Selon Stuart Murray, « la dîme ne fait pas partie de l’enseignement de Jésus ! »

jeudi 05 novembre 2015

L’an dernier, Stuart Murray était l’invité de la fête de la FREE. Ce théologien anabaptiste a publié plusieurs ouvrages dont en français : Radicalement chrétien ! Il présente ici le contenu d’un autre de ses livres. Un ouvrage sur le thème controversé de la dîme.

Que pensez-vous de l’enseignement de la dîme qui prévaut dans de nombreuses Eglises évangéliques ?

La pratique de la dîme fait partie d’un enseignement qui a été donné pendant de nombreuses années dans l’Eglise. Les Eglises d’Etat l’ont enseignée. Les Eglises évangéliques, plus particulièrement les Eglises pentecôtistes, en ont fait aussi un enseignement de base dispensé à leurs membres. Je peux comprendre le pouvoir d’attraction de cet enseignement. C’est une manière très simple de traiter des questions financières. Chaque personne parvient assez facilement à calculer le 10 pour cent de ses revenus.

Ce qui surprend lorsqu’on regarde de près cet enseignement, c’est qu’il n’en est pas question dans le Nouveau Testament…

La dîme est mentionnée quatre fois dans le Nouveau Testament. Trois fois dans les évangiles (Mt 23.23, Lc 11.42, Lc 18.12). A chaque fois, Jésus y parle de la pratique des pharisiens et n’est pas très positif. Donner la dîme apparaît ici comme une manière d’affirmer sa propre justice devant Dieu. Il n’y a aucune mention dans le Nouveau Testament de cette pratique comme quelque chose de recommandable pour les disciples de Jésus. Donner la dîme est donc une pratique qui renvoie à l’Ancien Testament. Ma difficulté, c’est que la dîme fait alors partie d’un ensemble beaucoup plus complexe, en lien avec le système économique qui y est défendu. Elle s’inscrit dans le Jubilé (Lévitique 25.10-41), un programme radical de justice sociale. La dîme est une partie mineure de ce programme ; prendre cet élément seulement, sans le Jubilé, c’est développer une mauvaise interprétation de l’Ancien Testament et éviter les défis importants que cette première partie de la Bible nous lance aujourd’hui.

A votre avis, pourquoi le Nouveau Testament ne contient-il pas d’enseignement sur la dîme ?

Cela ne fait tout simplement pas partie de l’enseignement économique de Jésus à ses disciples ou alors de ce que les disciples ont compris de l’enseignement de Jésus. Une chose est sûre, le Nouveau Testament contient de nombreux enseignements sur l’argent, sur le style de vie, sur la richesse et la pauvreté, et sur la responsabilité de la communauté chrétienne à l’endroit des uns et des autres. En fait, il y a différents modèles que l’on peut reprendre à propos de la gestion de l’argent : celui de l’Eglise primitive qui vivait une large mise en commun des ressources, celui qui est promu par l’apôtre Paul dans 2 Corinthiens (8.1-15), où il s’inspire de l’Ancien Testament sans jamais mentionner la dîme…

Le cœur de l’enseignement de Paul porte ici sur la « koïnonia », la communion…

Oui. A mon sens, le terme de « koïnonia » (2 Co 8.4) est un des mots-clés, tout comme celui de Jubilé dans l’Ancien Testament. Ces termes nous donnent un cadre pour comprendre le « discipulat économique » que nous propose le Christ. La « koïnonia », c’est la solidarité et le partage. Nous traduisons volontiers ce mot par communion ou communauté, mais il renferme avant tout une dimension économique qui vise un partenariat commercial. La « koïnonia » prend au sérieux les besoins des personnes à l’intérieur de la communauté et cherche des chemins créatifs pour répondre aux besoins de celle-ci. A mon avis, la pratique de la dîme ne met pas en question notre style de vie. C’est une pratique très individualiste, qui ne permet pas à une communauté de parler librement des choix de vie que nous faisons, de la manière dont nous partageons nos ressources les uns avec les autres.

Certaines Eglises présentent cette pratique comme une forme radicale de discipulat. Pour ma part, je pense qu’il n’y a là rien de radical.

Qu’est-ce qui a fait le succès de l’enseignement de la dîme dans l’histoire de l’Eglise ?

