Etonnamment, l’apôtre Paul affirme en Romains 8.19 : « De fait, la création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu. » En d’autres termes, la création se tient sur la pointe des pieds et arrive à peine à attendre que les enfants de Dieu aient enfin atteint leur but : vivre pleinement leur rôle de gérants responsables et efficaces du monde, à la suite de Jésus le Messie. En s’exprimant ainsi l’apôtre utilise le procédé littéraire de la personnification, ici de la nature, afin de souligner l’importance de la vocation de ceux qui bénéficient de l’œuvre du Christ et du Saint-Esprit dans le monde. Surpris ? Sceptique ?
Voici une invitation à approfondir la justice restauratrice de Dieu pour le monde entier en 6 étapes.
Etape 1 : Une ambition à la hauteur du Dieu qui appelle
Au début de sa lettre aux Romains, Paul résume le mandat qu’il a reçu de Dieu : conduire au nom de Jésus à l’obéissance de la foi des hommes et femmes de toute nation. L’expression « obéissance de la foi », qui revient à deux reprises dans la lettre(1), fait penser à la confession de foi fondamentale d’Israël utilisée par les Juifs dans leur prière journalière(2). Son objectif est donc que, par son ministère et celui de ceux qui le suivront, toutes les nations entrent dans la famille de Dieu. Ambitieux ? Certes, mais c’est à la hauteur du Dieu qui a appelé Paul, et qui nous appelle.
Etape 2 : Le Dieu créateur, pas si loin…
Dans un long réquisitoire, Paul souligne combien l’injustice sous ses différentes formes tient l’humanité captive(3). Pourtant, ce qui dans l’ordre créé est beau, riche, puissant et porteur de vie devrait nous renvoyer à plus grand que nous, et nous conduire à reconnaître Dieu commme le Créateur et à le prendre au sérieux(4). Ceci témoigne d’une sensibilité inhérente à chaque humain, d’une intuition de la « possibilité de Dieu », d’un Créateur. Non pas que cette intuition puisse mener à une connaissance personnelle, intime de Dieu, mais c’est une conscience suffisante pour que, lorsque les humains pratiquent l’injustice, ils en sont coupables devant le Créateur qui demandera des comptes.
Etape 3 : Une vocation (presque) ratée
Le réquisitoire de Paul au chapitre 1 de son épître aux Romains aurait été approuvé par plus d’un de ses contemporains juifs ! Mais au chapitre 2, il interpelle ceux qui revendiquent leur statut privilégié de Juif. Il y brosse notamment un portrait poignant qui représente son propre positionnement avant la rencontre avec le Messie(5). Car, oui, les descendants d’Abraham ont été appelés à apporter la connaissance de leur Dieu aux nations. C’est la raison d’être de leur existence. Mais voici le résultat : « Car c’est à cause de vous qu’on calomnie le nom de Dieu parmi les nations »(6). Alors, vocation ratée ? A voir…
Etape 4 : Remontée dans le temps jusqu’à Abraham et élargissement d’une promesse
Au chapitre 4 de l’épître aux Romains, Paul remonte dans le temps. Dans l’alliance que Dieu a conclue avec Abraham, il lui a promis de devenir le père d’une multitude de nations(7), et de recevoir comme possession le pays de Canaan. Avec l’une des traditions du judaïsme de son temps, Paul s’attend cependant à ce que la descendance d’Abraham reçoive en héritage non seulement un pays, mais le monde entier : « En effet, ce n’est pas par la loi que la promesse de recevoir le monde en héritage a été faite à Abraham ou à sa descendance, mais c’est par la justice de la foi »(8). De par la ferme confiance qu’il a placée en Dieu, Abraham est devenu le prototype de ceux qui, comme lui et à sa suite, deviendront héritiers des promesses de Dieu par la foi – un positionnement personnel qui prend au sérieux les promesses de Dieu, et ainsi Dieu lui-même. Abraham est donc l’ancêtre de ceux qui ont la foi. Ceux qui, comme lui, font confiance à l’œuvre de Dieu hériteront non pas d’un seul pays, mais du monde entier(9).
