Arrêté, net, dans ce que je suis en train de faire, dans ce que je suis en train de penser. Une phrase qui tombe de nulle part, comme ça. Un météorite, énorme, dans mon train de vie. « Dis, Papa… combien t’es heureux ? »
Elle m’énerve, d’ailleurs, cette question : « Combien t’es heureux ? » Est-ce que ça te regarde ? Et sur une échelle de combien, d’abord ? Et puis on laisse l’irritation s’apaiser. Et on se dit même que c’est une bonne question, en fait... Une question qu’on a le droit de se poser, que j’ai le droit de me poser : « Dis, l’ami, combien t’es heureux ? »
A la recherche du bonheur
Il y a un film qui s’intitule : « A la recherche du bonheur ». Ce titre, ça pourrait être le titre de chacune de nos vies. Un cri impossible à faire taire, impossible à bâillonner. Le seul cri qui résonne dans toute âme humaine, même hallucinée, même maltraitée, même… tout : « RECHERCHE BONHEUR, EPERDUMENT.»
Toutes nos petites annonces, tous nos efforts pour plaire, toutes nos tentatives de vie sont écrites sur le papier recyclé du : « Recherche bonheur à tout prix ». C’est la peinture de fond de toutes les couches de nos vies. Recherche bonheur éperdument ; j’peux pas faire autrement.
Alors, inévitablement, on cherche. Et on se tourne vers ce qui lui ressemble le plus, à ce bonheur. Ce qui, de loin, a le même profil, la même voix, la même silhouette. Son frère jumeau, en fait. J’ai nommé : le plaisir.
Le plaisir, frère jumeau du bonheur
« Aaaah… le plaisir. On s’y plongerait ! »… on y plonge, d’ailleurs. On l’approche, on le côtoie, on l’accoste… et justement, c’est là que ça cloche. On ne sait pas pourquoi, on ne sait pas comment. Mais « ça » cloche. Difficile d’être plus précis, difficile d’être plus clair. C’est un sentiment diffus, mais bien réel. Une impression. Comme si c’était pas ça qu’on recherchait vraiment, tu sais ?
Comme si le jumeau était faux, en fait. Voilà, c’est ça ! c’est exactement ça ! C’est un faux jumeau ! Mais bien fait quand même. Parce que c’est seulement une fois qu’on l’a touché, qu’on l’a eu dans les bras, qu’on se rend compte de ce qu’il n’était pas.
C’est pas ça qu’on cherchait. Seulement, c’est là. Seulement, c’est fait.
Et à ce moment-là, il y a quelque chose qui se joue. Quelque chose de crucial. Un choix, en fait, initié par une voix intérieure qui nous dit : « C’est pas lui ! C’est pas ça que tu cherches ! » Et cette voix-là, parfois on l’écoute, souvent on la tait.
Alors on se rassure, on se reprend, on se dit : « Peut-être qu’il n’y a que ça, au fond. » Et on s’agrippe à ce qu’on a, même si on a l’impression de l’avoir déjà perdu. On s’agrippe, au propre comme au figuré.
On s’agrippe, quitte à en devenir malade. Quitte à en devenir esclave. Parce qu’on croit dur comme fer que le plaisir doit bien déboucher sur le bonheur, tellement c’est bon ! Ça n’est pas possible autrement !? Ça ne peut aboutir à rien d’autre que ça… Ça ne peut pas promettre autant et nous donner si peu ! Ça ne peut pas être si plein et nourrir si vide. Ça ne peut pas. Hein ?!?
Et un jour on ouvre les yeux, et c’est bien ce qu’on craignait : c’est vide. Certains mettent deux secondes à s’en rendre compte, d’autres deux siècles. La réponse, elle, demeure la même : ce n’était pas ça qu’on cherchait.
Place aux somnifères de l’âme
Alors on fuit. Alors on court. Mais plus après le bonheur. On court, mais c’est pour éviter de se faire rattraper. Par l’insatisfaction d’abord, et puis par tout son flot de questions. On court, mais ce n’est plus une course joyeuse, ce n’est plus une course d’enfants, la main dans la main. Ce n’est plus une course du tout, d’ailleurs. C’est une fuite. Une course-poursuite. Une course d’obstacles. Une course d’effroi. On ne recherche plus rien ; on cherche juste à ne plus être trouvé.
On jouait à cache-cache… mais le temps a tourné.
Et c’est tellement dur de faire face qu’on ne le fait pas ; c’est tellement dur de reconnaître qu’on ne le reconnaît pas. On s’évade. Plus simple. Pas plus beau, ni plus grisant, non… juste plus simple.
Il y a tellement de somnifères de l’âme, aujourd’hui, tellement d’anesthésies générales, qu’elle en devient facile, la grande évasion. Alors on s’évade. Dans le virtuel ou dans le sur-réel, qu’importe. On se sur-excite, on s’éphémère ; on s’amphétamine, on s’adultère.
On s’évade. Pour fuir cette impression – bien réelle – que le plaisir auquel on a touché était si chaud qu’il nous a brûlés. Plus de sensations. Plus rien. C’est ça le pire. Plus rien, ou si peu. Juste l’impression d’être dé-goûté.
Et on espère, au fond de soi, que ce dé-goût ne s’incruste pas.