Pas sûr que cet enseignement ait connu un véritable succès dans l’histoire de l’Eglise. Durant les trois premiers siècles de l’Eglise, il n’y a pas d’enseignement sur la pratique de la dîme. Durant cette période, on écrit beaucoup sur l’argent, comme le Nouveau Testament le fait, mais on ne plaide pas la cause de la dîme. Cette pratique commence en fait au IVe et au Ve siècle, une fois que l’Eglise fait partie intégrante de l’Empire romain et se développe comme une immense institution qui a besoin de financement. Au lieu de constituer une manière radicale d’être disciple de Jésus-Christ, la pratique de la dîme est pour l’Eglise impériale une tentative d’assurer son financement dans la durée. Cette pratique est très impopulaire durant tout le Moyen-Age. On rencontre ainsi de nombreux récits de protestations contre la pratique de la dîme. Des mouvements affirment qu’une telle pratique ne fait pas partie de l’enseignement de Jésus. Du XVIIe au XIXe siècle, les Eglises d’Etat prennent de la distance par rapport à la pratique de la dîme, mais les Eglises évangéliques, au début du XXe siècle, la reprennent et la rendent très populaire. Cette réhabilitation entraîne de nombreuses difficultés, tant pastorales qu’économiques.

Dans votre livre, vous dites que cette pratique a quelque chose de très injuste. Quoi donc ?

A mon sens, il s’agit d’un outil émoussé qui ne prend pas au sérieux les différences au sein de la communauté chrétienne, entre ceux qui ont peu et ceux qui ont beaucoup. Pour les riches, la dîme est une pratique inadéquate. Pour quelqu’un qui est à l’aise, donner 10 pour cent de son revenu ne représente pas grand-chose. Cela ne questionne pas son style de vie ! Alors que pour des pauvres, donner 10 pour cent de leurs revenus, c’est prélever une somme énorme sur leur nécessaire. Dans ce domaine, ce dont nous avons besoin, c’est d’une discussion ouverte en vue de partager nos ressources de manière plus juste. Et c’est là que la législation du Jubilé intervient et peut permettre de répartir plus équitablement les ressources au sein de la communauté. C’est une véritable occasion de mettre en place une communauté beaucoup plus juste. La pratique de la dîme ne fait jamais cela. En fait, elle ne permet pas d’aborder les questions centrales.

Beaucoup de responsables d’Eglises craignent que, si la dîme n’est plus enseignée, il n’y ait plus suffisamment d’argent pour financer les activités ecclésiales. Mon souhait n’est bien entendu pas que les chrétiens donnent de moins en moins, mais que nous agissions de manière plus juste avec les ressources des membres de la communauté. A mon sens, certaines personnes devraient donner beaucoup plus que la dîme et d’autres beaucoup moins.

Concrètement, que proposez-vous de mettre en place pour remplacer la dîme ?

Ce qui gêne nombre de lecteurs de mon livre, c’est que je ne remplace pas cette pratique par une autre. Je termine en effet mon livre par une série de questions que les membres d’Eglise peuvent se poser à eux-mêmes, si ils cherchent de nouveaux chemins. Ma préoccupation n’est pas de remplacer un système par un autre, mais de changer la manière dont nous discutons de ce sujet. Il serait souhaitable que les membres de nos Eglises discutent ouvertement de finances, de ce qu’ils gagnent, de ce qu’ils donnent, de ce qu’ils économisent, de ce qu’ils dépensent et des ressources qu’ils souhaitent confier à l’Eglise. Il s’agit vraiment de briser le tabou qui prévaut par rapport à la question de l’argent, afin d’en parler beaucoup plus ouvertement.

Aujourd’hui, quel enseignement donneriez-vous par rapport à l’exercice de la libéralité ?

Il faut tenir compte du type d’Eglise à laquelle on a à faire. De sa richesse ou de sa pauvreté ; de sa capacité ou non à parler d’un tel thème… Une chose est sûre : je l’inviterais à étudier le Nouveau Testament et à considérer son enseignement sur le style de vie des disciples de Jésus, sur la richesse et la pauvreté, sur la construction de l’Eglise. J’encouragerais cette Eglise à s’interroger sur l’argent qu’elle consacre à elle-même et à la mission. J’encouragerais aussi chacun des membres à avoir des discussions ouvertes sur ces questions avec des personnes de confiance, afin que cette gestion des ressources ne reste pas dans la sphère privée.

Personnellement, comment pratiquez-vous la libéralité ?

