«Dieu, mes études et moi», un livre de Timothée Joset (avec émission TV)

Claude-Alain Baehler lundi 22 juin 2020

Etre chrétien et étudiant, c’est nécessairement assister à la rencontre en soi entre savoir biblique et savoir académique. Et lorsque ces deux savoirs s’entrecroisent, se complètent et parfois se contredisent, vient la rude tâche de les « intégrer ». C’est tout l’enjeu du livre « Dieu, mes études et moi » (1) de Timothée Joset. Cet article est paru dans le journal « Vivre » de mars-avril. Il est accompagné ici d’un entretien de Timothée Joset avec Serge Carrel dans le cadre de l’émission « Ciel ! Mon info », diffusée sur DieuTV.

« A l’université de Genève, explique Timothée Joset, j’ai rencontré une étudiante en lettres en larmes, parce qu’elle ne savait plus comment articuler ses connaissances universitaires avec celles, apparemment contradictoires, reçues dans son Eglise. Généralement, les sciences sociales secouent fortement la foi des étudiants chrétiens. Et les Eglises traditionnelles ne savent pas comment les accompagner. Quant aux pasteurs qui n’ont pas eux-mêmes passé par l’université, ils n’ont pas toujours idée des questions que se posent les étudiants. »

Voilà pourquoi Timothée Joset, coordinateur des Groupes bibliques des écoles et universités (GBEU) pour la région Berne-Jura-Neuchâtel, vient de publier « Dieu, mes études et moi » (1). Ce petit livre donne aux étudiants chrétiens des clés leur permettant de conjuguer des connaissances universitaires et bibliques qui peuvent sembler en tension, voire contradictoires. En français, il existe des guides de l’étudiant. Mais cet ouvrage, consacré à l’aspect intellectuel des études en lien avec la foi chrétienne, vient vraiment combler un vide.

La schizophrénie des étudiants chrétiens

Après avoir rencontré de nombreux étudiants chrétiens, Timothée Joset constate que ceux-ci pratiquent souvent ce qu’il nomme une « schizophrénie fonctionnelle » : « Ils se créent deux mondes étanches où les questions de foi n’interagissent pratiquement pas avec ce qu’ils étudient. C’est comme la monnaie du Monopoly qui est incompatible avec la vraie monnaie ». Le problème, c’est que cette attitude les affaiblit à la fois dans leur foi et dans leur savoir académique. Certains, bien que provenant d’Eglises très attachées à la Bible, perdent la foi à l’issue de leurs études.

Dans les universités, il n’est par rare non plus de rencontrer des professeurs chrétiens qui, eux-mêmes, n’ont pas véritablement réussi à articuler ce qu’ils savent de la science avec ce qu’ils savent de la foi. Du coup, ils se contentent de faire de la science et d’y ajouter des versets bibliques. Timothée Joset rêve de rencontres fructueuses entre des professeurs chrétiens de plusieurs universités et des théologiens de la Haute école de théologie (HET-Pro) de Saint-Légier : « Chacun, fort dans son domaine, pourrait apporter beaucoup à l’autre ».

Pourquoi les étudiants chrétiens ont-ils besoin d’apprendre à intégrer leur savoir biblique et leur savoir académique ? « Pour être intègres, répond Timothée Joset. Pour ne pas être ‘deux personnes’. Pour aller plus loin dans la foi comme dans les études ». Il est donc important et utile de confronter les questions que la foi pose aux études, et celles que les études posent à la foi. Cela se passe généralement par le dialogue avec d’autres chrétiens, des amis, un pasteur… voire un chrétien engagé professionnellement dans la branche académique étudiée : le plus jeune obtient des réponses, le plus âgé doit se poser de nouvelles questions. C’est du gagnant-gagnant.

De plus, ce travail d’intégration est utile, non seulement dans le cadre des études, mais aussi dans le monde du travail où cette schizophrénie existe. « Ainsi, quand je réfléchis à la manière d’être chrétien dans mes études, je le fais aussi en vue de mon travail futur », précise Timothée Joset.

Apprendre à conjuguer science et foi

Faire dialoguer science et foi est un art difficile, d’abord à cause de certains aprioris : « Le dialogue part souvent du principe que la théologie est une sorte de produit culturel humain, alors que la science serait simplement le canal par lequel les réalités froides et brutes de ‘la nature’ sont transmises, explique le coordinateur des GBEU. Ainsi, la théologie devrait rendre des comptes à la ‘science’, laquelle ferait office d’arbitre sur la validité des conclusions théologiques, car qui pourrait remettre en cause la ‘nature’ ? »

Faire dialoguer science et foi demande également un investissement : « Une jeune femme me disait qu’elle lit parfois la Bible, mais ne la comprend pas. Pourtant, elle était en faculté de droit ! » Personne ne dit que la lecture de la Bible doit être simple. En même temps, nombre d’étudiants chrétiens sont prêts à investir beaucoup de temps dans leurs études, dans la préparation d’examens, mais pas dans la découverte de Dieu et de la Bible. Cherchez l’erreur !

