, Roland Abbey, Jean-François Negrini, Gilles et Myriam Bonvallat, Marianne Stettler, Liliane Fuchsloch, Monique Meylan… sont familiers à nos oreilles. Mais depuis la guerre de 2002, la Suisse regarde de loin. Il n’y a plus d’implication directe pour réfléchir ensemble… comme avant ! »