Chronique libanaise du 5 août : Colère et lassitude !

dimanche 06 août 2006
Catherine Mourtada vit depuis une quinzaine d'années à Beyrouth au Liban. Avec l'association Tahaddi, elle anime une école dans un bidonville de Beyrouth pour des enfants analphabètes. Elle visite aussi les prisons libanaises. Pour l'instant Catherine Mourtada a décidé de rester au Liban avec sa fille Nayla. Cette Suissesse compte parmi les envoyés du Trait d'union missionnaire (TUM) de l'Union des AESR. Voici sa chronique du 5 août.

Après cette semaine épuisante émotionnellement (bombardements intensifs, massacres, destructions de grandes infrastructures essentielles pour le pays), je n'ai plus que les mots de la colère et une grande lassitude pour m'exprimer... Nous avons continué pourtant à faire rire les enfants coincés dans les écoles, à faire sourire les femmes enfermées dans la prison, à apporter de la nourriture et à boire du thé avec les familles du jardin public... Nous avons payé le loyer de l'école à notre propriétaire, une dame âgée, découragée de devoir dormir dans une salle de classe avec 40 autres personnes. Elle était justement venue se préparer du café chez elle et se reposer avant de regagner son abri provisoire. Nous l'avons bu ensemble et elle a pu vider son sac, elle qui avait déjà perdu un fils dans l'autre guerre et avait dû fuir son village du Sud.

Qui sont les terroristes ?
Vendredi après la destruction des ponts, vécue pratiquement en direct, j'étais incapable de me concentrer sur une tâche. J'ai tourné en rond dans la maison, téléphoné ou rendu visite aux amis pour partager cette grande incompréhension. Entendez : j'ai rendu visite aux amis géographiquement proches, car cela fait presque une semaine que l'essence manque cruellement, alors que deux bateaux sont au large de Beyrouth avec des tonnes de fuel mais sont empêchés de rentrer au port... Qui sont les terroristes?

Un petit besoin prend le pas sur un grand !
L'après-midi, j'ai fait une heure et demie de voiture à la recherche d'une station ouverte en dépensant de l'essence... pour rien ! Vous ne pouvez imaginer le sentiment de frustration!! Ce matin, à 7 heures, je faisais une queue longue d'un kilomètre pour mettre 9 litres d'essence, mais un besoin pressant (vous pouvez rire, c'est ce qui s’est passé !) m'a fait quitter la queue après une heure et la moitié de la distance à la colonne parcourue... J'ai pu en remettre deux heures plus tard à une autre station heureusement...
Mais je ne veux pas vous ennuyer avec ma mauvaise humeur... J'ai décidé de laisser parler le journal, de cette semaine éprouvante. Les photos sont aussi prises du journal du 2 août 2006.

J'accuse...
(C'est moi qui le dis... reprenant un titre fameux qui sonne étrange pour ceux qui savent à quoi et à qui je fais allusion en utilisant ces deux mots !)

Cana, les survivants du massacre
« Rabab a été légèrement blessée par le raid. Elle a tiré son époux, son fils Hassan, âgé de 4 ans et demi et blessé à la tête, ainsi que sa belle-soeur des décombres : « Les trois étaient près de moi, ils étaient à moitié ensevelis. J'ai ôté les pierres et les débris de ciment qui couvraient leurs jambes... Mais je n'ai pas pu sauver Zeinab... ma fille avait 6 ans et demi. Elle était assise à côté de moi. Son corps a disparu sous un amas de gravats. J'ai creusé. J'ai tenté de toutes mes forces de la sortir de là. C'était impossible. J'ai pris sa petite main et je l'ai massée. Je lui ai dit : « C'est maman, je ne peux plus rien faire, je te remets entre les mains de Dieu ». Rabab ne parvient pas à poursuivre, elle n'éclate pas en sanglot, ne crie pas sa colère, elle baisse la tête, ferme les yeux. Ses mots s'étranglent dans sa bouche... »
L'Orient Le Jour, mercredi 2 août 2006

J'accuse...

Aïn Ebel, un village chrétien vidé de ses habitants
« Je vais rester ici. C'est l'endroit où je suis née ! » Thérèse Sleiman peine à retenir ses larmes. Elle est l'une des dernières habitantes de Aïn Ebel à ne pas avoir quitté ce village chrétien à 5 km de la frontière israélienne. Pour Thérèse, il n'est pas question de quitter sa maison touchée par plusieurs obus : « L'attaque s'est produite à 6 heures du matin. Une vingtaine d'enfants et moi dormions dans la cave sous la maison. Dieu soit loué, ils n'ont été que légèrement blessés. Après avoir fait le tour de la maison touchée en différents endroits par les obus israéliens, Thérèse craque complètement : « On vit comme des animaux ici! » s'écrie -t-elle en pleurant.
L'Orient Le Jour, mercredi 2 août 2006

J'accuse...

Quatre ponts détruits: les bombardements ont coupé une voie essentielle pour l'aide internationale. Le Nord, après le Sud, est coupé de la capitale
« Quatre ponts majeurs et essentiels du pays s'ajoutent à la longue liste des destructions commises par Israël... Une sorte de paralysie s'est aussitôt emparée de la région, ajoutée au choc, à l'incompréhension et à la colère. Les commerces sont restés fermés, un silence très inhabituel pour la région a duré toute la journée... »
L'Orient Le Jour, samedi 5 août 2006

J'accuse....

Massacre à Kaa
« Après les bombardements des ponts, un massacre à la frontière libano-syrienne a coûté la vie à 40 personnes, en majorité des ouvriers syriens. Le raid est intervenu alors que des ouvriers libanais et syriens, employés d'une exploitation agricole libanaise, triaient fruits et légumes dans une chambre froide et remplissaient un camion frigorifique à proximité des douanes. La chasse israélienne a mené six raids sur ces routes secondaires menant vers la Syrie. »
L'Orient Le Jour, samedi 5 août 2006

Merci de penser à Nayla et à moi qui devons essayer de rejoindre Damas lundi 7 août, Dieu voulant, par je ne sais quelle route...

Catherine Mourtada

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