Et on prie presque – « Faut pas exagérer quand même ! » – pour que le goût revienne. Tout simple. Juste goûter. Juste ressentir la simplicité. Juste ressentir la vie.
Une sensation reste
Mais elle reste là, cette pensée d’autre chose à vivre, cette soif d’autre chose à boire. Cette sensation qu’on est fait pour autre chose que ça ! Comme un cri du plus profond du cœur qui nous appelle à vivre : « JE VEUX ÊTRE HEUREUX !!! Je mérite d’être heureux ! J’y ai droit. »
Et même s’il est retenu, ce cri, il n’en n’est pas moins absolu. « JE VEUX VIVRE AUTRE CHOSE que ce que je vis ! Je mérite de vivre autre chose que ce que je subis ! Aidez-moi à vivre autre chose, MON DIEU ! »
Hum… Oui… sauf que Dieu, on n’y croit pas. Alors on se reprend. Vite.
« N’empêche… et si c’était Lui. » On n’aurait jamais cru y penser. En tout cas pas là, pas maintenant… On n’y pensait même pas, d’ailleurs. Sauf que, juste là, on l’a entendue, cette pensée, cet éclair de conscience intérieure. On ne peut pas le nier. Elle était là, cette espérance en éveil.
Et si c’était Lui, cette soif de vivre autre chose ? Et si c’était Lui qui faisait naître en nous cette soif absolue de bonheur, comme pour nous rappeler qu’on a été fait pour vivre autre chose. Et si c’était une bonne nouvelle, alors, d’apprendre que nos idoles de plaisir ne nous nourrissent pas, que nos inventions de distractions ne nous comblent pas.
Et si c’était une bonne nouvelle, en fait, de reconnaître que nos êtres ne se contentent pas de ce qu’on s’invente pour se nourrir. Comme un rappel sur notre ADN, un rappel à l’honneur : « VOUS AVEZ ETE FAITS POUR VIVRE PLUS QUE ÇA ! Vous avez été faits pour vivre un bonheur bien plus vitalisant qu’une piqure d’anesthésie ou un flash de plaisir ! »
Trouver son plaisir en Dieu
Parce qu’il y a, dans le cœur humain, un besoin que personne ne pourra jamais faire taire ; et ce besoin, c’est Dieu. Voilà ce que je crois. Du coup, toute autre source de plaisir risque de nous laisser un goût d’inachevé. Plus ou moins fort, d’accord, mais toujours le même goût : inachevé.
Le bonheur qui convient à l’homme, c’est de trouver son plaisir en Dieu, dans une relation à Lui. Comme un fils avec son père. Rien de moins. Rien de plus. Que Dieu.
Sauf que... Sauf qu’on n’aime pas ça. Il faut le reconnaître : on n’aime pas. On n’aime pas entendre que notre bonheur dépend d’un Autre que nous. On n’aime tellement pas ça qu’on aurait presque envie de dire : « Si être heureux, ça implique une dépendance, alors on préfère rester malheureux, hein ?!? Non ?!? »
Si… sauf que, mal-heureux, on l’est déjà… alors…
Le bonheur qui convient à l’homme, c’est de trouver son plaisir en Dieu. Seulement, il lui est impossible d’y parvenir uniquement avec les choses qu’il a reçues lors de sa première naissance (1). Parce que le cœur de l’homme est trop dur. Parce que le cœur est trop fier. Parce que le cœur a trop souffert et qu’il s’est raidi comme de la pierre.
Nouvelle naissance
Ce cœur-là n’aime pas aimer Dieu.
Voilà pourquoi il est indispensable que l’homme naisse de nouveau : pour changer de cœur, pour ressentir d’autres désirs. Pour aimer aimer. Indispensable de naître d’un autre monde, de naître d’un autre cœur.
Une nouvelle naissance à cet appel : « Laisse-toi aimer par Celui qui t’aime». Une naissance de cœur, où c’est Dieu qui pardonne et où c’est moi qui suis créé. Une naissance de joie où c’est Dieu qui me cherche et où moi je me laisse trouver. Une naissance de relation avec un Dieu qui me donne un cœur qui aime l’aimer. Une nouvelle naissance, à cœur ouvert, à cœur greffé.
Et ce cri, enfin, libérateur, dans mon cœur : « J’ai besoin de toi, mon Dieu ! J’ai besoin de toi, Jésus. » Et ça sonne comme une évidence, comme un poids trop lourd à porter qui vient de tomber : « J’ai besoin de toi pour être heureux ! » Et c’est fou comme on se sent léger ! Et c’est bon comme on se sent aimé.
Tu es la source que ma soif recherche ! Tu es l’Amour que mon être espère. Tu m’as retrouvé et je m’en réjouis. Si tu savais comme je m’en réjouis ! Et si la vie commençait à ce moment-là ? Et si le bonheur naissait de cette rencontre-là ? … Dis, Papa, combien t’es heureux ?
Gilles Geiser
Pasteur dans l’Eglise évangélique Châble-Croix à Aigle (FREE)
Note
1 Reprise d’une pensée de Jonathan Edwards exprimée dans : Jonathan Edwards, « Born Again », dans The Works of Jonathan Edwards, vol. 17, Sermons and Discourses, 1730-1733, éd. Mark Valeri, New Haven, CT, Yale University Press, 1999, p. 192.