Etape 5 : Remontée dans le temps jusqu’à Adam et mise en perspective de la grâce de Dieu
En Romains 5.12-21, Paul remonte dans le temps jusqu’à Adam. Il compare le chef de file de l’humanité avec Jésus le Messie. Ils sont deux représentants de deux humanités, l’une gouvernée par la mort à cause de la désobéissance d’Adam, l’autre gouvernée par la vie nouvelle à cause du Christ et de son obéissance. Au travers de la mort sacrificielle et de la résurrection du Christ, la vie nouvelle est disponible pour tous. En effet, par son obéissance et le don de sa vie, Jésus a renversé la désobéissance d’Adam qui a apporté la mort. Christ a revisité le parcours d’Adam, mais là où le premier homme a échoué en désobéissant au commandement de Dieu, Jésus est resté fidèle et a obéi. Il a ainsi inauguré une « nouvelle humanité », celle qui vit dans la ferme confiance en la personne et l’action de Dieu(10). Ceux qui s’attachent au Messie par la foi retrouvent ce à quoi tous les humains sont destinés : participer à et exprimer la gloire de Dieu, cette gloire dont ils sont privés à cause du péché(11). Mais en Christ, elle est retrouvée et expérimentée lorsque des hommes et des femmes vivent en dignes représentants de Dieu sur la terre. C’est ce à quoi Adam, créé à l’image de Dieu, avait été initialement appelé. Jésus, lui, l’a vécu pleinement, et c’est à sa ressemblance que Dieu, par l’intermédiaire du Saint-Esprit, va désormais conformer ceux qui l’aiment(12).
Vous suivez ? Cela vous donne le tournis ? Il y a de quoi : nouvelle humanité, participer à la gloire de Dieu… et si le triomphalisme nous guettait ?
Etape 6 : Les souffrances du moment présent (Romains 8.18-27)
La création souffre, et de plus en plus aux mains de ceux qui sont appelés par Dieu à en prendre soin – pas besoin de détailler l’évidence qui se déroule tous les jours sous nos yeux ! Du coup, le développement de Paul dans ce passage fait sens : si en tant que représentants de Dieu, réhabilités dans ce privilège par notre appartenance à Jésus-Christ, nous prenons au sérieux notre responsabilité de prendre soin de la terre et de l’humanité, il y a de quoi être perplexes. La corruption continue à se manifester, causant son lot de souffrances tout autour de nous, y compris en nous(13). Dans cette réalité douloureuse, les enfants de Dieu(14) sont appelés à être porteurs d’espérance, et ceci dans un constant cœur-à-cœur avec Dieu par l’intermédiaire du Saint-Esprit. La communauté de Jésus se trouve entre deux mondes : oui, ils goûtent déjà à la vie nouvelle par le Saint-Esprit, mais dans une création qui n’est pas encore renouvelée. A la joie d’être enfants de Dieu et de participer à sa gloire se mêlent donc des soupirs : ceux du monde qui se trouve en phase d’attente de renouvellement ; ceux des cohéritiers du Christ qui, eux-mêmes, attendent le plein accomplissement de leur nouvelle existence ; et ceux de l’Esprit qui leur vient en aide dans leur faiblesse par son ministère d’assistance efficace dans la prière(15). Alors que le gémissement de la création est passif, orienté vers l’accomplissement à venir, celui des chrétiens est actif : oui, ils attendent eux aussi la fin, mais en étant activement engagés dans leur vocation de refléter Dieu dans le monde.
Pour des petites et grandes obéissances… avec joie !
Le rôle des chrétiens est donc d’être activement présents au monde, dans une attitude de profond respect de Dieu, et de s’engager de manière transformatrice dans la société, à la fois personnellement et corporativement, suivant les vocations spécifiques données par Dieu. L’objectif est d’avancer vers la beauté et la dignité que Dieu souhaite pour la création, conscients que l’accomplissement final appartient à Dieu seul.
Malgré la note grave de la souffrance qui est sous-jacente à la tâche, l’accent fort sur la participation du Saint-Esprit pour rendre chacun capable d’être engagé dans le processus est particulièrement encourageant. Dieu lui-même est à l’œuvre avec nous, en nous, et il mènera à bien ce qu’il a commencé en Christ.
D’où le fait que nous sommes observés dans l’accomplissement de notre vocation – par rien moins que la création entière ! N’est-ce pas stimulant pour toutes sortes d’obéissances, petites et grandes, dans la confiance et la fidélité envers Dieu qui mènera à bout son projet pour le monde tout entier ?