Les évangéliques sont connus pour vouloir amener les gens à la « conversion », et ils se font remarquer par leur zèle. Dans un cadre suisse romand, cet automne a vu des évangéliques de diverses obédiences gagner les rues deux par deux dans le cadre de la campagne d’inspiration britannique « The Turning », pour donner l’occasion aux personnes intéressées de prier une prière de conversion et commencer une vie chrétienne. À l’échelon européen, plus de 3’000 étudiants de tout le continent se sont rassemblés en Allemagne fin 2019, pour la conférence « Revive Europe », qui a pour but affiché de les former et de les motiver pour témoigner de leur foi, avec comme visée un renouveau de la foi chrétienne. Au niveau mondial, le Mouvement de Lausanne pour l’évangélisation du monde organise des rencontres qui rassemblent largement. Il constitue un courant au sein du christianisme évangélique connu pour être divers et éclaté, qui s’appelle du nom d’une conférence tenue dans la capitale vaudoise en 1974. Cette méga-rencontre a été suivie de deux autres à Manille (1989) et à Cape Town (2010). Cette ardeur à convaincre peut sembler déplacée dans un monde marqué par le pluralisme et l’individualisme. Pourquoi donc une telle volonté de « convertir » ?
Un désir qui s’enracine dans la vie de Jésus-Christ
Ce qui est le plus fondamental, c’est que les évangéliques voient dans leur appel à la conversion une mission qui remonte à Jésus de Nazareth. Celui-ci, confronté à deux tragédies qui avaient causé la mort de personnes, annonçait : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous ainsi » (Luc 13.3). Et les évangiles qui racontent sa vie sont truffés d’invitations faites à ses disciples d’être témoins de sa résurrection et de faire à leur tour des disciples dans toutes les nations. En ce sens, le zèle missionnaire n’est absolument pas une possession exclusive ou une chasse gardée des évangéliques, et ceux-ci ne peuvent que se réjouir de le voir manifesté par les autres familles du christianisme.
La conversion à laquelle Jésus appelle n’est pas une conversion à l’évangélisme, ni une question d’appartenance religieuse. Il s’agit d’un changement radical, fait de foi et de dévotion à Dieu. Derrière cet appel se trouve le grand récit biblique qui voit l’humanité se séparer de son créateur par orgueil et volonté d’autonomie. Pour Jésus et les auteurs de la Bible, cet éloignement n’est pas innocent, mais ressort de l’ingratitude et de la révolte. En conséquence, l’état par défaut d’un être humain est d’être ennemi de Dieu, et ignorer Dieu n’est pas neutre. Les mauvaises actions, les mauvais désirs et les mauvaises tendances qui sont à l’œuvre dans ce monde sont les conséquences de cette relation faussée ou manquante à Dieu.
Retour dans l’amitié du Créateur
Jésus est Dieu lui-même, venu offrir aux humains la possibilité d’un retour dans l’amitié du Créateur. Il montre tout à nouveau qui est Dieu, quel est son amour, et comment le connaître. Jésus ouvre la voie d’un pardon en prenant sur lui toute la culpabilité accumulée par l’humanité depuis la nuit des temps, en mourant la mort d’un coupable sur une croix. La conversion, chère aux évangéliques, consiste à renoncer à toute révolte contre Dieu, à accepter son amour, à entrer dans son amitié, à mettre sa confiance en Jésus pour le pardon et la réconciliation, et à décider de vivre en conformité avec les désirs de Dieu. Les conséquences attendues et revendiquées sont d’une part la paix et la joie qui ressortent d’une relation rétablie avec l’auteur de toutes choses, et d’autre part une vie qui manifeste sur cette terre l’amour de Dieu.
Des visions du monde s’entrechoquent
Pour les évangéliques, et pour bien d’autres chrétiens, le message de Jésus est la clé d’une vie pleine de sens et animée par les ressources de l’auteur de toute vie. C’est aussi pour eux le meilleur et le seul moyen de réunir l’humanité par-delà ses différences et ses divisions, et la grande diversité ethnique et culturelle des évangéliques dans le monde en donne un bel avant-goût. Appeler les êtres humains à la conversion n’est donc pas le moyen d’augmenter leur influence ou leur pouvoir, ni de mettre qui que ce soit sous leur coupe (quoiqu’il faille déplorer sous le nom d’évangéliques certains charlatans qui s’intéressent à vider les poches de leurs fidèles, et d’autres qui se font séduire par les sirènes du pouvoir, avec au départ des intentions plus ou moins louables). C’est au contraire le souhait de permettre à d’autres de profiter de ce qu’ils ont eux-mêmes reçu, tout en les soustrayant au danger d’une vie et d’une éternité coupée de Dieu. L’esprit du temps a largement mis en avant le fait de ne s’occuper que de soi et de laisser les questions les plus importantes dans une sphère privée vue comme étanche. Pourtant, face à un danger qui menace chacun et contre lequel tous ont à prendre des mesures, il est logique et normal que ceux qui sont convaincus du problème et de sa solution militent pour que les autres agissent aussi, comme l’inquiétude climatique nous l’a rappelé. En ce sens, notre société gagnerait à mieux vivre les échanges animés par des convictions fondamentales sur ce qui est bien pour l’homme, même s’il y aura nécessairement divergence sur ces sujets.
Jean-René Moret, pasteur à l’Église évangélique de Cologny (FREE)