Ces dernières années, ma femme et moi, nous avons décidé de discuter de ce sujet avec des amis proches. Nous leur avons présenté nos revenus, comment nous les dépensons et ce que nous donnons. Nous ne souhaitions pas qu’ils nous disent concrètement comment gérer nos affaires, mais nous étions ouverts à leurs commentaires et à leurs suggestions. Cela nous a beaucoup apporté dans l’échange les uns avec les autres, mais aussi dans la liberté de donner.

Propos recueillis par Serge Carrel

Stuart Murray, Beyond Tithing, Eugene, Wipf and Stock, 2012, 246 p.

  • Encadré 1:

    Stuart Murray est un théologien anabaptiste britannique. L’an dernier, il était l’invité de la fête de la FREE à Yverdon-les-Bains. Il a publié plusieurs ouvrages dont : Radicalement chrétien ! Eléments essentiels de la démarche anabaptiste (Coll. Perspectives anabaptistes, Charols, Excelsis, La Talwogne, 2013, 200 p.).

Serge Carrel

Serge Carrel est au bénéfice d’une formation double: théologique et journalistique. Après dix ans de pastorat en France et en Suisse romande, il a travaillé huit ans comme journaliste aux émissions religieuses de la RTS. Aujourd’hui formateur d’adultes et journaliste en lien avec la Fédération romande d’Eglises évangéliques (FREE), il essaie de tirer le meilleur parti de ce double ancrage. Que ce soit dans le cadre du FREE COLLEGE, de lafree.ch, de Vivre ou de la fenêtre chrétienne de MaxTV.

Formation reçue

Master en théologie (UNIL, 1986)
Centre romand de formation des journalistes (RP, 1996)

Publicité

Twitter - Actu évangélique

Journal Vivre

Opinion

Opinion

Agenda

Événements suivants

TheoTV (mercredi 20h)

20 janvier

  • «La terre, mon amie» avec Roger Zürcher (Ciel! Mon info)
  • «Repenser la politique» avec Nicolas Suter (One’Talk)

27 janvier

  • «La méditation contemplative» avec Jane Maire
  • «Vivre en solobataire» avec Sylvette Huguenin (One’Talk)

TheoTV en direct

myfreelife.ch

  • « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    Ven 03 novembre 2023

    Il y a quelques années, un trafic d’enfants proposés à l’adoption à des couples suisses secouait l’actualité. Sélina Imhoff, 38 ans, pasteure dans l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, en a été victime. Elle témoigne avoir appris à accepter et à avancer, avec ses fissures, par la foi. Et se sentir proche du Christ né, comme elle, dans des conditions indignes. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Des choix porteurs de vie

    Ven 22 septembre 2023

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Jeu 15 juin 2023

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

  • Une expérience tchadienne « qui ouvre les yeux »

    Ven 20 janvier 2023

    Elle a 19 ans, étudie la psychologie à l’Université de Lausanne, et vient de faire un mois de bénévolat auprès de jeunes de la rue à N’Djaména. Tamara Furter, de l’Eglise évangélique La Chapelle (FREE) au Brassus, a découvert que l’on peut être fort et joyeux dans la précarité.

eglisesfree.ch

  • Un·e responsable des finances (10%)

    Lun 29 janvier 2024

    Plus grande fédération d’Eglises évangéliques en Suisse romande, la FREE offre un cadre de travail dynamique et défiant, en lien étroit avec les autres acteurs du milieu chrétien évangélique romand, suisse et international. Dans ce cadre, la FREE recherche un·e responsable des finances.

  • Rencontre générale : une fédération utile

    Mer 29 novembre 2023

    La Rencontre générale du 25 novembre 2023 a permis de remercier Stéphane Bossel pour 23 ans d’engagements divers et importants dans la FREE. Elle a aussi permis à l’équipe de direction de partager quelques priorités, notamment le sens, les valeurs et la plus-value que la FREE peut offrir aux Eglises.

  • Rencontre générale de la FREE : l’équipe de direction souffle sa première bougie

    Sam 08 avril 2023

    La Rencontre générale de la FREE, qui a eu lieu le 1er avril 2023 à Aigle, a permis à la nouvelle équipe de direction de dresser un bilan, après tout juste une année de fonctionnement. Et ce qui saute aux yeux, c’est le grand nombre des défis à relever.

  • FREE : une première « Journée stratégique »

    Ven 03 février 2023

    Les personnes qui exercent un rôle dans la FREE se sont réunies en janvier pour réfléchir à la mise en œuvre de la nouvelle « gouvernance à autorité distribuée » (1). Retour sur une « Journée stratégique » conviviale et studieuse.

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !