Miroslav Volf est d’origine croate. Son père était pasteur pentecôtiste. L’expérience d’appartenir à un groupe minoritaire au sein d’une religion minoritaire, dans un pays sous l’emprise d’une idéologie totalitaire et anti-religieuse, a marqué son enfance et sa jeunesse. Professeur de théologie systématique en ex-Yougoslavie et en Californie, puis depuis 1998 à la Yale Divinity School dans le Connecticut, il est aussi le directeur et fondateur du Centre Yale pour la foi et la culture, dont l’objectif est de promouvoir des pratiques de la foi qui participent à l’épanouissement authentique de l’humain et au bien commun global.
Primé à plusieurs reprises pour ses contributions originales en théologie, ses écrits sont marqués par la maxime : « La foi est un chemin de vie, et la théologie une articulation de ce chemin. » Sa préoccupation pour que la théologie éclaire et rende pertinent l’engagement du chrétien dans la société fait de Miroslav Volf une référence féconde pour la présence de l’Eglise dans un monde de plus en plus complexe.
Cette richesse est esquissée ici par une brève présentation de trois de ses ouvrages (1).
Un théologien créatif et inspirant…
Exclusion & étreinte : une exploration théologique de l’identité, de l’altérité et de la réconciliation est le chef-d’œuvre de Miroslav Volf, et aussi le plus personnel de ses livres (2). L’auteur a enseigné en Croatie durant la guerre qui a déchiré l’ex-Yougoslavie entre 1991 et 1995. Selon ses propres termes, il s’est alors trouvé devant le défi de donner du sens « au cri du sang des innocents, versé durant la guerre, et au cadeau du pardon offert par le Crucifié aux auteurs des tueries ». La recherche de réponses à ce défi a conduit Miroslav Volf à un engagement créatif avec des philosophes et des théologiens contemporains, à des analyses fines du fonctionnement des conflits, et à l’exploration d’issues constructives, le tout sur un arrière-fond de théologie biblique solide, avec au centre l’œuvre du Dieu trinitaire manifestée dans la croix et la résurrection. A partir de la Parabole du Fils prodigue, Miroslav Volf développe une manière originale de dire l’Evangile autour des notions complémentaires d’exclusion et d’étreinte. Il offre ainsi un cadre créatif et inspirant pour aborder de manière non violente des conflits, que ceux-ci se situent au niveau interpersonnel ou intercommunautaire.
Concret et défiant…
Un autre livre de ce théologien, Une foi publique – Comment les disciples du Christ devraient servir le bien commun, aborde la question de l’engagement chrétien dans la sphère publique (3). Miroslav Volf critique d’abord deux extrêmes : la saturation totalitaire de la vie publique par une seule religion, un projet présent dans le monde contemporain dans certains mouvements militants islamiques ; ensuite l’exclusion séculariste de toutes les religions du domaine public. Miroslav Volf plaide pour un pluralisme religieux et politique. Alors que dans le monde contemporain, en particulier en Occident, plusieurs traditions de foi vivent « sous un toit commun », les différentes communautés religieuses, tout en reconnaissant leurs différences réelles et souvent irréductibles, devraient s’engager ensemble pour chercher le bien commun. Miroslav Volf met en avant la règle d’or : « Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux » (Mt 7.12-14). Présente dans différentes religions, cette règle devrait inspirer le vivre ensemble, dans un cadre de liberté religieuse assuré par le pouvoir politique.
En ce qui concerne l’engagement chrétien dans une culture donnée, Miroslav Volf concède qu’il n’y a pas une seule manière de procéder. Suivant les situations, tout en cherchant à rester fidèle aux convictions profondes de sa foi, le chrétien sera parfois conduit à essayer de changer un élément de la culture : à se retirer de tel domaine ou aspect, ou à en célébrer d’autres. Concrètement, l’auteur propose six points pour régir la relation du chrétien à la culture plus large :
- Jésus-Christ est venu pour tous ; la foi chrétienne est une foi « prophétique », qui cherche à « réparer » le monde – et non pas une foi paresseuse ou redondante (donc superflue, qui n’aurait rien à faire avec la vie concrète).
