Les conflits, c’est un thème qui nous concerne tous ! Un thème universel. Personne ne peut y échapper, car ils font partie de la vie normale de l’être humain, créé à l’image de Dieu.
Au commencement, la différence
Après avoir médité la narration de la Création, un auteur donna pour titre aux deux premiers chapitres de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa la différence. » A la lecture de ce récit, nous ne pouvons qu’être frappés par la diversité de la Création. Dieu aime la différence (Gn 1,27). Et nous les humains, nous n’échappons pas à ce désir de celui qui est l’alpha et l’oméga.
Cette différence dépasse largement le cadre de notre identité sexuée, elle habite toute notre personne : nous sommes toutes et tous distincts et uniques. Nous avons tous notre propre façon d’appréhender le monde et de réagir face à ceux qui nous entourent. Le résultat naturel de cette diversité amène nos heurts relationnels.
Une vie sans conflits ? Néfaste !
Rêver d’une vie sans conflit, comme on le fait parfois dans l’Eglise, est complètement néfaste et utopique. Bien sûr, nous n’avons pas à rechercher les conflits, mais nous n’avons pas non plus à les nier ou à les fuir. Dieu a voulu cette variété de personnalités. Elle est selon son cœur. Plus : Dieu souhaite que l’humanité vive bien ses différences. Après la Chute, l’entrée en conflit permet d’apprendre à négocier pacifiquement la gestion des différences. Car bien gérer les conflits permet l’innovation, le changement et la progression de la justice.
Le conflit peut être une chance. A ce propos, il est intéressant de souligner que les caractères qui composent le mot « conflit » en chinois signifient à la fois « danger » et « opportunité ». Cette subtilité linguistique met en lumière cette vérité : le conflit n’est ni mauvais ni bon, tout dépend de ce que l’on en fait, tout dépend de la manière dont nous allons le traverser.
La résolution ne dépend pas des techniciens mais des cœurs !
Dans son dernier livre Les conflits, une école de l’amour (1), Thierry Juvet nous permet de comprendre que la qualité de cette traversée va largement dépendre de l’attitude de nos cœurs au moment où nous nous retrouverons en situation d’affrontement. Ainsi le défi initial d’une bonne résolution de conflit se trouve dans nos cœurs.
Les meilleures techniques de gestion de conflit ne peuvent rien si nos cœurs ne sont pas disposés à se laisser interroger par ce qu’induit en nous le fait même d’être en conflit.
Aucune évolution positive ne pourra jamais se faire en situation de choc relationnel, si je pense que c’est d’abord l’autre qui doit changer, et si je ne suis pas d’accord de me laisser questionner par ce qui se vit au plus profond de moi. Toute restauration commence donc dans et par mon cœur.
« C’est lui qui a commencé ! »
Cependant, ne nous voilons pas la face ! Accepter cette priorité n’est pas simple. Nous résistons à ce travail de nos cœurs. Nous n’avons pas notre pareil pour trouver des coupables aux difficultés relationnelles que nous rencontrons sur notre route. Depuis la Chute, l’homme fuit ses responsabilités. En Eden, Adam a transmis à Eve le poids de sa désobéissance, qui, elle-même, l’a transmis au serpent. « Ça n’est pas de ma faute, c’est celle de l’autre ! » ont-ils tous les deux répondu.
Amélie Nothomb dans son livre Le Sabotage amoureux dit avec justesse : « On se moque des enfants qui justifient leurs mauvais coups par ce gémissement : ‘C'est lui qui a commencé !’ Or, aucun conflit adulte ne trouve sa genèse ailleurs. »
Dans ce domaine, un constat s’impose : cette facilité endémique de l’être humain à se disculper de sa propre part de responsabilité est extraordinaire. Il est donc important que la médiation qui connaît aujourd’hui une certaine cote ne devienne pas une pratique qui renforce cette tendance. Il faut refuser cette pensée qui voudrait nous faire croire que la seule présence d’un médiateur qualifié suffise à solutionner les luttes relationnelles dans lesquelles nous nous trouvons englués.
Les conflits non résolus
Dans son livre De l’amour des ennemis et autres méditations sur la guerre et la politique, le théologien français Olivier Abel développe un concept qu’il intitule : la préférence humaine pour le malheur. Le principe qu’il y développe est celui-ci : l’homme préfère être victime du mal qu’il commet dès lors que son ennemi en subit les dommages, plutôt que de faire le bien dont il pourrait être l’un des bénéficiaires.