Le livre « Dieu, mes études et moi » démontre qu’il n’existe pas, d’un côté, un savoir académique sûr et, de l’autre, un savoir biblique douteux. La réalité est plus complexe que cela. Elle est, de plus, marquée par le fait que toute connaissance humaine est partielle, en partie souillée par la Chute, qu’il s’agisse de science ou de théologie.

Les disciplines académiques : des « pratiques sociales »

« Les disciplines académiques sont en réalité des ‘pratiques sociales’ qui reposent sur des consensus, des négociations, des enjeux de pouvoir, des intérêts particuliers, des questions d’orgueil et de prestige, des rêves, des peurs… On n’enseigne pas une science objective », rappelle Timothée Joset. Ces disciplines fonctionnent un peu à l’image des religions. Elles ont leurs adeptes (les initiés), leur langage sacré (le vocabulaire spécifique à la branche), leurs temples (les universités réputées dans certains domaines), leurs prêtres qui remplissent le rôle de « gardiens du temple » (les figures de proue de la branche), leurs saintes écritures (les revues prestigieuses), leurs commandements (ce qui peut se dire et ce qui n’est pas acceptable), leurs rituels (les conférences, colloques et soutenances de thèses), leur histoire sainte (la manière dont certaines méthodologies se sont développées grâce à certains scientifiques).

Dans ce contexte, les étudiants sont censés mettre en œuvre les méthodologies et les paradigmes appris. Et s’ils sont inconscients des présupposés philosophiques qui sous-tendent ces savoirs, ils ne font que répéter ce que disent ceux qui parlent le plus fort.

Ainsi, les étudiants ont besoin de développer des capacités à la « déconstruction positive », une méthode où les forces et les limites d’un savoir sont mises en évidence, dans le but non de détruire, mais de progresser. « Durant mes études, j’ai cherché et lu les livres qu’on ne nous faisait pas lire, se souvient Timothée Joset. Car ce qui nous est enseigné, et présenté comme parole d’Evangile (!), est en fait une vision. Elle n’est pas fausse, mais partiale. » Bien souvent, il est également édifiant de se renseigner à propos de la vie des auteurs étudiés : cela permet de mieux comprendre leurs aprioris et leurs points de vue.

Adam, le premier scientifique ?

De son côté, la foi n’est pas une sorte de « saut dans l’irrationnel », mais au contraire une confiance réfléchie qui s’appuie de façon raisonnable sur la fidélité de Dieu. Et la Bible oppose la foi, non à la raison, mais à la vue. Ainsi, la Bible ne s’oppose pas à la recherche scientifique. Par exemple, nous lisons que Dieu a délégué à Adam la tâche de nommer les animaux. Il s’agit-là d’une activité scientifique de base avec son langage et sa conceptualisation.

Timothée Joset rappelle aussi que ce n’est pas en lisant la Bible que nous avons envoyé des hommes sur la lune, mais en s’appuyant sur des scientifiques, parfois non-croyants ou athées. Ceux-ci observent la nature, développent des méthodologies et trouvent des réponses à la fois bonnes et utiles : « Toute vérité est vérité de Dieu. Et il est fort possible que, dans sa grâce, Dieu ait permis à des philosophes païens, comme d’ailleurs à des théologiens d’autres religions, de comprendre un certain nombre de choses de manière correcte ».

« Dieu, mes études et moi », à acheter pour soi ou à offrir, aidera les étudiants chrétiens à intégrer leur foi et leurs études. Mais ce petit livre sera également très utile à leurs parents et grands-parents, afin de leur permettre de mieux comprendre les enjeux liés à cette rencontre de la foi et du savoir académique.

Claude-Alain Baehler
Rédacteur responsable de « Vivre »
 
Note
1 Timothée Joset, Dieu, mes études et moi, Collection Question suivante, Charols, GBU et Farel, 2019, 72 p.
  • Encadré 1:

    Bio express

    Timothée Joset, 32 ans, marié, a obtenu un master en lettres et un master en théologie. Il a suivi une formation d’enseignant, avant d’enseigner le français, l’histoire et le suisse allemand durant deux ans. Actuellement, il est coordinateur des Groupes bibliques des écoles et universités (GBEU) pour la région Berne-Jura-Neuchâtel, ainsi que pour Dialogue & Vérité. En parallèle, il prépare une thèse de doctorat en théologie à l’Université de Durham (GB).

  • Encadré 2:

    Les jeunes s’intéressent aux questions de sens

    « Les gens qui ont aujourd’hui 40 à 50 ans ont relativement peu d’intérêt pour l’Evangile, explique Timothée Joset, coordinateur des Groupes bibliques des écoles et universités pour la région Berne-Jura-Neuchâtel. En ce qui concerne les jeunes, les choses sont différentes. Ils sont beaucoup plus en recherche de sens et de pertinence que leurs aînés. » La théologie, encore considérée comme inintéressante il y a une ou deux décennies, devient un sujet qui passionne les étudiants.

    Dans notre société à la fois heureuse et anxieuse, les jeunes ne savent pas où va le monde. Ils ont peur et pensent qu’ils vivront moins bien que leurs parents. Du coup, les grandes questions liées aux origines – la Genèse – et au destin de l’humanité – l’eschatologie, l’Apocalypse – deviennent des questions qui passionnent. Ils ne sont pas naïfs et adhèrent de moins en moins à la philosophie positiviste (1) qui marque encore fortement le monde académique : la noble tâche de la science consiste à assurer le bonheur de l’humanité en émancipant celle-ci de la tutelle de la religion, le tout grâce aux progrès de la science !

    Dans cet environnement nouveau, Timothée Joset encourage les étudiants à réfléchir de manière éthique : « Qu’est-ce que ta foi t’amène à poser comme questions que personne ne pose ? » Et lorsqu’ils écoutent un cours : « Que pense Dieu de ce qui est dit ? » Et lorsqu’ils lisent leur Bible : « En quoi ce que j’ai appris en cours m’aide-t-il à mieux comprendre et aimer Dieu ? » Une vision chrétienne du monde rend les étudiants sensibles à des enjeux qui n’ont peut-être qu’un intérêt limité pour d’autres, tels que l’équité sociale. Cela les rend meilleurs étudiants. (CAB)

    Note
    1 Le positivisme est un courant philosophique fondé au XIXe siècle, mais inspiré par les Lumières du XVIIIe siècle. Il part de l’idée que les découvertes, les lois et les modèles scientifiques vont petit à petit remplacer les anciennes croyances théologiques et les explications métaphysiques. Ce qui est important, ce sont les lois de la nature, le « comment » des choses. Par contre, les questions liées à l’origine des choses, à leur sens, à l’absolu, au « pourquoi » sont inatteignables à l’esprit humain, et donc inintéressantes.
  • Encadré 3:

    Etudier : investir en vue de l’éternité

    Pour Timothée Joset, coordinateur des GBEU pour la région Berne-Jura-Neuchâtel, les études ont une portée eschatologique. Elles constituent un investissement qui doit porter du fruit jusque dans l’éternité. Leur utilité ne se limite pas à occuper le temps en attendant l’éternité : « Si nous pensons que ce que nous faisons ici-bas n’aura aucune destinée éternelle, alors pourquoi perdre notre temps à étudier les ailes des abeilles, ou nous préoccuper de réchauffement climatique ou de justice économique ? Ne vaudrait-il pas mieux nous concentrer sur des choses plus ‘utiles’ ? »

    Les chrétiens ne sont pas les architectes de la Nouvelle Jérusalem. Mais, de manière un peu mystérieuse, ils sont appelés à travailler en vue de son établissement. Ils partent du principe que les réalisations humaines ne seront pas détruites, mais purifiées en vue de prendre place dans la cité céleste.

    « Dans l’éternité avec Dieu, nous aurons du travail, souligne Timothée Joset. Et nous y trouverons un grand plaisir. Les compétences que nous aurons mises au service de Dieu dans cette vie présente, et peut-être aussi les passions et les domaines d’intérêt auxquels nous aurons renoncé en raison d’un conflit avec notre vocation, seront valorisés et ennoblis, et ils nous seront rendus, afin que nous en fassions usage à sa gloire. » En d’autres termes, nous ne passerons pas tout notre temps à chanter des cantiques ! Mais, ici-bas, il serait intéressant que nos chants de louange abordent le sujet du travail en vue de l’éternité.

    Il n’y aura certainement plus besoin de médecins et de croque-morts dans la Nouvelle Jérusalem. Mais leurs compétences seront recyclées. Cela nous permet de nous engager dans des activités professionnelles qui n’ont pas un grand statut social, mais de la pertinence devant Dieu.

    A l’avenir, dans notre société occidentale, les chrétiens seront probablement appelés à s’engager dans des domaines délaissés : le travail social, l’accompagnement des personnes âgées devenues trop coûteuses, les soins palliatifs considérés comme peu prestigieux, l’aide auprès des plus faibles. C’est ainsi que les étudiants chrétiens peuvent se préparer à rencontrer leur prochain et à porter du fruit jusque dans la Nouvelle Jérusalem. (CAB)

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