- Christ apporte la grâce et la liberté – il n’y a pas de place pour la contrainte qui viserait à imposer la foi.
- Suivre le Christ dans le monde signifie prendre soin du prochain et travailler en vue de son épanouissement.
- Le monde est la création de Dieu. Ce qui implique une position nuancée à son égard : ni opposition totale au monde (se retirer dans le ghetto chrétien), ni transformation totale du monde (instaurer le Royaume par nos propres moyens).
- Les chrétiens témoignent du Christ qui, lui, incarne la vie nouvelle, la vie appropriée à notre humanité.
- Dans un contexte pluraliste, les chrétiens devraient adopter le pluralisme comme projet politique, et accorder à d’autres communautés la même liberté religieuse et politique dont ils bénéficient eux-mêmes.
Les événements du 11 septembre 2001 ont certainement mis fin au mythe séculariste qui prônait que la dimension religieuse allait disparaître de la vie publique et rester, au mieux, confinée dans la sphère privée. Depuis le Printemps arabe et l’expansion de l’islamisme radical, il est urgent dans nos pays occidentaux de réfléchir à l’intégration constructive des communautés religieuses dans un cadre pluriel. Pour le chrétien du moins, les propos de Miroslav Volf sont à ce sujet à la fois concrets et défiants.
Courageux et… controversé !
Un autre domaine a pris de plus en plus de place dans les engagements de Miroslav Volf : le dialogue interreligieux. Il s’est notamment profilé comme un des facilitateurs des réponses constructives à la lettre ouverte adressée par des responsables musulmans à des responsables chrétiens en 2007 (4). Dans Allah – une réponse chrétienne (5), Miroslav Volf offre une réflexion qui se situe en théologie politique. Il écrit clairement comme une personne résolument engagée dans la tradition chrétienne et qui s’adresse à des chrétiens. Son objectif : « Explorer comment des convictions chrétiennes et musulmanes sur Dieu influencent la capacité de ces deux communautés à vivre bien ensemble, dans un seul monde. C’est un livre sur Dieu et ce monde, non pas un livre sur Dieu et le monde à venir ; il s’agit principalement d’une connaissance qui a une influence sociale (sur le vivre ensemble), non pas d’une connaissance de Dieu qui sauve » (6).
Dans les quatre parties du livre, Volf aborde les disputes du passé et du présent entre chrétiens et musulmans : la question de l’identité du Dieu de ces deux religions – le même ou différent ? –, les thèmes critiques de ce débat que sont la Trinité et l’amour, et des éléments concrets pour que chrétiens et musulmans puissent vivre « sous le même toit »…
La réponse positive de l’auteur à la question de savoir si les deux religions se réfèrent au même Dieu, aussi nuancée soit-elle, n’est certainement pas partagée par tout le monde. Sa contribution à une meilleure compréhension des éléments propres à ces deux monothéismes encourage au dialogue et à la résolution non violente de conflits ; elle est à la fois courageuse et stimulante.
Thomas Salamoni, pasteur dans l’Eglise évangélique l’Arc-en-ciel, Gland
Notes
1) Aucun de ses livres n’a pour l’instant été traduit en français.
2) Miroslav Volf, Exclusion & Embrace : A Theological Exploration of Identity, Otherness, and Reconciliation (Abingdon Press, Nashville, TN, 1996).
3) Miroslav Volf, A Public Faith – How Followers of Christ Should Serve the Common Good (Brazos Press, Grand Rapids, MI, 2011).
4) Accessible en traduction française à : http://www.acommonword.com/downloads-and-translations/.
5) Miroslav Volf, Allah – A Christian Response (HarperCollins Publishers, New York, NY, 2011).
6) Ibid., pages 12-13 (il s’agit de ma traduction).