La mise en lumière de cette mécanique décrit bien l’instinct naturel de l’être humain à choisir en situation de conflit la détérioration de la relation à la place de la bienveillance et de la grâce. Dans cet élan, ce fonctionnement intérieur amène ainsi l’homme à l’endroit où faire du mal lui semble être la seule option envisageable. Ce mouvement ne peut aller qu’en s’amplifiant, car, quand il offense quelqu’un, l’homme tend à s’installer dans cet engrenage. Ceci le conduit à la logique dans laquelle plus il fait du mal et plus il déteste celui à qui il en fait.
C’est ce qu’on appelle la spirale du conflit. Une spirale qui peut devenir la quadrature du cercle, car elle contient un endroit à partir duquel il sera extrêmement difficile, voire impossible, de revenir en arrière. Ce cap survient au moment où le sujet du conflit se déplace de l’objet vers la personne. Ce tournant majeur dans l’aggravation du conflit va le faire déraper. Parti d’un désaccord lié à l’expression de besoins, d’intérêts ou de valeurs, il va glisser vers un affrontement dans lequel le combat deviendra la négation de l’autre en tant que personne, en tant qu’être pourvu de dignité.
Dès lors la violence, quelle qu’elle soit, physique ou psychologique, peut s’exprimer de façon destructrice avec toutes les conséquences néfastes qui y sont liées. Des conséquences qui seront dramatiques non seulement pour les protagonistes, mais également pour tout l’entourage. Quand on en arrive là, on ne peut que constater l’échec de la résolution du conflit.
Au nombre de ces échecs de la résolution, le conflit entre Caïn et Abel. Dans ce récit biblique (Gn 4, 1-16), on perçoit bien le glissement entre un conflit d’objet (la perception par Dieu de leurs sacrifices respectifs) vers un conflit de personne (la jalousie de l’un rend la présence de l’autre insupportable à ses yeux). Ceci engendre une violence telle que l’élimination du rival va devenir la seule option imaginable.
Heureusement que la plupart de nos conflits n’arrivent jamais à cette extrémité. Pourtant force est de constater qu’un certain nombre d’entre eux se résolvent mal. C’est pourquoi il est essentiel de mettre tout en oeuvre pour maintenir le conflit en deçà de la ligne rouge décrite précédemment. La franchir nous expose inévitablement à des conclusions de conflits pénibles, pour ne pas dire cruelles.
La Bible sans cacher cette réalité des conflits non résolus – nous devrions plutôt dire mal résolus – nous offre cependant de nombreuses raisons d’espérer face à nos heurts relationnels. Son enseignement nous invite à comprendre que l’être humain n’est pas destiné systématiquement à l’échec, que les crises peuvent être surmontées et qu’en Jésus-Christ il y a des chemins de pacification et de réconciliation possibles.
Développer un savoir-être nouveau
Même si c’est vrai que le savoir-faire d’un professionnel se révèle souvent utile et nécessaire, la résolution passe par un savoir-être des auteurs du conflit. Ça n’est pas un problème de mathématiques, c’est d’abord un événement qui nous questionne sur notre manière d’être en relation avec autrui.
Qu’on le veuille ou non, le conflit va immanquablement transformer notre façon d’appréhender nos semblables. De quelle manière ? Soit en nous pétrifiant dans notre bon droit, pour ne pas dire dans notre orgueil, soit en réformant nos coeurs pour que ceux-ci vivent un cheminement qui nous donne de ressembler toujours un peu plus à celui que nous avons choisi de suivre: le Christ.
L’enjeu est donc de taille. Il y va dans les conflits de la crédibilité de l’Evangile. Dans la première épître de Jean, il nous est dit: « Marchez dans la lumière » (1Jn 1,7). Cette exhortation nous invite à accepter que la lumière soit faite dans nos propres cœurs. C’est là très concrètement la meilleure manière de se mettre en marche vers la résolution de nos conflits.
Laurent Cuendet, pasteur dans l’Eglise évangélique des Ecluses à Bienne (FREE)
Note
1 Thierry Juvet, Les conflits, une école de l’amour, St-Légier, Emmaüs, 2011.