Lorsque les évangélistes transmettent l’enseignement de Jésus, c’est pour éviter la corruption du mouvement que l’homme de Nazareth a lancé. L’Eglise et nous mêmes, nous avons une propension extraordinaire à mettre à notre portée et à limiter ce que Dieu veut. Or, tout cet enseignement vise à nous rendre conformes à Jésus-Christ, et à prolonger ce qu’il a fait lorsqu’il était parmi nous. Le nouveau chrétien, depuis la Pentecôte, est transformé par l’œuvre intérieure de la grâce qui pardonne, mais il est simultanément transformé par un changement extérieur de son comportement quotidien. C’est possible par la grâce transformante de Dieu. Pour reprendre les propos de l’apôtre Paul, nous sommes justifiés non PAR nos œuvres (Ep 2,8-9), mais POUR ou en vue de nos œuvres bonnes (v. 10). Le mouvement allant de la grâce aux actions bonnes n’est pas accessoire au salut, il s’agit du résultat révélateur du salut. Autrement dit, c’est à cela que le Christ voulait en venir.
La force anticorruption du Sermon sur la montagne
Les indices montrant la force anticorruption du Sermon sur la montagne (Mt 5 à 7) sont nombreux : « Si le sel devient fade… », « N’allez pas croire que je sois venu pour… », « Si votre justice ne dépasse pas… ». Cela se vérifie aussi dans ce que Jésus dit en rapport avec la spiritualité : « Il ne suffit pas de me dire Seigneur, Seigneur »… A propos de la gestion des biens, il dira : « Tout cela, ce sont les païens qui le recherchent sans répit »… En somme, Jésus s’en prend à ce qui, sous un vernis chrétien, aurait encore quelque chose de profondément païen ou égoïstement arrangeant en nous, pour le dénoncer et le combattre. Nous sommes de remarquables fabricants d’excuses, même religieuses, et c’est précisément cela la corruption de l’enseignement de Jésus.
5 domaines touchés par cette lutte
Lorsqu’on reprend les cinq grands domaines abordés par Jésus en Matthieu 5, on se rend compte que l’évangéliste mène la lutte contre l’interprétation arrangeante de la volonté de Jésus. Cette logique touche cinq grands domaines, afin que le « sel garde sa saveur » :
1. Pas seulement ne pas tuer, mais aussi ne pas entretenir de colère. Plus que ne pas désirer faire du mal à quelqu’un, décider de lui faire du bien. On cherchera prioritairement la réconciliation et veillera aussi à éviter les paroles qui offensent et humilient. L’Eglise est dès lors un lieu où une telle culture peut être promue par l’enseignement et la pratique.
2. Pas seulement ne pas commettre d’adultère (coucher avec le conjoint d’un autre), mais aussi veiller sur ses pensées. La voie du Seigneur, c’est vivre la « chasteté ». Que ce mot est devenu rare ! La chasteté, c’est l’apprentissage de la maîtrise de soi, le renoncement à certaines pratiques immorales sur le plan sexuel, à certaines pensées allant en ce sens. La chasteté, c’est savoir ce que « retenue » signifie par égard pour le plan de Dieu pour l’humanité entière. Dans une société (la nôtre !) où les relations extraconjugales font tant de ravages relationnels, psychologiques et économiques, il faut des mesures énergiques, mais intensément intérieures. Le peuple de Dieu propose une alternative au climat d’anxiété générale induit par l’insécurité affective, en tenant le mariage dans la durée et la qualité de la relation conjugale en haute estime. Le but est de développer une culture de sécurité et de dignité pour tous.
3. Pas seulement tenir ses serments, mais aussi se tenir derrière ce qu’on dit en temps normal. Tout comme le domaine sexuel, le domaine de la parole contribue à développer un climat de confiance, base d’une société en bonne santé. Se parler dans la vérité et le respect, et chercher à s’accorder sont les axes majeurs de ce que l’Eglise doit développer.
4. Pas seulement aimer les siens, mais aussi étendre cet amour inconditionnellement à chacun quel qu’il soit. La voie du Seigneur, c’est ne pas rendre le mal pour le mal, mais apprendre à faire le bien pour gagner les cœurs, les relations et les situations. C’est considérer autrui, comme plus important que la perte d’un avantage personnel ou d’un bien propre. C’est aimer jusqu’à ceux qui nous haïssent. En tous les cas, déjà commencer par ne pas rendre le mal à ses ennemis et chercher à les faire entrer, eux aussi, dans la sphère de la bénédiction. Belle aventure de décentrement du soi égoïste, domaine dans lequel on n’a jamais fini d’apprendre.
5. Pas seulement travailler pour son bien-être, mais aussi pour celui des autres. C’est cultiver la confiance en Dieu qui pourvoit et ne pas être dominé par l’avidité (l’argent), par l’inquiétude et la maladie des réserves sans fin. L’Eglise est le lieu où on développe une économie de solidarité et de communion, une économie plus humaine, où la spiritualité, quelle que soit sa forme, est au service de l’obéissance et non au service du moi égoïste comme le font les païens.
Nous comprenons dès lors pourquoi les évangélistes ont le souci de ramener notre attention au Jésus des évangiles et pas à un autre Jésus. Devenir plus conformes à ce Christ est dès lors leur passion. Jésus nous demande ainsi de coopérer à notre transformation progressive pour que ces axes deviennent de nouvelles habitudes instinctives. Cela se mettra en place avec l’aide de la victoire qu’il a remportée à la croix, avec l’aide de la prière bien comprise, de l’Esprit agissant et de l’enseignement reçu, mais aussi grâce à des modèles que l’on côtoie dans l’Eglise.
Un critère de qualité : le fruit
Jésus a donné un critère d’évaluation de la qualité attendue. En réfléchissant bien, on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’abord d’avoir une confession de foi orthodoxe, ce qu’on dit sur Jésus (je crois « que ») – ce qui bien sûr est important aussi ! – mais d’obéir à ses enseignements (je crois « en » ou je « suis engagé à »…). Voici le critère de qualité : « C’est à leur fruit que vous les reconnaîtrez » (Mt 7,16 et 20, aussi 21,43 !). Jésus est déterminé à avoir un peuple qui produit des fruits spécifiques pour Dieu. Ces fruits doivent parler de Dieu lui-même, de l’amour, de la vérité, de la communion… Dès lors, avant de se référer à la quantité et au rendement, il met en évidence la qualité de ce qui est produit sur le plan relationnel et par rapport à la restauration des relations. Le « fruit », c’est tout ce qui produit les actions dont parlait Jésus, et qu’on ne peut connaître qu’en étudiant son enseignement. Un bon fruit correspond à un bon attachement au bon arbre : si le chrétien est attaché au Jésus de la Parole de Dieu, il portera un fruit caractéristique. Sommes-nous suffisamment familiarisés avec Jésus, le type d’homme qu’il a été et son enseignement spécifique ?
S’ouvrir à une conversion continuée
Nos cultes sont autant de lieux de formation du caractère chrétien pour devenir conformes à l’enseignement de Jésus. Après la réception du Saint-Esprit lors de la conversion, nous devons nous ouvrir à une conversion continuée. Quelle aventure fascinante ! Le Sermon sur la montagne balise la route vers la terre promise, avec des frères et des sœurs en chemin vers le même but. Pour progresser dans ce programme, il faut passer de Dieu à mon service, à moi pour le service de Dieu, et renoncer à lui dicter nos conditions.
Pour une société guérie, il faut un reconditionnement afin que nos traits de caractère soient plus conformes à celui que nous nommons le Seigneur et le Sauveur du monde. Si l’Eglise n’est pas le lieu de ce reconditionnement, où donc faudra-t-il le trouver ?
Claude Baecher, pasteur dans l’Eglise évangélique de Villard à Lausanne (FREE)